Retour historique sur l’épisode tragique des événements du 5 Octobre 1988
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Une contribution de Khider Mesloub – Il est de la plus haute importance de revenir sur cet épisode tragique de l’Algérie aux résonances encore actuelles, les émeutes du 5 Octobre 88. C’est à dessein que nous procédons, dans une optique de devoir de mémoire, à un rappel historique de cette tragédie d’Octobre 88, susceptible d’être rejouée dans des conditions similaires, si le peuple laborieux algérien ne s’auto-organise pas collectivement, dès à présent, pour déjouer cette menace politique sanglante, éviter cette hécatombe économique, ce carnage social, dans le contexte actuel où l’Algérie est de nouveau confrontée à une crise multidimensionnelle propice aux explosions sociales aveugles, préjudiciables à la stabilité des institutions publiques et à la sécurité du pays, dans une période de surcroît marquée par l’instabilité régionale commanditée par les puissances impérialistes désireuses de faire main basse à bon compte, avec la complicité de certaines forces occultes internes, sur les ressources énergétiques pétrolières et gazières.
Conversion de la classe dirigeante algérienne au libéralisme
Avec l’intronisation du colonel Chadli Bendjedid à la présidence, l’Algérie entame sa conversion à l’économie de marché, dans le sillage du libéralisme conquérant propulsé par Reagan et Thatcher. En effet, encensé par le capital international, Chadli impulse une politique de libéralisation de l’économie. Notamment par les fameux plans de restructuration. En bon suppôt du capital, sans avoir été contraint par le FMI, Chadli, durant sa présidence marquée au sceau du libéralisme, inflige au peuple algérien une véritable cure d’amaigrissement sociale par l’instauration du régime draconien d’«ajustement structurel», expression euphémistique économique pour désigner un ensemble de dispositions drastiques destinées à libéraliser l’économie par le démantèlement des fonctions régulatrices de l’Etat.
Cette politique de libéralisation sera une véritable opération de privatisation des entreprises publiques, offertes aux convoitises rapaces des classes parasitaires rentières algériennes et aux capitalistes étrangers. De surcroît, en dévoué valet de la finance internationale, Chadli se targue de ses engagements à rembourser fidèlement la dette de l’Algérie auprès des banques, même au prix de l’appauvrissement de son peuple réduit à la diète, soumis à la disette.
De fait, la politique d’ajustement structurel initiée par le régime de Chadli s’accompagne-t-elle de restrictions drastiques des dépenses publiques, autrement dit de licenciements massifs d’agents publics, de réductions des budgets alloués à la santé, à l’éducation, aux services sociaux et aux subventions alimentaires. Mais aussi de l’abandon de tous les contrôles dans la production agricole et industrielle : ouvrant ainsi une voie royale à la privatisation incontrôlée, anarchique, clanique, mafieuse, de toutes les infrastructures publiques du pays livrées à la prédation des oligarques du sérail étatique algérien.
Aussi le gauchisme économique de Boumediene, cette maladie infantile de l’Algérie stalinisée, sera-t-il jeté aux orties par les oligarques libéraux algériens propulsés aux commandes de l’État, ces ennemis de la nation algérienne.
A la faveur de l’effondrement des prix du pétrole en 1986, cette politique de restructuration économique s’accentue considérablement, avec comme corollaire l’aggravation des effets de la crise en Algérie. Au reste, le désengagement de l’État des secteurs vitaux comme la santé, l’alimentation, le logement occasionne automatiquement une dégradation dramatique des conditions de vie et de travail de la population laborieuse algérienne : raréfaction des produits alimentaires, tels que le pain, la semoule, la viande ; pénurie de logements ; coupures d’eau permanentes durant des mois ; chômage massif, surtout pour la jeunesse. Dès l’aube, de longues files d’attente fleurissent devant les désertiques magasins dans l’espoir de se procurer du pain et de la semoule, deux aliments de base.
A cette époque d’enrichissement mafieux frénétique, face aux classes populaires algériennes paupérisées se dresse la bourgeoisie parasitaire repue, encartée au parti unique FLN, adossée à un despotisme caporalisé. Au demeurant, les bureaucrates du FLN et certains officiers de l’armée, patrons officieux de l’appareil économique, profitent amplement de la crise pour s’enrichir grâce à la spéculation sur les denrées alimentaires importées, denrées délibérément stockées pour être revendues sur le marché noir à prix d’or.
Conversion du peuple ouvrier algérien à la lutte de classes
En réaction à la détérioration dramatique de leurs conditions sociales, le prolétariat des usines et les chômeurs algériens, pour la première fois depuis l’indépendance, fait une entrée historique fracassante sur la scène sociale. D’abord par les grèves ouvrières massives, ensuite par les émeutes. Plus radicalement que lors des mouvements de révolte de 1980, 1985 et 1986, la contestation sociale de 1988 prend une dimension plus subversive. Plus dangereuse pour l’ordre établi. Surtout par l’éruption massive de la classe ouvrière sur la scène politique, à partir de sa position économico-sociale névralgique. Dès septembre 1988, des grèves se déclenchent dans toute la zone industrielle de Rouiba-Reghaia, villes situées à 30 km d’Alger. La grève atteint en particulier la Société nationale des véhicules industriels (ex-Berliet). Elle s’étend à toute l’agglomération algéroise, à l’entreprise d’Air Algérie, aux Postes et Télécommunications et à d’autres secteurs. Puis aux grandes villes de l’est et de l’ouest du pays. Entre fin septembre et début octobre 1988, l’Algérie est en proie à une déferlante contestation sociale inédite. Exaspérées par la misère, le chômage, les pénuries, la hogra (déni de droit) et les répressions quotidiennes, les classes travailleuses algériennes paupérisées prennent d’assaut la rue et l’usine pour concrétiser la critique en acte d’un système abject.
De manière générale, ces mouvements sociaux et ces émeutes d’Octobre 1988 s’inscrivent dans une conjoncture d’agitation ouvrière croissante provoquée par l’aggravation de la crise économique mondiale. En effet, au cours des trois dernières années, l’Algérie, tributaire des uniques recettes pétrolières, est confrontée à une baisse de plus de 40% de son budget à la suite de la chute vertigineuse des cours des hydrocarbures. Aussi les revenus de l’Etat fondent-ils considérablement. Crise aggravée par la politique libérale de la bourgeoisie étatique algérienne de l’époque, totalement soumise à l’ordre capitaliste international. Le régime bourgeois bureaucratique du FLN, réputé pour sa servilité en matière de remboursement de ses créances internationales, consacre annuellement 60% du budget gouvernemental au service de la dette, alors que la population laborieuse algérienne est plongée dans une effroyable misère.
Conversion du lumpenprolétariat algérien aux mœurs émeutières
Curieusement, c’est dans cette conjoncture survoltée de grèves ouvrières massives et de démarrage imminent de la grève générale qu’éclatent, à partir du 5 octobre, les émeutes. En effet, dans la soirée du 4 octobre 1988, des manifestations, composées principalement de jeunes, sont déclenchées à Alger pour protester contre les pénuries et la hausse des prix. Le lendemain, les manifestations dégénèrent en émeutes. Les jeunes affluent massivement des quartiers de Bab El-Oued, Belcourt (Belouizdad), El-Biar, vers le centre-ville d’Alger. Les principales artères commerciales sont saccagées. Les émeutiers s’attaquent aussi aux bâtiments publics, arrachent le drapeau national, saccagent des mairies et des sièges du FLN, détruisent le siège du Polisario. Pillages, destructions de magasins et d’édifices publics, perpétrés par des milliers de jeunes chômeurs issus du lumpenprolétariat, auxquels se mêlent des provocateurs de la police secrète et des intégristes islamistes, nouvellement propulsés sur le devant de la scène pour contrer les forces progressistes algériennes.
Dans la foulée, l’armée intervient et se positionne sur les endroits stratégiques. Le 6 octobre, l’état de siège est décrété. En dépit de celui-ci, la révolte se prolonge. Des barricades enflammées sont dressées. Les émeutes s’étendent aux principales villes algériennes. Au cours de ces révoltes, les forces de l’ordre de Chadli donnent l’assaut en tirant à balles réelles sur les manifestants. On déplore des centaines de morts et de blessés. Un bilan provisoire fera état de plus de 500 morts (dont 300 à Alger). Ainsi, avec une barbarie inouïe, le régime, dirigé par le FLN, massacrera des centaines de jeunes manifestants algériens. Aux revendications légitimes «du pain et de la semoule» exprimées par les classes travailleuses algériennes et couches populaires affamées, le régime de Chadli les aura nourris abondamment à coup de plombs, restaurés à coup d’expéditions outre-tombe, ravitaillés à coup de bastonnades, choyés à coup d’arrestations massives, protégés à coup d’état de siège, revigorés à coup de militarisation de la société, et plus tard, gavés d’islamisme.
Quoi qu’il en soit, si les mouvements de grèves ouvrières massives inédites ont eu un caractère spontané et donc inorganisé, les émeutes semblent, dès la première heure, selon les observateurs, avoir été préméditées et organisées par le régime. D’une part, pour désamorcer préventivement la grève générale annoncée, par le dévoiement de la révolte sociale sur des actions anarchiques inopérantes et destructrices, en l’espèce les émeutes ; d’autre part pour justifier le bain de sang et la nécessité des «réformes démocratiques» à engager afin d’éliminer les factions politiques trop compromises avec l’armée et le FLN, devenues inefficientes au point de vue des intérêts du capital national pour les nouvelles factions bourgeoises prédatrices, impatientes de faire main basse sur les richesses nationales de l’Algérie.
Toujours est-il que, selon plusieurs sources, ces émeutes auraient été l’œuvre d’un complot ourdi par un clan du régime contre un autre clan en vue de s’emparer du pouvoir. Au reste, ces émeutes ont été largement relayées par les médias algériens et étrangers afin d’occulter l’envergure des mouvements de grève des travailleurs.
De toute évidence, ces émeutes, œuvres de jeunes marginaux, sans perspective d’avenir, manipulés par des officines occultes, n’ont nullement constitué le prolongement rationnel des grèves ouvrières des valeureux travailleurs algériens. Mais leur nihiliste antithèse. Les émeutes servent uniquement les intérêts des possédants et de leur Etat, pour justifier la répression, les restrictions de liberté, l’état de siège, mais aussi servir les règlements de comptes entre factions bourgeoises du pouvoir. Pour preuve, au final, l’ordre dominant du régime bourgeois du FLN sera rétabli, au prix de centaines de morts, de centaines de blessés, de centaines d’arrestations, de centaines d’incarcérations. Certes, Chadli s’engagera à ouvrir un processus de démocratisation du pays.
Même les imams s’invitent au banquet macabre pour appeler la population algérienne à l’apaisement (non de sa souffrance mais de sa colère), non sans avoir oublié de la convier instamment à instaurer une «république islamique». Pour leur part, les organisations bourgeoises algériennes, constituées au lendemain des émeutes, plaident pour l’instauration d’une république civile bourgeoise, un «Etat de droit», c’est-à-dire une démocratie (des riches), tremplin, pour ces personnalités algériennes alléchées par le pouvoir, de prébendes et de sinécures ministérielles et parlementaires.
La suite, tout le monde la connaît. En guise de processus «démocratique», l’Algérie sera plongée durant dix ans dans l’enfer du terrorisme islamiste adossée à la dictature mafieuse du régime prédateur de Bouteflika. Durant trente ans, l’Algérie sera prise en tenailles par les forces obscurantistes islamistes meurtrières et les forces étatiques mafieuses et despotiques prédatrices bouteflikiennes.
Quel bilan peut-on tirer des émeutes d’Octobre 88 ?
Sans conteste, les émeutes d’Octobre 88 n’ont été porteuses d’aucune perspective d’émancipation, d’aucune conscientisation politique, d’aucune démocratisation de la société. Cela démontre la nocivité politique des émeutes. A la vérité, les émeutes desservent les intérêts de la population laborieuse. Fracasser des édifices publics, piller des magasins, brûler des automobiles des citoyens, c’est s’en prendre à un symbole, non à un système.
Les émeutes ne «nourrissent» pas l’affranchissement du peuple affamé de justice sociale, mais «restaurent» goulûment l’ordre des dominants friands d’autoritarisme.
Conversion massive des Algériens à l’islamisme
Le chaos est l’allié des puissants, en particulier dans les périodes de crise socioéconomique et politique. Il justifie leur politique répressive, leurs lois liberticides, leurs mesures despotiques, la militarisation de la société. Il légitime le musellement des organisations politiques d’opposition, le bâillonnement de la presse, l’embastillement des opposants comme des simples contestataires, les restrictions des libertés de réunions et de manifestations. Sans conteste, le chaos sert uniquement les intérêts du pouvoir. Le chaos est propice aux affaires des gouvernants et aux despotismes protéiformes.
Du chaos ne peut surgir que le maintien de l’ancien ordre, toujours plus oppressif et répressif de la classe régnante, et non un nouveau mode de production émancipateur de la classe dominée. Comme l’a écrit Céline : «La conscience n’est dans le chaos du monde qu’une petite lumière, précieuse mais fragile.»
En s’attaquant uniquement aux symboles de l’Etat, en recourant aux pillages et aux destructions aveugles, les émeutes d’Octobre 1988 n’ont aucunement contribué au développement de la conscience de classe du prolétariat algérien, au renforcement de la lutte ouvrière, à la naissance d’organisations sociales et politiques défendant les intérêts des travailleurs, des couches populaires (finalement récupérées par les mouvements islamistes politique et terroriste).
Au final, les émeutes auront renforcé l’islamisme embryonnaire. Elles lui donneront des ailes. L’esprit de prédation animera la nouvelle classe dirigeante bourgeoise algérienne. La rage de conversion à l’islamisme s’emparera des couches populaires. Les émeutes d’Octobre 88 marquent le début de la pathologie religieuse de l’Algérie : le cancer de l’islamisme.
K. M.
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