Armes chimiques en Algérie: un film épingle la France coloniale

Asphyxier pour régner, enfumer pour soumettre : telle fut la logique méthodique de la France coloniale en Algérie. Un crime soigneusement planifié, longtemps occulté, aujourd’hui révélé par le documentaire « L’Algérie… sections armes spéciales » de Claire Billet. Diffusé jeudi soir sur la Télévision algérienne, ce film lève le voile sur l’emploi d’armes chimiques par […] The post Armes chimiques en Algérie: un film épingle la France coloniale appeared first on Le Jeune Indépendant.

Mars 14, 2025 - 06:24
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Armes chimiques en Algérie: un film épingle la France coloniale

Asphyxier pour régner, enfumer pour soumettre : telle fut la logique méthodique de la France coloniale en Algérie. Un crime soigneusement planifié, longtemps occulté, aujourd’hui révélé par le documentaire « L’Algérie… sections armes spéciales » de Claire Billet.

Diffusé jeudi soir sur la Télévision algérienne, ce film lève le voile sur l’emploi d’armes chimiques par l’armée française de 1830 jusqu’aux dernières années de la guerre d’indépendance, entre 1957 et 1959. Ce documentaire brise un silence vieux de cent cinquante ans et met en lumière une politique d’extermination longtemps niée : l’usage massif de gaz de combat pour anéantir les populations algériennes, civiles et combattantes.

Dès la conquête de 1830, la France s’est servie du gaz comme d’une arme pour asphyxier des familles entières réfugiées dans des grottes, des montagnes kabyles jusqu’aux crêtes déchiquetées des Aurès. Le film documente cette guerre secrète, conduite avec une minutie implacable, qui s’inscrivait dans la continuité des pratiques de colonisation de la première heure. La stratégie consistait à frapper sans bruit, à tuer sans trace apparente, en utilisant des gaz lacrymogènes modifiés ou des substances asphyxiantes, au mépris des conventions internationales.

Ce n’est pas un dérapage militaire. Ce n’est pas une bavure. C’est une politique méthodique, pensée, expérimentée, validée et généralisée par l’état-major français. Les archives exhumées par l’historien Christophe Lafaye, malgré l’opacité et les obstacles bureaucratiques, prouvent la mise en œuvre d’un véritable programme d’extermination chimique. Ce dernier s’est consacré pendant sept ans à la recherche d’archives, épluchant des milliers de documents dans les cartons des Archives nationales, fouillant les caves des anciens soldats, dénichant des carnets opérationnels dans les greniers des descendants de militaires. Sa quête minutieuse a permis de reconstituer un puzzle glaçant.

Parmi ces documents, une correspondance du 21 mai 1956 révèle une autorisation donnée par le secrétaire d’État à l’armée de terre, validée par le ministre résident en Algérie. Le sujet du courrier est sans équivoque : « Utilisation des moyens chimiques ». Il est précisé que le colonel des armes spéciales a reçu un accord de principe pour l’emploi de ces armes en Algérie. Quelques mois plus tard, l’état-major dresse un premier bilan : la politique générale d’emploi des armes chimiques est formalisée, l’infection des grottes par grenade est recommandée, et les stocks hérités de la Première Guerre mondiale sont mobilisés. Il est question de chloracétophénone et de grenades sternutatoires, utilisés pour asphyxier les maquisards de l’ALN et les civils suspectés de les soutenir.

Une guerre chimique contre les civils

Entre 1957 et 1959, l’armée française multiplie les opérations dans les zones rouges des Aurès et de la Kabylie. Selon Christophe Lafaye, plus de 119 unités spécialisées sont créées pour mener ces opérations de gazage. Les méthodes sont d’une brutalité inouïe : les soldats bouchaient les entrées des grottes, puis y injectaient des gaz toxiques. L’asphyxie était lente, atroce. Des familles entières succombaient dans l’ombre des cavités, sans aucune chance de s’enfuir.

Un ancien militaire, Jean, ayant passé 28 mois en Algérie, dont 10 mois en « section grotte » dans le massif des Aurès, témoigne dans le film. « La grotte, on savait qu’il fallait la fouiller. Plus vite elle serait fouillée, plus vite on en finirait. On ne posait pas de questions. On entrait, on gazait. Et si possible, on faisait sauter l’entrée après », a-t-il avoué.

Les chiffres avancés sont glaçants. Christophe Lafaye estime entre 8 000 et 10 000 opérations de gazage dans les grottes algériennes. À peine 440 ont pu être documentées précisément à ce jour. Ce chiffre ne représenterait qu’environ 5 % des actions menées, preuve de l’ampleur de l’occultation.

« Plus de 100 unités spécialisées, les sections armes spéciales, sont créées partout en Algérie. Elles utilisent systématiquement les gaz toxiques. On passe d’un emploi limité à une pratique généralisée à partir de 1957. Face aux 90 000 combattants algériens, l’armée reçoit carte blanche : zones interdites, déplacements forcés, torture, armes chimiques… Le terme de guerre chimique prend alors tout son sens », a précisé la même source.

Le Protocole de Genève de 1925 interdit pourtant l’emploi d’armes chimiques en guerre. Mais la France, tout comme d’autres puissances coloniales, a continué à développer ces armes dans le plus grand secret. Olivier Lepick, spécialiste des armes chimiques, explique que « l’arme chimique est associée au poison, à une mort douloureuse. Depuis l’Antiquité, son usage est prohibé. Et pourtant, la France, comme les États-Unis, l’URSS ou la Grande-Bretagne, avait des programmes secrets, très discrets dans le cas français. »

Mandaté par le ministère français de la Défense pour écrire l’histoire officielle de ce programme, Lepick reconnaît lui-même que l’accès aux archives est aujourd’hui bloqué. Il dénonce un « paravent derrière lequel on s’abrite pour éviter de mettre à jour certains secrets, qui sont historiques et non technologiques ».

Les preuves s’accumulent, dans les journaux de marche, les ordres militaires, les comptes-rendus opérationnels, soigneusement conservés dans les archives publiques françaises, bien que difficilement accessibles.

Aurès, l’enfer chimique

Le documentaire replace cette guerre chimique dans la longue histoire coloniale française. Dès 1845, le général Pélissier ordonne l’enfumage de la grotte de la Dahra, provoquant la mort de 1 200 membres de la tribu des Ouled Riah. Le général Saint-Arnaud s’en vantait en 1852 dans l’Ouarsenis. « Nous avons enfumé 500 bandits dans leurs trous », a-t-il déclaré.

« La grotte, on savait qu’il fallait la fouiller. Plus vite elle serait fouillée, plus vite on en finirait. On n’en parlait pas, question de conscience. Si vous posiez des questions, vous ne rentriez pas. C’était ça : la fouiller, la gazer et, si possible, faire sauter l’entrée. Quand elle était occupée, c’était plus difficile, mais ils savaient qu’ils allaient mourir gazés. Ils se rendaient, après, ce n’était plus notre ressort », a confié Jean, qui a passé 28 mois en Algérie, dont 10 mois au sein d’une section spécialisée dans les grottes, dans le massif des Aurès.

Le documentaire s’appuie sur un compte-rendu de septembre 1956 de l’état-major des Armées, confirmant « une politique générale d’emploi des armes chimiques en Algérie ». L’objectif était d’asphyxier les combattants réfugiés dans les grottes, de les capturer ou de les tuer, et de rendre ces abris inutilisables. Le film donne aussi la parole à des survivants algériens de la grotte de Ghar Ouchettouh, dans les Aurès, gazée le 22 mars 1959 avec près de 150 villageois à l’intérieur.

La question de la reconnaissance officielle des crimes coloniaux, en particulier de l’usage des armes chimiques, reste entière. Emmanuel Macron, qui avait reconnu en 2017 la nature « criminelle » de la colonisation française, garde le silence sur ce dossier précis.

De nombreux Algériens appellent à une reconnaissance franche. Ils demandent non pas la vengeance, mais la vérité, comme préalable à toute réconciliation sincère. Les témoignages poignants des survivants, les preuves accumulées, les travaux d’historiens comme Christophe Lafaye imposent une nouvelle lecture de la guerre d’Algérie, débarrassée des euphémismes d’usage.

 

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