Dossier – Aux origines profanes du voilement des femmes (II)

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Oct 31, 2024 - 06:50
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Dossier réalisé par Khider Mesloub – Pour remonter le temps à notre époque contemporaine, c’est dans cette perspective caractérisée par la dégradation des sociétés tribales «musulmanes», impulsée sous l’effet de leur urbanisation soudaine et accélérée, qu’il faut inscrire l’apparition récente du voile dans les sociétés actuelles musulmanes, fraîchement urbanisées mais encore fortement tribales, et non au retour du refoulé religieux.

Pour preuve, à la faveur de la modernisation et de l’urbanisation de l’Algérie, sur fond de l’expansion de l’islamisme favorisé par les pays du Golfe, la première revendication des hommes algériens «islamistes» fut l’exigence agressive du port du voile. Et non pas l’obligation de faire la prière pour tous les citoyens algériens. L’obligation de respecter le Ramadhan. D’accomplir son devoir d’El Hadj (pèlerinage à La Mecque). Pourtant préceptes fondamentaux du Coran.

La femme, voilà l’ennemi de l’Algérien musulman fraîchement détribalisé. Et celles qui résistent au diktat du port du voile seront agressées, violentées, voire vitriolées.

Le voile des femmes s’explique par l’urbanisation des sociétés tribales

En réalité, ces réactionnaires algériens s’opposent à la transformation de leur société traditionnelle agraire bousculée par l’intrusion du mode de production industriel et l’urbanisation capitaliste imparable.

La claustration de la femme, son «encagement» résulte d’un blocage culturel ou, pour user d’un terme freudien, d’un conflit sociétal. Tout comme les nœuds psychologiques, le «conflit civilisationnel» en question paraît être le produit d’une contrariété chronique, d’une agression envahissante urbanistique à laquelle l’organisme – la société tribale patriarcale – répond par une mise en œuvre d’un mécanisme de défense au moyen du voile pour «protéger sa dernière monnaie d’échange» (supplantée par l’argent), la femme, cet être sur lequel l’homme a toujours eu droit de vie et de mort, mais aujourd’hui en voie d’émancipation grâce à son éducation scolaire et à son insertion professionnelle. C’est ce qui s’appelle se voiler la face pour s’abriter de la modernité urbaine insupportable aux yeux des traditions rétrogrades et misogynes.

La femme algérienne est prise en otage par les barbaresques islamistes, ces pirates des temps modernes, vivant de la subtilisation de la rente pétrolière. Captive de ces corsaires salafistes, la femme algérienne demeure prisonnière d’un système religieux moralement patriarcal et socialement carcéral. Assurément, le voile des femmes s’explique par l’urbanisation des sociétés tribales. Les femmes ne se voilent que lorsqu’elles habitent une ville. Les femmes des campagnes circulent à visage découvert. Et l’Algérie, comme dans la plupart des pays musulmans émergeant à peine de leur société tribale (mode de production agraire-féodal), illustre parfaitement ce malaise dans la civilisation.

Ouvrons une parenthèse.

Parlant d’Alger, un ami algérien architecte a su décrire de manière pertinente la configuration urbaine de la capitale contemporaine : il a indiqué, à propos d’Alger, qu’elle a été victime ces trente dernières années d’une véritable entreprise de «ruralisation culturelle». Le citadin a complètement été phagocyté par le rural. C’est un phénomène unique dans l’histoire humaine urbaine. Longtemps, depuis la naissance de la ville, c’est la ville qui absorbe l’apport rural grâce à la supériorité de sa culture citadine. Aujourd’hui, en Algérie, la mentalité rurale semble avoir triomphé du clivage ville-campagne. A la vérité, ce triomphe est illusoire. Cette victoire des forces rétrogrades de l’ancien mode de production en décrépitude est éphémère. Car c’est un combat d’arrière-garde et sa précaire victoire à la Pyrrhus n’a été obtenue qu’à la faveur d’une conjoncture mondiale capitaliste marquée par la décadence, le recul momentané des forces progressistes.

La lutte des islamistes, derniers vestiges des sociétés archaïques agraires-rurales-féodales, menée fallacieusement au nom de la religion, dissimule en vrai un combat des forces réactionnaires animées par une mentalité tribale toujours vivace, réfractaire à toute modernisation de la société, symptôme sociologique de leur imminente disparition. Elle dévoile, sans jeu de mots, leur opposition à toute émancipation de la femme.

In fine, la bataille du voile (pour ou contre le voile) n’est que le reflet de la bataille perdue d’avance entre l’ancien mode de production agraire et le mode de production industriel, urbain capitaliste émergeant dans cette périphérie (musulmane) du continent impérialiste contemporain.

Comme on vient de l’analyser, la naissance de la ville a considérablement pénalisé la femme. Par son confinement dans l’enclos familial imposé par l’habitation urbaine, comme par son enfermement sous le voile dans ses rares pérégrinations citadines, la femme a subi une véritable dégradation de sa condition sociale. Exclue de la vie sociale, économique et politique, la femme a été réduite, durant plusieurs millénaires, aux simples tâches animales reproductives et aux fonctions domestiques circonscrites à l’éducation de sa progéniture, la tenue de son foyer. Cette exclusion multiforme des activités productives nobles et des occupations intellectuelles valorisantes a perduré durant des milliers d’années. Jusqu’au milieu du XXe siècle.

Historiquement, les religions monothéistes, notamment l’islam, n’ont fait que consacrer, sacraliser, cette tradition du port du voile imposé à la femme (le rôle de toute religion est de codifier moralement les traditions, tout comme le rôle du législatif est de codifier légalement les pratiques sociales).

Le christianisme est la première religion à inscrire le voile des femmes dans son livre Saint

Selon certains théologiens musulmans sincères, le port du voile ne constitue nullement une prescription coranique. Cette pratique du port du voile relève d’une tradition millénaire née au lendemain de la naissance des villes, comme on vient de le démontrer ci-dessus. De sorte que l’argument religieux islamique pour justifier et légitimer l’obligation du port du voile est fallacieux.

Longtemps, dans les anciennes sociétés antiques, le voilement des femmes fut une coutume sociale. La première religion monothéiste à inscrire officiellement le voilement des femmes dans son Livre saint est le christianisme. Cette prescription figure dans la Première Epître de saint Paul aux Corinthiens (11,2-16) : «Toute femme qui prie ou qui prophétise le chef découvert fait affront à son chef ; c’est exactement comme si elle était tondue. Si donc une femme ne met pas de voile, qu’elle se coupe les cheveux ! Mais si c’est une honte pour une femme d’avoir les cheveux coupés ou tondus, qu’elle mette un voile.»

Or, l’ancien Testament ne mentionne pas cette obligation. Certes, historiquement, parmi la population juive autochtone et diasporique certaines femmes juives se voilaient. Nullement pour se plier à une prescription religieuse, mais plutôt pour se conformer aux coutumes locales. Dans la société juive, ainsi que dans l’ensemble des sociétés antiques de l’Orient, la tradition considère qu’une femme doit se couvrir devant les hommes en signe de modestie et c’est avec le christianisme que le port du voile devient une obligation théologique. Au sein de ces sociétés, le voile représente également le signe de la pérennité de l’identité d’origine, de l’attachement aux valeurs ancestrales et de respect des règles communautaire. Par tradition, les femmes portent le voile depuis leur enfance, de mère en fille. Fondamentalement, pour ces femmes le voile est un élément de leur identité et non un symbole de leur religiosité.

La preuve. La prescription chrétienne du voilement des femmes par l’Eglise émergente visait, par souci de distinction identitaire, davantage à distinguer les chrétiens de Corinthe du reste de la population que de soumettre les femmes. Par cette prescription religieuse, l’Eglise naissante cherchait à vulgariser et à systématiser le nouveau culte chrétien par son accommodation aux coutumes sociales des convertis, mais également à rompre avec son substrat juif et, surtout, païen.

Quoiqu’il fût une recommandation officielle chrétienne, le voilement n’était pas systématiquement appliqué, notamment dans les pays européens nouvellement convertis, en particulier dans l’empire romain. Au reste, les Grecques et les Romaines de l’époque antique n’étaient pas voilées. Elles voilaient leur tête uniquement lors de leurs périodes d’affliction (décès d’un proche, veuvage). De manière générale, le port du voile variait en fonction des régions, des circonstances et des milieux sociaux.

Outre saint Paul, un autre Père de l’Eglise, berbère de surcroît, Tertullien, consacra un traité à la question du voilement des femmes : le voile des vierges. Pour Tertullien, ce ne sont pas seulement les épouses qui doivent être voilées, mais également les vierges, dès l’âge nubile. Autrement dit, toutes les filles, sans exception, dès leur adolescence.

Tertullien recommande à toutes les femmes de se voiler : «Je t’en prie, vierge, que tu sois mère, sœur ou fille – pour vous énumérer d’après les noms qui conviennent à vos âges – porte le voile, si tu es mère à cause de tes fils, si tu es sœur à cause de tes frères, si tu es fille à cause des pères. Chaque âge en toi court un danger» […] «Revêts l’armure de la pudeur, entoure-toi du rempart de la discrétion, élève autour de ton sexe un mur qui ne laisse ni sortir tes regards, ni rentrer les regards d’autrui. Adopte pleinement la tenue de la femme afin de préserver ton état de vierge. Dissimule tant soit peu ce que tu es à l’intérieur, pour offrir à Dieu la vérité.» […]

«Qu’elles sachent [les femmes] que tout est féminin dans une tête de femme ; que la tête c’est tout ce qui s’étend jusqu’aux bords, aux confins du vêtement ; tout ce que les cheveux dénoués peuvent recouvrir, voilà le domaine du voile, de manière qu’il enveloppe aussi la nuque.» On croirait lire un texte d’un islamiste contemporain. Pourtant, ce traité fut rédigé par un grand Père de l’Eglise, Tertullien.

De nos jours, cet avilissement des femmes par le «voilement» de leur liberté, cette forme d’aliénation, représente la plus massive survivance de l’asservissement humain. Et la femme, à l’instar de certains esclaves, est souvent complice.

Aujourd’hui, ce sont les évolutions induites par la révolution urbaine, ou plus exactement les réactions de défense opposées par les sociétés tribales «musulmanes» à leur urbanisation récente, qui sont responsables de la dégradation de la condition féminine. Bousculées dans leur millénaires traditions, ces sociétés islamiques s’acharnent à perpétuer leurs coutumes misogynes à l’intérieur des murailles urbaines modernes, symbolisées par le voile féminin, ultime citadelle érigée par les islamistes pour protéger leurs prérogatives patriarcales. Tout se passe comme si les islamistes utilisent la femme comme bouclier pour se protéger de la civilisation urbaine, de l’intrusion du mode de vie moderne «occidental».

Depuis longtemps, une fois transplantés en ville, les individus, pétris de convictions archaïques, réaniment, à chaque génération marquée par l’afflux de nouveaux migrants, leurs traditions tribales.

Le nouveau transplanté ne devient pas du jour au lendemain un citadin libéral. La ville lui fait subir une série d’offenses.

Blessé dans ce que sa personnalité a de plus essentiel, agressé dans ses convictions tribales, le nouveau transplanté dresse une muraille – un voile – entre les valeurs de la ville et ses convictions tribales (religieuses). La religion est la dernière survivance tribale. Legs de sociétés fondées sur la tribu, la religion s’impose comme un tribut à une certaine partie de l’humanité prisonnière encore du mode de pensée archaïque de l’ancien monde.

Assurément, l’homme musulman à la mentalité tribale vit mal ces promiscuités urbaines, ces proximités masculines offensantes pour sa femme, ses filles, ses sœurs. Pour échapper aux regards «concupiscents» (selon ses délires phallocrates) des étrangers, il va tendre un véritable «rideau de fer» (d’enfer) entre la société des hommes et des femmes (pour les protéger, argue-t-il ; défendre leur honneur, clame-t-il).

On prête cette sentencieuse phrase au Prophète Mohamed : «Cela (la charrue) n’entrera pas dans la demeure d’une famille sans que Dieu y fasse entrer aussi l’avilissement.» En d’autres termes, on n’intègre pas la ville (on ne se sédentarise pas) sans subir la dégradation de ses mœurs (tribales).

Le voile : vestige vestimentaire de l’ancien monde archaïque

Les sociétés tribales, surtout nomades, ont toujours cultivé une aversion pathologique à l’endroit des civilisations urbaines, associées à la débauche des mœurs, à la dépravation morale, au ramollissement de la virilité, à la dissolution du patriarcat, à l’émancipation intolérable de la femme. Paradoxalement, les partisans hystériques du port du voile invoquent des arguments religieux islamiques pour justifier et légitimer une tradition païenne. Or, le port du voile imposé à la femme, comme on vient de le démontrer, est une survivance tribale païenne, une coutume sociale profane.

La principale source coranique sur le voile est la sourate 33 : «Les Coalisés» ou «Les Factions». Le voile est mentionné au verset 53. Ce verset concerne exclusivement les femmes du Prophète : «Ô vous, femmes du Prophète ! Vous n’êtes comparables à aucune autre femme» (v. 32 de la même sourate). Dieu commande aux croyants de s’adresser aux femmes du Prophète à travers un voile : «Quand vous demandez quelque objet Aux épouses du Prophète, Faites-le derrière un voile, Cela est plus pur pour vos cœurs et pour leurs cœurs.» Dans ce verset, contrairement à l’opinion communément islamique répandue, le voile dont il s’agit ici est le rideau, c’est-à-dire le tissu servant à séparer hermétiquement les pièces. Il est vrai que le verset 59 s’adresse aussi bien aux femmes du Prophète qu’à celles des croyants : «Ô Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de se couvrir de leurs voiles : c’est pour elles le meilleur moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées.»

Cependant, selon les exégètes, ce verset a une valeur civile, et non religieuse. «Le meilleur moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées», c’est-à-dire qu’il permet de signaler le rang social de la femme et, par conséquent, de dissuader les harcèlements concupiscents des hommes. En d’autres termes, si dans la Première Epître aux Corinthiens le voile revêt un caractère explicite de sujétion, comme le formule solennellement ce verset biblique : «Je veux cependant que vous le sachiez le chef de tout homme, c’est le Christ ; le chef de la femme, c’est l’homme ; et le chef du Christ, c’est Dieu» ; dans le verset coranique il revêt une recommandation simplement d’ordre public.

Au-delà d’être une coutume vestimentaire culturelle millénaire, ne figurant, par ailleurs, explicitement dans aucune sourate à destination de l’ensemble des croyantes, à l’exception de la sourate circonstancielle relative aux femmes du Prophète et des femmes de rang social élevé, aussi cette tradition païenne est-elle théologiquement censée contrevenir aux prescriptions authentiques du Coran. En réalité, sous couvert de religion, n’est-elle pas perpétuée au nom de cette millénaire domination patriarcale de l’ancien mode de production dont l’homme musulman contemporain semble difficilement se départir ; au nom de cet atavique attachement obsessionnel à des traditions misogynes toujours aussi prégnantes ?

Comme on l’a analysé plus haut, l’origine du port du voile imposé à la femme s’inscrit dans une longue tradition païenne millénaire marquée par l’avilissement de la condition féminine. Le port du voile ne constitue aucunement un signe religieux. Encore moins un pilier de l’islam. Ni une prescription coranique. C’est un vestige vestimentaire parmi d’autres de l’ancien monde archaïque qui refuse de mourir dans de nombreux pays, notamment en Algérie. Un monde patriarcal dominé par des hommes demeurés fixés au stade enfantin et infantile de l’humanité, de leur personnalité puérile. La misogynie transcende les frontières et les temps. Depuis l’aube de l’humanité, la condition de la femme a été réduite à une perpétuelle nuit.

Drôle d’humanité qui piétine sa moitié pour avancer en entier. D’ailleurs, a-t-elle vraiment avancé, progressé, évolué depuis la nuit des temps, cette humanité socialement bancale ? Ne continuons-nous pas à vivre encore dans les temps de la nuit ! L’aube de l’Humanité tarde à éclore, à s’éveiller.

Fondamentalement, l’hiver de l’oppression voile encore l’horizon culturel des sociétés musulmanes. Le printemps de l’émancipation de la femme «musulmane», certes, darde ses premiers rayons de liberté bourgeonnante d’indépendance sociale et juridique, mais le ciel patriarcal islamique recouvre encore de son obscur manteau traditionnel phallocratique les hommes musulmans, arc-boutés à leurs privilèges de domination masculine, enrobés de justifications religieuses, de légitimation coranique, paradoxalement avalisées et soutenues par une frange importante de femmes musulmanes, ferventes disciples de la servitude volontaire spiritualisée et sacralisée.

K. M.

(Suite et fin)

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