L’historien Fouad Soufi au Jeune Indépendant : « Larbi Ben M’hidi a sauvé le Congrès de la Soummam »
Le Congrès de la Soummam, ancré dans l’élan révolutionnaire de l’appel du 1er novembre 1954, incarne la détermination inébranlable des militants du mouvement de la libération national à conquérir l’indépendance. Il s’agit aussi de poser les balises de la voie menant à la naissance d’une Algérie libre et souveraine. Dans cet entretien, l’historien chercheur Fouad Soufi […] The post L’historien Fouad Soufi au Jeune Indépendant : « Larbi Ben M’hidi a sauvé le Congrès de la Soummam » appeared first on Le Jeune Indépendant.
Le Congrès de la Soummam, ancré dans l’élan révolutionnaire de l’appel du 1er novembre 1954, incarne la détermination inébranlable des militants du mouvement de la libération national à conquérir l’indépendance. Il s’agit aussi de poser les balises de la voie menant à la naissance d’une Algérie libre et souveraine.
Dans cet entretien, l’historien chercheur Fouad Soufi explore pour Le Jeune Indépendant les motivations et les enjeux derrière cet événement fondamental, à l’instar du besoin d’unification des forces nationalistes et l’élaboration d’une stratégie politique et militaire édifiante. Il aborde aussi les rôles des leaders présents, notamment ceux d’Abane Ramdane et de Larbi Ben M’hidi, mettant en lumière des dynamiques internes complexes et souvent méconnues.
A travers son analyse des stratégies adoptées et des effets à long terme sur la guerre de libération et la politique algérienne post-indépendance, il révèle comment cet événement a façonné la dynamique du mouvement indépendantiste et continue d’influencer la mémoire collective nationale. L’historien invite ainsi les lecteurs à réfléchir sur l’héritage du Congrès de la Soummam. Une date dont les répercussions continuent d’influencer le discours sur l’identité nationale et l’histoire contemporaine de l’Algérie, tout en laissant entrevoir des questionnements encore ouverts sur les défis de l’indépendance.
Le Jeune Indépendant : Tout d’abord, quelles étaient les principales motivations derrière la tenue du Congrès de la Soummam en 1956 ?
Fouad Soufi : Parmi les principales motivations, il en existe au moins une, essentielle, à savoir doter le FLN et l’ALN, ainsi que la Révolution en général, d’un programme, d’une direction et de structures politiques et militaires.
Il faut se souvenir que les militants qui avaient déclenché la lutte armée pour la libération le 1er Novembre 1954, s’étaient promis de se retrouver en janvier 1955. Les éloignements, les arrestations et les morts au combat des uns et des autres, ajoutée à cela la quête des armes qui a mobilisé certains d’entre eux loin du pays, ont rendu difficiles les contacts et encore plus les réunions.
Par contre, la mobilisation d’anciens cadres et militants de l’O.S (Organisation secrète) et l’inlassable politique de rassemblement de toutes les forces nationales ont renforcé non seulement le caractère national du mouvement mais également sa représentativité.
Enfin, durant cette sorte de première phase de la lutte, il faut insister sur le travail d’information et d’explication à l’extérieur du pays, donc à l’international. Il est important de rappeler que Tito, Nasser et Nehru s’étaient réunis à Brioni (ex-Yougouslavie) et avaient apporté leur soutien à l’Algérie, le 18 juillet 1956, un mois avant le Congrès de la Soummam. C’est la conjonction de tous ces développements qui ont rendu possible et nécessaire la tenue d’une réunion, d’un congrès (le premier) du F.L.N.
En termes de structuration militaire et de lutte lors de ce congrès, quelles stratégies militaires ont été discutées et adoptées ? Et comment cela a affectées la lutte armée contre le colonialisme français ?
La seule chose que je peux me permettre de dire est que, face à une armée aussi puissante, il ne peut y avoir d’affrontement direct. Seules des actions de guérilla, des harcèlements et des sabotages, ainsi que la mobilisation de la population, pouvaient ébranler cette lourde machine de guerre que le gouvernement français avait installée dans tout le pays.
Le Congrès de la Soummam est ancré dans la culture mémorielle en tant que réunion historique qui a fédéré les mouvements nationalistes. Pourriez-vous expliquer en quoi il a contribué à l’unification des différentes factions au sein du mouvement indépendantiste ?
Peut-on parler de factions ? Au sein du MTLD peut-être. Toute l’action qui a précédé et préparé le Congrès a été ces rapports avec des partis politiques qu’il fallait convaincre et rallier. Donc, du point de vue militaire, le Congrès a organisé l’A.L.N. : les responsabilités et les grades, les salaires, les katibas, etc… Du point de vue politique, le Congrès a donné à la Révolution, une direction le Comité de Coordination et d’Exécution (C.C.E.) et une sorte de parlement le Conseil National de la Révolution Algérienne (C.N.R.A.).
Dans l’extrait du procès-verbal que tout le monde peut consulter dans le numéro 4 d’El Moudjahid (édition yougoslave), les deux principes (ou tenus pour tels) ont été retenus beaucoup plus tard : « la primauté du civil sur le militaire et la primauté de l’intérieur sur l’extérieur ». Le cours de la guerre en a décidé autrement.
Pourriez-vous nous expliquer comment les leaders nationalistes ont influencé les décisions prises lors du Congrès ?
Je pense qu’aujourd’hui il serait intéressant historiquement de poser la question : Qui sont donc ces leaders ? A ce niveau un gros travail est encore à faire me semble-t-il. Aujourd’hui on évoque les Six, en passant sous silence les Trois du Caire mais qui n’ont pas participé au Congrès pour des raisons peut-être mal élucidées. Que dire de tous ceux qui n’ont pas participé au Congrès mais qui occupaient des places importantes dans leurs zones respectives ? Que dire de ceux qui étaient présents mais qui n’ont pas participé ? Il est au moins deux autres questions. Comment expliquer l’ascension d’Abane Ramdane ? Comment expliquer le fait que Larbi Ben M’hidi a quitté sa zone pour s’installer à Alger ?
Par ailleurs, on comprend bien pourquoi la zone 2 était représentée par deux personnes, son chef Zighout Youcef et l’adjoint de ce dernier Lakhdar BenTobbal. L’initiative de cette réunion revenait à Zighout. Elle devait se tenir chez lui. On connaît la suite Kalaa des Bani Abbès puis Ighzer Amokrane (Ifri). Mais c’est Abane Ramdane et Larbi Ben M’hidi qui viennent avec des textes écrits, qu’il faudra retrouver un jour quoique l’on sache où se trouvent certains.
D’autre part, les principaux rédacteurs n’ont pas participé à ce qui est devenu un Congrès. Seuls ces leaders étaient présents. Ceci dit, il y a un leader (je préfère le mot militant et /ou responsable) dont le rôle lors du Congrès me semble avoir été sous-estimé, c’est bien Larbi Ben M’hidi. Il n’a été retenu de lui que son rôle de président. Or, lorsqu’à trois reprises, le secrétaire de séance, Abane Ramdane a été mis en minorité, à trois reprises Larbi Ben M’hidi a préservé, sinon même sauvé le Congrès.
Quels ont été les effets à long terme du Congrès de la Soummam sur l’évolution de la guerre d’Algérie et sur la politique post-indépendance ?
Pour préciser ce que je viens de dire, un an après, lors de la réunion du C.N.R.A. au Caire le 20 août 1957, certaines décisions politiques ont été annulées. L’assassinat de Larbi Ben M’hidi a fragilisé la position de Abane Ramdane, la suite on la connaît. L’étape principale fut le 18 septembre 1958 la formation du G.P.R.A. (Gouvernement provisoire de la république algérienne).
La désignation de Ferhat Abbas, même si elle a été qualifiée de tactique, est tout de même quelque part une sorte de victoire posthume de Abane Ramdane.
Après l’Indépendance, la question est plus délicate. La question sociale, le parti unique, la question de la langue arabe et de la religion, la réforme agraire, les nationalisations notamment peuvent faire partie de l’héritage du Congrès. Mais à l’époque la question de l’éventuel départ des Européens ne se posait pas.
Selon vous, qu’elle a été, après coup, l’évaluation du congrès par les acteurs du mouvement, en termes de succès ou d’échecs ?
Un rapide (donc insuffisant parce qu’incomplet) sondage dans El Moudjahid (édition yougoslave) montre que le Congrès de la Soummam est une date dans les chronologies rappelant les hauts faits de la Guerre de libération nationale. En fait, ce serait un bon sujet de thèse de recherches.
Au final, quel serait l’héritage du Congrès de la Soummam dans la mémoire collective nationale ?
La question est intéressante en ce sens que m’est apparue cette distinction à faire entre la mémoire collective nationale et l’histoire. Mémoire et histoire ne sont pas interchangeables. Il me semble que le souvenir du Congrès est inscrit dans la mémoire collective nationale grâce aux efforts de l’Etat par le truchement d’une loi et par les traditionnelles commémorations annuelles. Mais comme il y a deux 20 août (1955 et 1956) chacun trouve sa part et on évite de trop parler du troisième 20 août, celui de 1957. Finalement, c’est encore l’histoire et le travail des historiens qui peuvent, pourront et sauront remettre cet événement à sa place, sa juste place dans la lutte pour la libération nationale.
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