Dossier – La création de l’Etat-nation algérien au fondement de l’islamisme (II)
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Dossier réalisé par Khider Mesloub – C’est la fondation de l’État-nation algérien, par le biais du réseau éducatif et médiatique, qui impulsera le mouvement inverse.
L’islam, jusque-là superficiellement appliqué en raison de l’analphabétisme de la majorité des populations disséminées sur le territoire algérien, se retrouvera au lendemain de l’indépendance propulsé à un niveau de diffusion massivement densifié et élargi par le truchement de la propagation de l’enseignement généralisé, dispensé en arabe.
La transmission écrite ayant supplanté la transmission orale dans l’éducation des nouvelles générations, l’école se substituera ainsi aux parents dans la formation intellectuelle des enfants. L’accès à l’écrit de cette nouvelle génération postindépendance lui permettra, corrélativement, de maîtriser la langue arabe et, par voie de conséquence, d’accéder à la connaissance littérale du Coran.
L’effacement des parents de leur rôle éducatif au profit de l’école entraînera l’effritement progressif des valeurs morales millénaires au profit du substrat coranique massivement propagé par voie scolaire et médiatique, ces deux canaux modernes d’endoctrinement idéologique, de conditionnement des esprits.
Le délitement de ces traditions et coutumes déstabilisera totalement et durablement la société algérienne. Corrélativement, l’érection de l’islam au rang de religion d’Etat, dont l’enseignement est intégralement assumé par l’Education nationale, favorisera l’édification d’une génération radicalement islamisée, selon le corpus coranique et théologique authentiquement appliqué dans les pays musulmans, notamment dans son berceau, à savoir l’Arabie Saoudite wahhabite.
Somme toute, l’accession de millions de jeunes Algériens à l’école, autrement dit à la maîtrise de l’arabe acquise grâce à la scolarisation, favorisera l’apprentissage approfondi du Coran. Et la connaissance littérale du corpus coranique et autres textes théologiques modifiera profondément la mentalité de ces nouvelles générations.
Contrairement à leurs aïeux analphabètes dont la connaissance rudimentaire du Coran leur permettait d’accéder seulement à l’esprit du texte sacré, ces nouvelles générations s’imprégneront désormais directement aux sources des textes islamiques grâce à leur maîtrise de la langue arabe. De là s’expliquent les raisons de la transformation des mentalités des Algériens, ces dernières décennies. On a affaire à des «mutants».
Pour corroborer notre thèse selon laquelle nos aïeux ne furent pas vraiment depuis l’avènement de l’islam en Algérie (Maghreb) imprégnés par les fondements coraniques, il nous suffit de les comparer aux générations postindépendance.
On peut affirmer que nos ancêtres furent essentiellement des Algériens de confession imparfaitement musulmane. En revanche, les générations contemporaines sont radicalement musulmanes et accessoirement de nationalité algérienne.
La différence est fondamentale. Dans le cas de nos aïeux, le substrat de leur vie sociale était culturel et non cultuel. Pour mieux mesurer la validité de cette thèse et se figurer l’image de cette réalité, il nous suffit de nous remémorer comment étaient nos parents, nos grands-parents, il y a à peine 40 ans. La majorité des femmes étaient analphabètes, une grande partie des hommes l’étaient aussi.
Tout le monde s’accorde pour reconnaître qu’ils étaient radicalement différents des générations contemporaines. Et sur tous les plans. En particulier au niveau religieux, imprégné de tolérance. Mais cette tolérance était inhérente à leurs humanistes traditions millénaires, fondées sur le respect et l’altruisme, non à l’islam qu’ils ne maîtrisaient théologiquement aucunement.
De ce qui précède, on peut inférer qu’ils étaient culturellement algériens mais nullement musulmans au sens contemporain du terme. A contrario, depuis l’indépendance, ils sont radicalement musulmans et quasiment plus culturellement algériens.
Cette approche dialectique permet de saisir, dans le mouvement des mutations opérées ces dernières décennies en Algérie, le processus d’érosion culturelle algérienne et concomitamment le processus d’éclosion cultuelle islamique. La distinction des deux niveaux nous a permis de mieux discerner les soubassements historiques en œuvre au cours des siècles écoulés.
En d’autres termes, nous avons relevé l’imprégnation et la domination du substrat culturel endogène (traditions et coutumes berbères) dans cette société archaïque algérienne. Le versant cultuel exogène s’étant, lui, certes, essaimé sur une large aire algérienne, mais avec une pénétration et une imprégnation demeurée longtemps rudimentaire et imparfaite.
La propagation de l’islam s’était opérée par une forme de mimétisme d’acculturation. Pour preuve, après ce passage en force sous les fourches caudines de l’islam authentique puisé à ses véritables sources orientales saoudiennes, passage imposé par le pouvoir au lendemain de l’indépendance, phénomène amplifié par l’arabisation impulsée au cours des années 1970, la majorité des Algériens, sous l’effet de l’actuelle sanglante et meurtrière radicalisation internationale de l’islam, prône aujourd’hui le retour à un «islam algérien». En vérité, ce qu’ils nomment ainsi, ce sont les traditions et coutumes berbères confondues improprement avec l’islam.
On peut avancer comme thèse que le versant culturel authentiquement berbère, fondé sur des traditions millénaires profondément ancrées dans les mentalités des Algériens, joua le rôle de contrepoint à la diffusion de l’islam radical consubstantiellement prégnant dès sa naissance en Arabie Saoudite.
De toute évidence, depuis l’indépendance, une confusion a été opérée entre traditions berbères algériennes et islam. Ce qui ressortit des premières a été illégitimement associé au second. Au point d’ériger l’islam en unique référent culturel régissant l’ensemble du mode de vie des Algériens. Engendrant corrélativement l’affaissement des traditions algériennes.
Ainsi, de quelque manière qu’on le désigne, islam ou islamisme, il est évident que la société algérienne s’est littéralement et radicalement islamisée seulement depuis son indépendance. En vérité, l’Algérie applique depuis quatre décennies l’authentique islam, largement imprégné de wahhabisme. Cet islam qui a phagocyté les traditions berbères algériennes, érodé les valeurs algériennes, transformé la culture et la mentalité algériennes.
Aujourd’hui, à la faveur de la déliquescence des sociétés musulmanes, engluées dans d’interminables violences religieuses sanglantes, l’Algérie tend à se détourner du modèle islamique oriental. Même l’Etat algérien, par sincérité ou calcul idéologique, se découvre soudainement des origines berbères. En effet, depuis plusieurs années, une politique opportuniste de promotion culturelle amazighe tous azimuts, amorcée par le régime bouteflikien, est en œuvre.
De toute évidence, l’islam wahhabite, avec sa sanglante pratique religieuse terroriste et sa compromission ignominieuse avec l’impérialisme et le sionisme, a désarçonné de nombreux Algériens. Sans oublier les stigmates de la traumatisante décennie noire encore béants dans la mémoire de tous les Algériens. De sorte que nombre d’Algériens, certes, timidement, se détourne même de la religion pour se replonger dans une quête de valeurs et de formation spirituelle authentiquement algériennes, puisées aux sources du patrimoine culturel, des authentiques traditions algériennes.
Pour conclure notre synthétique étude, nous pouvons affirmer que de même qu’un individu ne se définit pas par ce qu’il pense de lui-même, mais par ce qu’il est socialement réellement. Semblablement, un pays (une société) ne se définit pas à partir de ses superstructures officielles proclamées et institutionnellement enseignées, mais sur le fondement de ses véritables rapports sociaux dominants, souvent voilés par ces mêmes superstructures.
Ainsi, de quelque manière qu’on le désigne, islam ou islamisme, dichotomie opérée pour absoudre le premier terme de ses consubstantielles résonances belliqueuses, il est évident que la société algérienne s’est littéralement islamisée essentiellement depuis son indépendance. L’Algérie applique l’authentique islam seulement depuis la création de son Etat. Jusqu’à la veille de son indépendance, durant des siècles, l’Algérie n’était pas littéralement musulmane, mais simplement algérienne avec une matrice culturelle fondée sur la tradition et la coutume, ces deux entités sacrées.
Pour illustrer notre thèse, intéressons-nous à l’exemple de l’ex-URSS, disparue sans coup férir pour laisser place de nouveau à la Russie capitaliste libérale.
Après une parenthèse d’un régime désigné sous le nom fallacieux de communiste (en réalité, il s’agissait d’un système fondé sur le capitalisme d’Etat), ce régime stalinien s’est effondré.
Longtemps cet Etat soviétique se proclamait communiste, inscrivant même sa profession de foi dans sa Constitution. Le monde entier s’accordait, excepté une minorité d’authentiques marxistes, pour caractériser l’URSS (et ses pays satellites de l’Europe de l’Est) de «communiste». Ces pays étaient aussi réputés pour leur proclamation de foi d’athéisme, et corrélativement pour leurs politiques antireligieuses.
Or, après plus de soixante-dix ans de pouvoir communiste stalinien, au lendemain de l’effondrement de ces régimes, on a découvert des populations totalement anticommunistes et profondément religieuses. Donc, un historien objectif ne dira jamais que ces populations russes furent communistes et athées, en dépit de la désignation officielle de leur pays.
Pareillement, on ne peut historiquement affirmer que l’Algérie fut au cours de ces derniers siècles authentiquement musulmane. Elle est devenue littéralement islamique seulement depuis l’accession à son indépendance.
Aujourd’hui, l’islam, qu’elle enseigne et propage, est le dogme authentique puisé à la source du Coran accessible à toute la population algérienne majoritairement scolarisée.
Si dichotomie il y a, elle n’est pas entre islam et islamisme, deux appellations pour désigner un identique dogme, mais entre traditions et coutumes berbères algériennes et islam. Les premières fondées sur le légendaire esprit de tolérance ; le second, sur le dogmatisme, le sectarisme, le fanatisme, comme l’histoire contemporaine des pays musulmans, depuis peu dotés d’Etat-nation avec toutes les infrastructures scolaires et médiatiques afférentes, ces outils de conditionnement des esprits l’illustre.
K. M.
(Suite et fin)
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