Ce que cachent les mots (CQCM) : « Colonial » ou « colonisé » ?

Par Ahmed Gasmia En diplomatie, le choix des mots est très important. L’Organisation des Nations unies (ONU) le sait très bien, même si parfois elle peut nous surprendre. La résolution 1514 de l’ONU portant l’intitulé: « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux » fait grimacer quelques-uns. Non, il ne s’agit pas de gens […]

Avr 21, 2025 - 21:03
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Ce que cachent les mots (CQCM) : « Colonial » ou « colonisé » ?

Par Ahmed Gasmia

En diplomatie, le choix des mots est très important. L’Organisation des Nations unies (ONU) le sait très bien, même si parfois elle peut nous surprendre. La résolution 1514 de l’ONU portant l’intitulé: « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux » fait grimacer quelques-uns. Non, il ne s’agit pas de gens défendant la colonisation. Personne ne la défend, voyons…à moins de lui changer de nom, bien sûr. En fait, c’est sur la forme que ces personnes se montrent dubitatives. Pour être plus précis, c’est le mot « coloniaux » qui a provoqué des réactions (surtout sur les réseaux sociaux, évidemment). Les détracteurs de ce choix terminologique se sont demandé pourquoi l’ONU n’avait pas employé le mot  » colonisés » le jugeant plus approprié. Cela aurait donné : « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples colonisés » . Vous trouvez que ça sonne mieux ? Attendez une seconde. Après vérification, il semblerait que le même « problème » se pose dans une autre langue. Dans la version en langue anglaise de la résolution en question, vous trouverez: « Declaration on the granting of independence to colonial countries and peoples ». Tiens ! Là aussi, il n’ y a pas le terme « colonisés » (colonized) mais « colonial », exactement comme en français. Mesdames et messieurs, nous sommes face à un acte délibéré. L’ONU a choisi ses mots. Maintenant que nous sommes sûrs que ce n’est pas une faute d’inattention, essayons de comprendre pourquoi l’organisation a opté pour le terme « coloniaux ». Pour cela, il nous faut faire la différence entre les mots « colonial » et « colonisé ». Le premier veut simplement dire que quelque chose est en lien avec les colonies alors que le deuxième signifie « qui subit la colonisation ». Pourquoi diable l’ONU n’a-t-elle pas dit « peuples et pays colonisés » ? C’est pourtant de cela qu’il s’agit. En plus, « coloniaux », ça évoque des concepts comme « empires coloniaux  » ou « armées coloniales ». On lit et on entend souvent des phrases du genre « peuples colonisés « , et ça n’a l’air de déranger personne. Mais voici ma question (oui, parce que j’ai une question) : « peut-on coloniser un peuple? ». La réponse est dans le verbe « coloniser » qui, selon tous les dictionnaires, veut dire: « peupler un lieu », oui un « lieu ». On ne peut donc pas littéralement « coloniser » un peuple. On peut plutôt le soumettre et coloniser sa terre. C’est plus logique. Immoral, nous sommes d’accord, mais logique. Techniquement, l’ONU en parlant de « peuples coloniaux » évoque des peuples ayant un rapport avec les colonies, on l’a bien compris. Le problème, c’est que ce n’est pas très précis, étant donné que les termes  » peuples coloniaux  » englobent tous les peuples ayant un lien avec les colonies y compris ceux qui ont eux-mêmes colonisé les territoires des autres. Pas très simple, cette histoire. Si on disait :  » Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays colonisés et aux peuples ayant subi la colonisation », ça aurait été plus précis. Plus long et avec une répétition, mais plus précis. Voici donc le verdict ; l’intitulé choisi par l’ONU ne contient pas d’erreur, mais il y a quand même une petite ambiguïté sur laquelle on aurait pu bosser un peu plus aux Nations unies. Heureusement, en lisant le contenu de la résolution, on se rend compte qu’il s’agit d’un texte plutôt clair qui dit, en gros, que coloniser la terre des autres, c’est mal. Donc pas besoin de stresser (en plus, il paraît que le stress c’est mauvais pour le « colon »), car ce qui compte, après tout, c’est le fond. En attendant, le prochain CQCM, faites attention aux mots. A. G.