Smaïl Chertouk : « L’Algérien n’a pas envie d’être anodin, de traverser le réel sans avoir existé ».
Smaïl Chertouk est l’auteur, avec Sarah Handala, de l’abécédaire amusé « L’Algérie, tu l’aimes ou tu la kiffes ! » (édité chez Day Z).Un ouvrage dans lequel le scientifique de formation tente d’expliquer, avec humour et par les mots – une cinquantaine d’entrées lexicales -, une Algérie à la fois ancestrale et contemporaine. Entretien avec […] L’article Smaïl Chertouk : « L’Algérien n’a pas envie d’être anodin, de traverser le réel sans avoir existé ». est apparu en premier sur Dzair World.
Smaïl Chertouk est l’auteur, avec Sarah Handala, de l’abécédaire amusé « L’Algérie, tu l’aimes ou tu la kiffes ! » (édité chez Day Z).Un ouvrage dans lequel le scientifique de formation tente d’expliquer, avec humour et par les mots – une cinquantaine d’entrées lexicales -, une Algérie à la fois ancestrale et contemporaine. Entretien avec un esprit éveillé qui n’a pas ses langues dans sa poche.
Comment le projet « L’Algérie, tu l’aimes ou tu la kiffes » est-il né ?
Smaïl Chertouk : Il me tenait à cœur depuis un moment. Je voulais joindre mes deux passions qui sont l’amour des mots et de l’Algérie. Je n’avais jamais écrit sur l’Algérie. J’ai décidé de la prendre par les mots du quotidien, ceux des gens.
Y a-t-il eu un élément déclencheur pour la rédaction de cet ouvrage ?
Je me suis mis à écrire sur les mots « chkoun » et « normal » qui m’ont toujours amusé. J’ai commencé avec un premier texte, et tous les jours j’en faisais quelques-uns. Le projet a très vite abouti.
Sarah Handala est la co-autrice et illustratrice du livre. De quelle manière avez-vous procédé pour travailler ensemble ?
On a fait connaissance et sympathisé lors d’un événement du Collectif Day Z, une association qui dynamise les projets portés par la diaspora en France. Quand j’ai eu le projet du livre en tête, je me suis tourné naturellement vers Sarah, alias BerbèreWoman, parce que j’avais été épaté par sa créativité, sa sensibilité, son regard aiguisé sur les cultures régionales algériennes. « L’Algérie tu l’aimes ou tu la kiffes ! » est ainsi devenu notre projet à tous les deux.
Le titre « L’Algérie tu l’aimes ou tu la kiffes ! », qui fait référence à une phrase célèbre d’un ancien Président de la république* française, ne laisse finalement pas trop le choix concernant l’Algérie.
C’est ma manière de dire que c’est une culture qui a une intensité. On ne peut avoir qu’une forte inclination pour l’algérianité. Oui, on n’a pas le choix. On ne peut que l’aimer.
Ou la détester
Ou la détester mais toujours dans l’intensité. Cette ambivalence concerne tous ceux qui découvrent l’Algérie, qui y travaillent ou qui fréquentent les Algériens. Plus sérieusement, cela m’a plu de revisiter ce slogan politique qui était pour moi excluant. C’était une forme d’assignation à appartenance. On l’a revisité de manière positive en centrant le message sur l’affection et l’amour.
Est-ce que cela a été difficile de faire un choix parmi la multitude de mots ou d’expressions algériens ?
Cela a été difficile, et depuis que le livre est sorti, on crée autant de séduits que de déçus. On est très contents de l’accueil public mais il n’y a pas une personne qui ne dise pas : « tu as oublié ce mot », « il n’y a pas celui-là ». Je peux même vous dire que certains nous ont proposé des mots avant le bouclage, comme « Inzoidjable », qu’on a rajoutés.
Le vocable fait souvent référence au quotidien des Algériens sans qu’on sache l’étymologie des termes. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense que cela relève de la grande liberté des Algériens. Il y a une grande inventivité, un mélange des genres, des langues, des influences. Les mots sont par ailleurs polysémiques. Par exemple, « Cheh » veut dire : « Bien fait pour toi », « Tu l’as bien cherché », « Heureusement que cela t’arrive », « C’est normal que cela t’arrive », etc.
Derrière le côté humoristique de votre livre, il y a parfois quelques critiques sociales.
Ce ne serait pas marrant autrement, si j’ose dire. Ces piques sont aussi un hommage à la dérision à l’algérienne. C’est une manière de revisiter son quotidien, sa société et de s’interroger sur nos travers, sur certains manquements, et dépassements. C’est très sain de regarder ces choses en face, de s’en amuser, de les déconstruire. C’est sans prétention car l’ouvrage assume sa légèreté.
Il y a aussi des références historiques ou culturelles. Etait-ce important pour vous de donner ces repères au lecteur ?
L’Algérie est une culture à contenus. Elle a une histoire, des auteurs, des créateurs, des lieux, des vestiges. Nous (Algériens) versons quelque chose au patrimoine humain. Il y a aussi ce rapport sous-tendu à la francophonie. Les Algériens possèdent la langue française. Kateb Yacine l’appelait : « le butin de guerre ». On en fait usage pour parler de nous-mêmes, à notre manière. D’ailleurs, le livre rend hommage aux langues qu’il y a en Algérie. Je suis un ardent défenseur de l’arabe dialectal, de la poésie arabe, du kabyle et du français.
Vous n’omettez pas par ailleurs de mettrer en valeur la femme algérienne
C’est indispensable. Pour moi, l’Algérie ce sont les femmes de science, de création, de littérature…Il y a de grandes femmes qui ont jalonné l’histoire du pays.
Alger est centrale dans l’ouvrage avec moult expressions algéroises. Ne craignez-vous pas qu’on vous reproche cette prépondérance du vocable issu de la Capitale ?
Je reçois la critique. Je l’explique parce que c’est un livre à hauteur d’homme. Le vécu se trahit. On voit d’où parle la personne. J’ai beau revisiter l’Algérie et lui rendre hommage, on sent que j’ai vécu à Alger. Je ne pouvais pas le cacher. Nous nous sommes toutefois efforcés, à travers ce qu’on a appelé les tableaux – les pages positives où on cite des personnages ou des lieux -, d’aller partout. Tout cela ce sont les Algéries. Cela ne sera jamais parfait tellement le pays est vaste et la culture plurielle et ancestrale.
C’est un ouvrage qu’on peut qualifier de personnel
Oui, très personnel. Je ne m’en cache pas. Il y a un certain nombre d’anecdotes qui sont réelles. Par exemples, les dalles de sol qui se soulèvent.
Qu’est-ce que l’Algérianité selon vous ?
Dans la dernière page du livre, j’ai voulu dire cette manière dont les Algériens sont tournés vers le monde. Ce qui peut paraitre comme paradoxal car on décrit l’Algérie comme quelque chose de fermé. C’est complètement l’inverse. Il n’y a pas plus ouvert qu’un Algérien. Il n’est bien que quand il est avec les autres, quand il partage, quand il fait rire, quand il fait plaisir. Il se dit qu’il est utile. Une générosité doublée de cette fierté qui est sincère. L’Algérien aime servir. Il n’a pas envie d’être anodin, de traverser le réel sans avoir existé. Ce qu’il fait n’est pas empreint d’arrogance.
Il a aussi besoin d’exister
Exactement. Cette reconnaissance lui plait et le touche. Les personnes qui ne connaissaient pas l’Algérie, quand elles en repartent me parlent de cette générosité sans limite.
Comment voyez-vous le vocabulaire à la mode dans une génération ?
Il va muter. Avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux, l’Algérie va se rapprocher du monde qui est très ouvert. Il y aura moins de latence. Les choses vont être assez similaires. Il y aura toujours cette inventivité avec des mots venant du digital, de l’intelligence artificielle, des autres cultures. La jeunesse algérienne vit les mêmes moments, reçoit les mêmes messages et est pétrie par les mêmes événements que les jeunesses du monde. Les Algériens vont profiter des réseaux pour mettre leurs empreintes. C’est déjà le cas. On va exporter davantage de mots.
Un tome 2 dans les cartons ?
Il y aura une suite. Quand on regarde la couverture, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il y a un côté road-movie. On a la confiance des lecteurs qui sont au rendez-vous. Les retours nous nourrissent. On est en train de dérouler la pelote.
* Nicolas Sarkozy alors Président de la république avait déclaré : « La France, tu l’aimes ou tu la quittes ».
Entretien réalisé par Nasser Mabrouk
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