Parlement français : chambre à coucher et d’enregistrement devenue introuvable
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Une contribution de Khider Mesloub – La démocratie bourgeoise repose sur le parlementarisme. Autrement dit, pour prendre le cas de la France, l’Assemblée nationale. Une institution législative dénommée également Chambre parlementaire.
Depuis toujours, pour caractériser, de manière péjorative, l’absence de toute influence notable sur la vie politique d’une chambre parlementaire, d’aucuns emploient le terme chambre d’enregistrement.
Dans une démocratie où l’Assemblée nationale, c’est-à-dire le pouvoir législatif, se cantonne à valider et enregistrer les lois dictées par l’Exécutif, on parle ainsi de chambre d’enregistrement.
Au sein de cette chambre d’enregistrement composée de députés entièrement soumis au pouvoir exécutif, l’opposition est soit muselée, soit inexistante. Le Parlement se contente exclusivement de valider les textes gouvernementaux, sans grande marge de manœuvre. En l’espèce, le Parlement n’a pas de rôle politique à jouer, son rôle étant simplement une formalité.
D’aucuns qualifient un tel fonctionnement parlementaire d’antidémocratique, du fait de la soumission totale au pouvoir totalitaire de l’Exécutif. De l’absence des séparations de pouvoir.
Pour ma part, j’ai toujours considéré la démocratie parlementaire bourgeoise comme une imposture. La démocratie est la forme idoine de domination politique de la classe bourgeoise. Elle ne permet jamais au peuple d’accéder au pouvoir, totalement concentré entre les mains des classes possédantes.
Surgie à la suite de la lutte du Tiers-Etat contre le féodalisme, la démocratie parlementaire devient très rapidement une arme contre les antagonismes de classes qui se développent au sein de la société bourgeoise. La démocratie bourgeoise réussit d’autant mieux à remplir sa mission mystificatrice parmi la population qu’elle est épaulée par la petite bourgeoisie, dont l’importance n’a cessé de croître dans la vie économique, donc de la vie politique.
En Europe, dès le début de l’accession de la bourgeoisie aux rênes du pouvoir, dans sa phase embryonnaire de domination formelle, par crainte de livrer l’État à son ennemi, le peuple, la bourgeoisie instaure un parlement fondé sur le suffrage censitaire pour maintenir le peuple à distance.
Dès l’époque de son éclosion, la démocratie marchande est ainsi restrictive : son exercice verrouillé par la classe dominante, son action politique corsetée par l’argent, sa souveraineté despotique assurée par son armée et sa police.
A la fin du XIXe siècle, après avoir consolidé sa domination sur la totalité de la société, pour mieux mystifier le peuple, en particulier dans les pays développés en proie à l’âpreté de la lutte des classes, la bourgeoisie eut l’ingénieuse idée d’associer électoralement (non politiquement ni économiquement : la différence est importante) le peuple à son système régalien de gouvernance. Mais à une condition fondamentale : à aucun moment ce «privilège électoral», formellement concédé par les représentants du capital, ne doit servir de tremplin aux classes populaires pour remettre en cause la hiérarchie des pouvoirs de la société de classes, ni le mode de production capitaliste, ni la propriété privée, ni le salariat.
Autrement dit, la démocratie bourgeoise parlementaire constitue, depuis sa création, une mascarade permettant d’associer les prolétaires à la reproduction sociale de leur exploitation et aliénation.
Avec l’institutionnalisation de la démocratie libérale domestiquée au XXe siècle, certes, les «citoyens» peuvent user «librement» de leur droit d’expression, mais c’est la bourgeoisie qui dicte et contrôle la pensée de cette expression politique au moyen de ses appareils idéologiques de conditionnement mental, notamment par le truchement du système scolaire et les organes médiatiques.
A plus forte raison à notre époque dans laquelle le débat politique s’est aseptisé, chloroformé. Le débat est principalement encadré par les instances de propagande scolaire et médiatique, instruments d’uniformisation de la pensée unique hégémonique.
La démocratie est la feuille de vigne derrière laquelle se dissimule la dictature du capital.
Au vrai, il ne peut exister de démocratie sous la dictature capitaliste, mode de production par essence fondé sur l’exploitation, l’oppression, la répression, comme l’illustre notre époque marquée par le durcissement autoritaire, le despotisme étatique, la fascisation rampante des pays occidentaux.
Aussi la démocratie bourgeoise, incarnée par le Parlement, est-elle une imposture. Car le parlement a toujours été, comme on l’a rappelé plus haut, une simple chambre d’enregistrement.
Pire, dans de nombreux pays, notamment la France, le Parlement a été transformé en «chambre à coucher» où les puissants se servent des députés comme des «p… politiciennes» (péripatéticiennes) tout juste bonnes à satisfaire tous leurs désirs, autrement dit à avaliser les lois servant leurs intérêts économiques et financiers. A se plier à la volonté de leurs maîtres. Qu’on songe à l’usage récurrent du despotique article 49.3 par la clique mafieuse gouvernementale installée à l’Elysée et à Matignon. La classe dominante française ne s’encombre plus de fioritures législatives, de ce gadget parlementaire superflu.
De nos jours, crise économique, tensions militaires internationales et marche à la guerre obligent, partout dans le monde, notamment en France, la démocratie bourgeoise devient un fardeau pour les capitalistes et leurs classes dirigeantes. En particulier dans les pays développés occidentaux, comme l’illustre la France où son Parlement est devenu une chambre introuvable.
En effet, dans le même temps où la classe dominante française procède à la militarisation de la société, symbolisée par le musèlement de toute voix dissidente, la caporalisation des esprits et la criminalisation de toute militance antisystème ou antisioniste, elle s’emploie également à néantiser le Parlement. Aujourd’hui, en France l’Assemblée nationale est devenue l’ombre d’elle-même. Elle est introuvable.
Curieusement, au moment où la «Grande muette» affirme son bon droit à faire parler bruyamment ses armes, où ses représentants galonnés assiègent les plateaux télé pour débattre librement des options militaires à adopter et prôner l’envoi des troupes contre la Russie, le Parlement français, lui, perd éloquemment la parole. Devient mutique. Introuvable. A croire que la «Grande muette» est devenue le vrai «Parlement» de la France. Et le Conseil de défense, ce cabinet noir dirigé par Macron, le véritable pouvoir.
En d’autres termes, le Parlement comme le gouvernement sont réduits à faire de la figuration. Ils n’ont plus aucun pouvoir exécutif et législatif. La preuve, la classe dominante française n’a plus de gouvernement officiel ni d’Assemblée nationale opérationnelle. Elle est devenue une Assemblée d’opérette. Et le gouvernement, un gouvernement fantôme. Il est officiellement démissionnaire. Pourtant, il poursuit son activité fantomatique, avec les mêmes spectres macronistes honnis.
Cela étant, la tendance dominante contemporaine au sein de chaque pays occidental, notamment de France, est à la désagrégation de la classe dirigeante. Celle-ci est de plus en plus divisée en cliques rivales, chacune faisant passer ses propres intérêts avant les besoins du capital national. Ces crispations et dissensions placent la bourgeoisie dans une position périlleuse car elle éprouve des difficultés à s’imposer une discipline gouvernementale et à unifier ses forces pour maintenir sa cohésion. De là s’explique la perte de contrôle global de son appareil politique.
En France, l’Assemblée nationale est devenue une «chambre introuvable» car l’époque n’est plus aux stériles pacifiques débats mais aux offensifs militaires combats. Or, la Ve République française ne fait que se conformer à cette réalité dominée par la programmation et l’organisation de la guerre nécessitant la neutralisation du Parlement.
Quoi qu’il en soit, il ne faut pas perdre de vue que le régime politique français de la Ve République est d’inspiration militaire. Il est l’œuvre d’un coup d’Etat ourdi par le général De Gaulle, un personnage longtemps proche de l’extrême droite. Un régime gaulliste, renforcé par une Constitution truffée d’articles garde-fous bonapartistes, bâti pour s’adapter aux situations de guerre sociale à l’intérieur et aux guerres nationales et coloniales à l’extérieur.
Selon la conception constitutionnelle gaullienne d’inspiration bonapartiste, en vertu des séparations du pouvoir, un gouvernement ne devrait absolument pas émaner d’une quelconque majorité de l’Assemblée, mais être nommé par le président (et qui dit président, dit Grand capital). Et ce gouvernement ne doit rendre des comptes seulement au président. Mieux, le président et son gouvernement ne doivent pas dépendre des partis. Ni, à plus forte raison, d’un bloc de partis.
Cette conception bonapartiste de la gouvernance a été théorisée dès la Libération par De Gaulle. En particulier dans son discours de Bayeux (6 juin 1946). En effet, le général De Gaulle, encore imprégné par la mentalité de guerre et terrifié par la perspective de la révolution sociale déclenchée par le prolétariat sous la direction du puissant Parti communiste français inféodé à Moscou, avait énoncé sa conception bonapartiste de la gouvernance dès 1946. «Du Parlement, composé de deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif, il va de soi que le pouvoir exécutif ne saurait procéder (…) C’est donc du chef de l’Etat, au-dessus des partis (…) que doit procéder le pouvoir exécutif. Le président et son gouvernement ne doivent pas dépendre des partis.»
Actuellement, notamment en France, en particulier depuis février 2022, c’est la guerre qui, de nouveau, dicte le tempo. C’est la guerre qui impose son programme politique meurtrier, son agenda économique militariste, son système de pensée chauviniste et caporaliste.
Par la dissolution de l’Assemblée nationale, Macron ne fait que se conformer à la conception bonapartiste du général de Gaulle, pour qui le parlementarisme doit être mis en sommeil, pour ne pas dire mis au pas. En particulier en période de tensions militaires, pour pouvoir réveiller en toute sérénité l’esprit de guerre de la population, la conduire à accepter tous les sacrifices, sans devoir rendre des comptes aux députés.
Pour visibiliser la perspective de la guerre, la bourgeoisie française doit invisibiliser l’Assemblée nationale. La néantiser.
L’anéantissement socioéconomique et militaire de la population doit être précédé par la néantisation de son institution censément représentative : l’Assemblée nationale.
K. M.
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