Législatives algériennes de 2012 ou le manque d’imagination

Les élections législatives se sont déroulées en Algérie le 10 mai 2012 dans le calme et une relative indifférence. Les gens étaient trop occupés à profiter de cette journée ensoleillée pour penser à la chose politique, la chose la plus abhorrée en Algérie. Les observateurs des Nations Unies, de l’Union européenne, de la Ligue Arabe […] L’article Législatives algériennes de 2012 ou le manque d’imagination est apparu en premier sur Algérie Focus.

Jun 6, 2024 - 18:15
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Les élections législatives se sont déroulées en Algérie le 10 mai 2012 dans le calme et une relative indifférence. Les gens étaient trop occupés à profiter de cette journée ensoleillée pour penser à la chose politique, la chose la plus abhorrée en Algérie. Les observateurs des Nations Unies, de l’Union européenne, de la Ligue Arabe et de l’Organisation de la Conférence islamique ont sans doute été étonnés moins par l’apathie ambiante que  par la  liberté totale à la limite de l’anarchie d’une société algérienne presque entièrement acquise de gré ou de force aux valeurs du néolibéralisme le plus sauvage et refusant jusqu’au rôle régulateur de l’Etat.

Le gouvernement et une partie des médias internationaux ont voulu donner à cet évènement assez banal une certaine importance en le liant au contexte régional et sous-régional marqué par ce que l’on appelle le “Printemps arabe”.  Trop de bruit pour rien aurait dit Shakespeare. Le taux de participation au scrutin est le principal enjeu : celui-ci est un brin au dessus de 42 %, soit supérieur aux 34 % des législatives de 2007.

Le résultat des législatives algériennes de 2012 est assez décevant puisque outre l’immense gaspillage de papier (les électeurs devaient choisir entre au moins deux douzaines de feuilles, voire plus), il illustre un manque flagrant d’imagination au pouvoir et l’absence totale de stratégie.

D’après les résultats diffusés, le FLN  décroche  220 sièges sur les 462 sièges que compte le Parlement algérien. Une première depuis plus de trente ans. Il est suivi par le  RND (Rassemblement National Démocratique) du premier ministre Ahmed Ouyahia (celui qui a conseillé au premier ministre turc Tayep Reçep Erdogan de fermer sa g…lorsqu’il a voulu exploité l’histoire algérienne à des fins politiciennes) avec 68 sièges, puis l’Alliance de l’Algérie verte -AAV (coalition islamiste) avec 48 sièges. Le FFS, Front des Forces Socialistes du leader historique Hocine Ait ahmed, qui participe aux élections après un boycott de quelques années a obtenu 21 sièges tandis que le PT (Parti des Travailleurs) de Mme Louiza Hanoune (extrême gauche) est crédité de 20 sièges. Les indépendants sont les grands perdants de ce scrutin puisqu’ils n’ont pu obtenir que 19 sièges. Les autres formations politiques comme le FNA (Front National Algérien) et El-Adala ont respectivement 9 et 7 sièges, le MPA, 6, El Fedjr, 5, le front du Changement FC et le PNSD (Parti national de Solidarité et de développement) chacun 4 sièges. Trois autres partis (RA, FNSJ, AHD54) ont eu entre 3 et 4 sièges.

Les islamistes ont bien été laminés et effectivement ces partis qui exploitent la franchise d’une grande religion monothéiste n’ont plus vraiment la cote dans ce pays depuis que l’islamisme, définie par Roger Garaudy comme “la maladie de l’Islam”, est devenu un outil géopolitique utilisé par les grandes puissances pour atteindre et sécuriser leurs objectifs stratégiques. Par contre la victoire du FLN (Front de libération nationale) demeurera incompréhensible, voire illogique tant ce parti ne représente plus grand chose. Le FLN actuel n’a absolument plus rien à voir avec le FLN historique qui a eu un certain rôle dans la guerre d’indépendance.

On notera que bien avant ce scrutin, une guerre de leadership a éclaté au sein du FLN. Partage de butin ? Fausse manœuvre orchestrée visant à tromper les observateurs que nous sommes ou crise chronique ?  La réponse à cette question est liée à une certaine indigence affectant durablement l’imagination politique. Faute de mieux, on pare au plus pressé en adoubant la médiocrité.

Les jeunes se désintéressent de plus en plus de la politique. Un effet collatéral des réformes et contre-réformes d’un système éducatif aberrant et basé sur le résultat au détriment de la qualité. L’Algérie est donc un grand pays, une puissance régionale ayant un fort potentiel mais manquant cruellement d’imagination et en panne d’idées.

Parmi les douze millions d’électeurs qui n’ont pas voté, certains l’ont fait par pure indifférence ou par lassitude, d’autres parce qu’ils ne disposent d’aucune résidence fixe (ils seraient les plus nombreux) ou parce que l’administration a refusé leur inscription et enfin celles et ceux qui ont délibérément boycotté le scrutin.

La France, dirigé par un socialiste, a favorablement accueilli la victoire du FLN (membre de l’internationale socialiste). L’Espagne également mais pour des raisons économiques, ce pays en faillite cherche désespérément des débouchés pour ses entreprises en Algérie. Les Etats-Unis d’Amérique et l’Union européenne sont ravis de voir 145 femmes députées au prochain Parlement algérien. C’est peut-être le seul point positif de ce scrutin. Encore que le taux de 31% coïncide trop avec le quota imparti aux femmes dans les sables mouvants de la politique algérienne. Ce qui n’est pas sans soulever quelques doutes.

Dans une analyse à chaud, Lahouari Addi a identifié deux grands perdants de ces législatives : le président et le FFS.  En effet, durant les jours ayant précédé le scrutin, le président n’a cessé de répéter, non sans un certain sens de l’humour et de la répartie  qu’une certaine génération de septuagénaires confirmés a fait son temps et qu’elle se doit de transmettre le témoin. Un bémol toutefois : les islamistes à la « sauce bazar » ont en eu pour leur grade. C’est l’un des seuls points positifs de ce scrutin.

Si la posture paraît sauve en ces temps troubles marqués par des restructurations destructrices de l’environnement géopolitique immédiat, la menace que cela induit ne peut être érigée en prétexte pour perpétuer des pratiques d’un système que l’on croyait cliniquement mort.  C’est assez décevant de constater qu’ayant le potentiel d’une puissance régionale, l’Algérie se refuse d’assumer ce rôle et préfère se morfondre dans une posture acquise au lendemain de l’indépendance en excluant toute évolution. Or le facteur de l’évolution est inhérent à tout système autopoïétique afin d’assurer sa survie et réduire l’entropie. On ne peut évoluer à contresens. Cela s’appelle une régression.

Il existe un consensus assez large en Algérie sur le refus absolu de toute ingérence étrangère, fut-elle la remarque assez déplacée d’un plénipotentiaire du régime d’Ankara. On consent généralement à concéder que la situation de l’Algérie n’a rien à voir avec celles des régimes autocratiques à la limite de la caricature qui prévalaient en Tunisie, en Égypte, en Libye et ailleurs dans le monde dit arabe. D’ailleurs tous emportés par ce coup de vent nommé par euphémisme « Printemps arabe ». Soit. Mais est-ce logique d’exploiter cette épée de Damoclès pour perpétuer et confirmer un cheval boiteux et borgne à un cavalier rapide comme l’éclair? Nos gouvernants ont-il oublié que la cavalerie numide était l’une des meilleures cavaleries de l’antiquité ?

La tentative de lier ce scrutin à celui de 1991 est assez maladroite et reflète l’absence de perspective autre que celle rétrograde, liée à un certain point de repères qui aurait du rester par pertes et profits. Lequel n’est pas celui des populations mais d’une certaine faction parmi tant d’autres ayant eu ou exerçant une partie du pouvoir.  Les jeunes générations d’aujourd’hui, notamment celles qui ont vingt ans en 2012, étaient trop jeunes pour se rappeler la guerre civile et encore moins pouvoir décrypter l’allusion à cette période troublée de l’histoire contemporaine.

Il aurait pu y avoir autant de résultats que d’options. Il semble que l’on ait choisi la moins compliquée des options et de l’insérer dans la symbolique du cinquantenaire de l’indépendance. Une indépendance très chèrement acquise après une terrible guerre de presque huit ans durant laquelle les populations civiles algériennes connurent toutes les atrocités et autres drames inhérents à l’esprit du concept de la guerre totale européenne.

C’est donc un résultat qui se veut avant tout symbolique, cinquante ans après l’indépendance du pays. Sauf que le FLN déjà laminé de 1962 n’est pas la lourde machinerie d’apparatchiks incapable d’appréhender les défis auxquels doit faire face l’Algérie contemporaine de 2012. Tôt ou tard, il va falloir vraiment innover et poursuivre une certaine grandeur au lieu de se contenter de peu. Le monde n’est pas figé, il est en éternel changement.

Wissem Chekkat

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