Le 20 août 1955 : La vraie rupture
Les événements du 20 août 1955, sous la direction de Zighoud Youcef, marquent l’un des épisodes les plus significatifs dans la lutte de libération nationale, moins d’une année après le déclenchement, le 1er novembre 1954, de la lutte armée. En réponse à la répression massive de la population algérienne par l’armée coloniale, cette offensive dans le […] The post Le 20 août 1955 : La vraie rupture appeared first on Le Jeune Indépendant.
Les événements du 20 août 1955, sous la direction de Zighoud Youcef, marquent l’un des épisodes les plus significatifs dans la lutte de libération nationale, moins d’une année après le déclenchement, le 1er novembre 1954, de la lutte armée.
En réponse à la répression massive de la population algérienne par l’armée coloniale, cette offensive dans le Nord Constantinois symbolise ainsi la détermination croissante du peuple algérien à briser définitivement le joug colonial. Elle amorce un changement profond dans la stratégie et l’ampleur de la résistance algérienne, consolidant les bases de la lutte pour la liberté et la dignité du peuple.
Les émeutes, qui ont duré deux jours, les 20 et 21 août 1955, se sont déroulées dans une région où la coexistence entre les communautés européenne et musulmane était particulièrement tendue, a expliqué Nacer Djebbar, professeur d’histoire à l’Université de Constantine, au Jeune Indépendant. L’insurrection, menée par le successeur de Mourad Didouche à la tête de la wilaya II, après la mort de ce dernier au champ d’honneur en janvier de la même année, avait pour objectif, selon l’historien, « de démontrer la capacité militaire du FLN à mobiliser les masses algériennes et sa volonté politique de s’imposer comme une force fédératrice de toutes les tendances politiques engagées dans la lutte de libération ».
Les événements se déroulent dans la zone de Collo, Skikda, Constantine et Guelma. D’une part, des centaines de soldats de l’Armée de libération nationale attaquent des postes de police et de gendarmerie et divers autres bâtiments publics, et, d’autre part, des milliers d’Algériens dont une majorité de paysans se lancent à l’assaut d’une trentaine de villes et villages.
L’engrenage de la violence coloniale
À la suite du déclenchement de la Révolution du 1er novembre 1954, la réaction coloniale française fut d’une grande violence, notamment dans les régions des Aurès et de la Kabylie, où les premiers actes de résistance furent réprimés sans pitié. Les arrestations arbitraires et les exécutions d’Algériens présumés impliqués dans les actions du FLN semaient la peur et l’insécurité au sein de la population. Le gouvernement colonial adopte une posture de répression absolue, illustrée par la nomination de Jacques Soustelle en tant que gouverneur général de l’Algérie, accompagné de la mise en place de l’état d’urgence en avril 1955. François Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur, renforça cette politique par des mesures répressives visant à « rétablir l’ordre », ce qui conduisit à des opérations militaires de grande envergure dans les bastions de front de libération nationale et de son bras armé, l’armée de libération nationale.
La répression de 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, qui s’était soldée par des massacres avec plus de 45 000 victimes, restait vive dans les esprits et alimentait la crainte d’une répétition de ces violences en 1955. La France cherchait à étouffer la résistance naissante, mais cette approche répressive ne faisait qu’exacerber les tensions et renforcer l’engagement des Algériens dans la lutte pour l’indépendance.
Du soulèvement local à l’écho mondial
Le 20 août 1955, sous la direction de Zighoud Youcef, alors chef militaire de la wilaya II, appuyé par son adjoint Lakhdar Ben Tobbal, l’Armée de libération nationale (ALN) déclenche la série d’attaques simultanées dans le Nord Constantinois. L’opération n’a pas pour seul objectif de démontrer la capacité militaire du FLN, mais également de provoquer une réaction de masse parmi les Algériens et de mettre la question algérienne au premier plan, tant au niveau national qu’international.
La participation des populations locales, en particulier des couches sociales les plus démunies, est significative, les habitants, armés de moyens rudimentaires, se mobilisent aux côtés des moudjahidine de l’ALN, montrant une solidarité sans faille dans leur engagement pour une vie meilleure débarrassée de la répression coloniale et l’offensive a eu un impact psychologique immense. L’attaque touche plusieurs villes, dont Skikda, et engendre la mort de 123 personnes, dont une majorité d’Européens, créant un choc au sein de la communauté européenne et de l’armée française. La répression coloniale qui suit est brutale et sans précédent, et, les populations civiles dans plusieurs régions se sont retrouvées punies et des centaines de jeunes soupçonnés d’avoir pris part aux événements furent arrêtés et certains injustement exécutés ou portés disparus dans des représailles sanglantes. Le bilan humain, qui s’élève à plus de 10 000 morts, marque un tournant dans la perception de la guerre par la population algérienne et le monde entier.
L’opération marqua ainsi une étape que les historiens des deux rives qualifient de capitale dans la suite des événements. La répression de l’armée française avait en effet débouché sur des crimes contre l’humanité. Une répression qui fera adhérer davantage la population rurale au combat désormais admis comme seul moyen de se libérer.
Une rupture irréversible
Les événements révèlent ainsi au monde entier l’ampleur de l’injustice de la France coloniale, renforçant le soutien international à la cause algérienne. Les images et récits des atrocités commises par les forces coloniales circulent largement, mobilisant les opinions publiques à travers les pays voisins d’Afrique du Nord et au-delà. Cet impact médiatique attire l’attention des organisations internationales, notamment les Nations Unies, qui entamèrent la reconnaissance de la lutte algérienne comme une quête légitime de liberté.
Les massacres commis par l’armée française provoquent également une rupture définitive entre les communautés européenne et algérienne. Les colons, désormais soutenus par une armée coloniale déterminée à défendre ses positions, se retrouvent isolés et coupés de toute possibilité de coexistence pacifique avec les Algériens. La population algérienne, elle, voit dans cette répression une confirmation de l’incapacité du pouvoir colonial à respecter sa dignité humaine, renforçant ainsi son engagement envers l’indépendance et sa fidélité au FLN.
Zighoud Youcef, l’architecte de l’offensive, demeure l’une des figures les plus importantes de la révolution et de la guerre de libération nationale. Né le 18 février 1921 à Zighoud Youcef (ex Condé-Smendou) dans la wilaya de Constantine, il rejoint le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) et devient un combattant engagé aux côtés de Didouche Mourad. Après la mort de ce dernier, en janvier 1955 dans la même région, Zighoud Youcef reprend le commandement de la wilaya II et réussi avec brio, de l’avis de nombreux historiens, l’offensive de 1955, marquant un coup stratégique qui modifiera le cours de la révolution et ébranlera le moral du colonisateur. Sa mort en 1956 dans une embuscade renforcera aussi son statut de martyr et de symbole de la détermination sans faille du peuple algérien.
«Les pierres de Constantine se souviennent encore …»
Commémorés chaque année depuis le recouvrement en 1962 de la souveraineté nationale, les événements du 20 août 1955 restent un symbole de l’héroïsme et de la résilience algérienne, reconnus et appréciés par tous les peuples luttant pour leur dignité et souveraineté.
Aujourd’hui, bien que les relations entre l’Algérie et la France restent tendues sur la question de la mémoire coloniale, il est à noter qu’en octobre 2007, lors d’une visite dans la capitale de l’Est, l’ancien président français Nicolas Sarkozy, élu cinq mois plus tôt à l’Élysée, a qualifié le système colonial d’injuste par nature, ne pouvant être perçu autrement que comme une entreprise d’asservissement et d’exploitation.
Dans un discours prononcé à l’université de Constantine au sujet de ces massacres, il a déclaré que « les pierres de Constantine se souviennent encore de cette journée terrible du 20 août 1955 où chacun fit ici couler le sang pour la cause qui lui semblait la plus juste et la plus légitime. […] Le déferlement de violence, le déchaînement de haine qui, ce jour-là, submergea Constantine et toute sa région, tuant tant d’innocents, étaient le produit de l’injustice qu’avait infligée au peuple algérien, depuis plus de cent ans, le système colonial ».
Et d’ajouter que « l’injustice attise toujours la violence et la haine. Beaucoup de ceux qui s’étaient installés en Algérie, je veux vous le dire, étaient de bonne volonté et de bonne foi. Ils étaient venus pour travailler et pour construire, sans l’intention d’asservir ni d’exploiter personne. Mais le système colonial était injuste par nature et ne pouvait être perçu autrement que comme une entreprise d’asservissement et d’exploitation ».
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