Boukhalfa Amazit, journaliste et historien au Jeune Indépendant: «L’Algérie et la France doivent réparer les blessures du passé »
Les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962 au terme de longues et difficiles négociations, ont marqué la fin de la guerre de libération sanglante et préparent le terrain pour l’accession à l’indépendance de l’Algérie. Boukhalfa Amazit, journaliste et historien, examine, dans cet entretien accordé au Jeune Indépendant, les circonstances qui ont contraint le gouvernement […] The post Boukhalfa Amazit, journaliste et historien au Jeune Indépendant: «L’Algérie et la France doivent réparer les blessures du passé » appeared first on Le Jeune Indépendant.
Les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962 au terme de longues et difficiles négociations, ont marqué la fin de la guerre de libération sanglante et préparent le terrain pour l’accession à l’indépendance de l’Algérie. Boukhalfa Amazit, journaliste et historien, examine, dans cet entretien accordé au Jeune Indépendant, les circonstances qui ont contraint le gouvernement français à négocier avec le Front de libération nationale (FLN). Il met en avant le rôle déterminant des luttes populaires et de l’opinion internationale, tout en soulignant la finesse des négociateurs algériens. À l’approche du 70e anniversaire du déclenchement de la lutte armée, Amazit appelle à une réflexion sur les relations entre l’Algérie et la France, plaidant pour une réparation des blessures du passé.
Le Jeune Indépendant : Après avoir subi une colonisation génocidaire depuis 1830 et suite à plusieurs soulèvements populaires, le peuple algérien a décidé d’en découdre définitivement avec l’occupation française le 1er novembre 1954. Qu’est-ce qui a fini par contraindre le gouvernement de Charles De Gaulle à la négociation avec les délégués du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) ?
Boukhalfa Amazit : Votre question résume à elle seule toute l’histoire de la colonisation française en Algérie. Elle constitue le résumé de 132 ans d’un régime de fer et de feu qui, en l’espace d’une quarantaine d’années, soit juste après 1871, c’est-à-dire à la suite des famines de 1865 et des années suivantes, ainsi que des grands soulèvements des années 1870, aura conduit notre pays à perdre plus de 50 % de sa population. Cette tragédie résulte de la politique de remplacement qu’avait semble-t-il adoptée l’occupant.
D’aucuns, particulièrement parmi l’ancienne puissance colonisatrice, y compris certains historiens, bien que, fort heureusement, tous ne partagent pas cette vision, refusent d’ouvrir les yeux, ne serait-ce que pour lire les mémoires des généraux et officiers de l’époque. Ces derniers excellaient, comme s’il s’agissait d’une tendance littéraire, à décrire avec une précision infinie l’immense malheur qu’ils laissaient derrière eux. Ils allaient jusqu’à dresser un macabre inventaire : le nombre d’arbres abattus, de maisons détruites, de villages anéantis, d’hectares de champs brûlés, de silos éventrés, de puits obstrués ou empoisonnés, de forêts livrées aux flammes, de bibliothèques réduites en cendres, d’archives à jamais perdues, de familles emmurées vivantes, et de tribus exterminées par l’asphyxie. Voilà la véritable œuvre du colonialisme ! Il n’y en a pas d’autres.
Le 5 juillet 1830, la plus puissante armée du monde entrait dans Alger et imposait au Dey Hussein un acte de capitulation aussi humiliant que trompeur, avant de se livrer au pillage de la ville et à la chasse au trésor de la régence ottomane. Il faut aussi préciser, ce que les états-majors de l’armée de Bourmont se sont bien gardés de faire, qu’El Mahroussa n’était plus la Ville-Blanche invincible, celle qui avait repoussé toutes les armées chrétiennes venues assiéger ses murs au fil des siècles. Après les bombardements de la marine britannique en 1827, il ne restait plus que quelques chebecs dans le port d’Alger, autrefois l’un des plus redoutés de la Méditerranée. L’Empire ottoman prenait eau et les premières infiltrations commençaient à se manifester en Algérie.
Novembre 1954 marque la fin d’une époque et le début d’une autre. Le processus de libération, enclenché dès le lendemain de la prise d’Alger par l’armée coloniale, notamment avec la résistance de l’Émir Abdelkader qui dura 17 ans, ne s’est jamais éteint. Cependant, dès le début du 20ᵉ siècle, cette lutte a progressivement pris une tournure plus politique que militaire.
De Gaulle faisait croire dans ses discours qu’il était pour la négociation mais une négociation sous une forte répression, en intensifiant, au demeurant, les opérations militaires de toutes sortes contre l’ALN tout en lançant des panacées telles que le plan de Constantine. De Gaulle cherchait-il à faire retourner la population contre le FLN ou à faire pression sur les négociateurs du GPRA ?
De Gaulle, tout comme ses prédécesseurs, n’était qu’un rouage du système colonial qui dura 132 ans. À ceci près qu’il est confronté à des circonstances particulières et contraint d’agir. D’une part, par l’action volontariste et déterminée du FLN, intransigeant dans ses positions depuis novembre 1954, dont l’appel-programme avait fixé les objectifs du soulèvement et les lignes de rupture pour toute négociation. D’autre part, par l’exaspération de l’opinion internationale, qui cachait plus sa sympathie pour les révolutionnaires algériens, une opinion témoin des malheurs de ce peuple qui subissait une guerre totale, sans doute la plus violente de toute la décolonisation au 20e siècle.
Il se devait en outre tenir compte de la doxa intérieure qui a fait basculer les points de vue en faveur de la fin de la guerre. Les intellectuels, la jeunesse, les forces progressistes ont joué un rôle qui allait dans le sens de l’histoire.
Last but not least, la menace persistante de l’éclatement de son armée devenue putschiste, mettant en danger non seulement les grands équilibres politiques de son pays, mais jusque, y compris, la Cinquième république dont il a été l’auteur et l’artisan.
Pouvez-vous expliquer comment le conflit algérien a contribué à la chute de la Quatrième République française ?
De Gaulle savait que la chute de la Quatrième République était due à ce conflit et à l’incapacité de ses politiques à apporter une solution. Une armée bringuebalée depuis la défaite humiliante devant l’armée nazie en 1940, puis ridiculisée par les niakoués vietnamiens à Ðiện Biên Phủ, en 1954, harcelée enfin jusqu’à l’épuisement par les fellagas de l’ALN qui, avec des moyens dérisoires, a éreinté dans le bled, les états-majors Saint-Cyriens, jusqu’à retourner la troupe contre ses propres chefs.
Une guerre qui coûtait au contribuable un milliard de francs par jour ! Il suffit de lire l’histoire de l’OAS pour mesurer l’ampleur des ravages dans ce qui était alors considéré comme la quatrième puissance mondiale. De Gaulle n’était pas assez sybarite pour s’illusionner sur la ténacité et la détermination du FLN. Et s’il lui restait encore l’ombre d’un doute, les manifestations du 11 décembre 1960, celles du 5 juillet 1961, ainsi que celles du 17 octobre de la même année à Paris, sous ses fenêtres, l’auront dissipé quant à la volonté du peuple algérien tout entier de vivre libre et indépendant.
Beaucoup s’accordent à dire que des délégués GPRA de Melun à Evian, tel que Krim Belkacem, Rédha Malek, Lakhdar Bentobal ou autre Tayeb Boulahrouf étaient dotés d’une extraordinaire capacité en matière de négociation et de diplomatie, et ce malgré le fait que l’Algérien n’était pas encore indépendante. Pouvez-vous nous éclairer quant à cette force de persuasion et de maîtrise du dossier affichées par les négociateurs algériens face à leurs homologues français ?
La guerre révolutionnaire est un tout. L’action armée n’est qu’un aspect de ses activités. Jamais l’ALN n’a envisagé une victoire militaire contre la quatrième puissance militaire du monde. Mais les responsables en véritables experts de la communication, savaient articuler, le politique, le militaire, et diplomatique, le culturel et même le sportif.
Les négociateurs qui ont été dépêchés pour rencontrer la partie française, savaient qu’ils auraient à faire avec des hommes rompus aux négociations internationales au sens des actes et des mots, chargés de valeurs juridiques, chaque faux pas se paie non dans l’immédiat mais à plus ou moins long terme. Ce n’est pas un hasard si 62 ans, bientôt 63 ans, après les accords d’Evian des politiques de l’ancienne puissance colonisatrice les évoquent encore et toujours, parce que cela n’est pas nouveau, et demandent leur révision. Alors que cela s’est fait moult fois depuis 1968 à nos jours.
A Evian, comme dans les rounds qui ont précédé les accords définitifs du 18 mars 1962, les représentants du FLN avaient pour boussole les fameux quatre points de rupture, énoncés dans le texte fondateur de l’appel du 1ernovembre 1954. Tout peut se négocier hormis l’unité du territoire, l’unité du peuple, le FLN seul et unique représentant du peuple algérien et négociations puis cessez-le-feu et non l’inverse.
Nous commémorons le 70e anniversaire du déclenchement de la lutte armée, quel bilan devrions-nous faire sur ces accords notamment sur le chapitre des relations entre l’Algérie et la France après l’indépendance ?
Ces accords que des journalistes français avaient, au temps de leur signature, qualifiés de chef-d’œuvre juridique, étaient un cadre général pour mettre fin à un conflit meurtrier qui avait duré sept ans et demi et une colonisation de peuplement toute aussi exterminatrice, de 132 années.
L’idéal eut été que les deux pays voisins qui ont partagé cette histoire douloureuse, regardent l’avenir avec l’ambition profonde et sincère, ils doivent réparer les blessures du passé. Or, il pénible de constater que 62 ans après l’indépendance, 70 ans après le premier novembre, il y’a de gens qui se trouvent encore dans l’ancienne puissance colonisatrice, ainsi que l’écrivait la professeure Christiane Chaulet Achour, « comme un courant qui empêche les évolutions nécessaires quant à l’évaluation du passé colonial, pour que les cadavres de l’OAS et de l’Algérie française n’empuantissent l’atmosphère (…) Il faut débloquer l’histoire ».
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