L’ex-ministre de l’Education François Bayrou et le syndrome du français à cheval

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Mars 14, 2025 - 10:07
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L’ex-ministre de l’Education François Bayrou et le syndrome du français à cheval

Par A. Boumezrag – François Bayrou, ex-ministre français de l’Education, centriste à géométrie variable et désormais Premier ministre de la Ve République, vient de nous gratifier d’une sortie aussi absurde que révélatrice : selon lui, l’Algérie mènerait un combat acharné contre la langue française. Voilà un drame digne d’une tragédie shakespearienne – en français, dans le texte, bien entendu.

On imagine déjà la scène : un français épuisé, errant dans les rues d’Alger, traqué par des hordes de militants armés de lexiques arabophones, chassé des administrations, banni des universités, interdit dans les foyers. Sauf que cette fable, aussi fantasque soit-elle, n’a qu’un problème : elle est fausse.

Un cheval colonial devenu étalon de la pensée algérienne

Si le français était un cheval, il aurait longtemps été un pur-sang monté par la France coloniale, imposé comme unique moyen de communication officiel, excluant volontairement les langues locales. Sous l’administration française, l’école n’avait pas vocation à éduquer les indigènes mais à en faire des travailleurs dociles. En 1962, à l’indépendance, près de 85% des Algériens étaient analphabètes, conséquence d’une politique coloniale qui refusait d’instruire ceux qu’elle voulait dominer.

Et pourtant, ironie du sort, c’est en français que la Déclaration du 1er Novembre 1954 fut rédigée pour lancer la Révolution algérienne. C’est en français que les Accords d’Evian, scellant l’indépendance, furent signés. Et c’est en français encore que l’Algérie indépendante, dans ses premiers pas, écrivit sa Constitution et structura son administration.

Le français n’était pas un choix libre, mais un héritage imposé. Un héritage que l’Algérie n’a jamais renié, mais qu’elle a façonné à sa manière, comme un cheval jadis bridé qui apprendrait à courir seul.

Un français omniprésent… mais insoumis

Contrairement aux fantasmes de François Bayrou, le français n’a jamais été aussi vivant en Algérie. Avec 33 millions de locuteurs, soit près de 70% de la population, l’Algérie est aujourd’hui le deuxième pays francophone au monde après la France.

Dans les institutions : même des ministres qui prônent l’arabisation peinent à s’exprimer dans un arabe académique et reviennent invariablement au français.

Dans l’éducation et la recherche : plus de 70% des publications scientifiques algériennes sont rédigées en français. Les universités algériennes enseignent les sciences et la médecine en français, et chaque année, des milliers d’étudiants algériens poursuivent leurs études en France.

Dans la culture : la littérature francophone algérienne est l’une des plus dynamiques du monde. De Kateb Yacine à Yasmina Khadra, en passant par Rachid Mimouni ou Assia Djebar, l’Algérie a produit des figures majeures qui font rayonner le français au-delà des cercles parisiens.

Si combat il y a, il est donc bien étrange : une guerre où le français serait chassé… en étant partout.

La France veut-elle un français sous tutelle ?

En réalité, ce qui dérange François Bayrou et ses semblables, ce n’est pas que l’Algérie se détourne du français, mais qu’elle le pratique librement, hors de toute tutelle française.

Car derrière cette indignation se cache une contradiction flagrante : lorsque la France défend la francophonie, ce n’est pas tant pour célébrer la diversité linguistique que pour maintenir une influence. L’Organisation internationale de la francophonie (OIF) est d’abord un instrument diplomatique.

Lorsqu’un écrivain franco-algérien détenu en Algérie critique son pays, la France s’insurge au nom de la liberté d’expression. Mais lorsqu’un écrivain comme Yasmina Khadra fait rayonner la langue française depuis Alger, le silence est assourdissant.

Ce deux poids, deux mesures trahit une angoisse : voir le français échapper à Paris, se métisser, se réinventer ailleurs, en dehors des codes rigides de la République.

La langue française, un cheval sans cavalier

En définitive, ce n’est pas l’Algérie qui combat le français, c’est la France qui refuse d’admettre qu’elle n’en a plus le monopole.

L’Algérie parle français, mais sans rendre de comptes. Elle l’utilise dans ses affaires, dans ses médias, dans ses universités, mais selon ses propres règles. Ce n’est plus un cheval bridé dans un haras colonial, c’est un étalon libre, indomptable, galopant loin des injonctions parisiennes.

Et si François Bayrou craint tant pour le sort du français, il préférerait se pencher sur sa situation en France, où il est attaqué non pas par des complots étrangers, mais par l’indifférence de ses propres élites.

Car à force de vouloir garder les rêves, la France risque bien de se retrouver sans monture.

A. B.

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