Hosni Kitouni, chercheur en Histoire : Le 20 août 1955 « un acte fondateur»
Hosni Kitouni, fils d’Abdelmalek Kitouni, un officier de l’Armée de libération nationale (ALN) tombé au champ d’honneur, revient dans cet entretien accordé au Jeune Indépendant sur les événements marquants de la Révolution algérienne. Il évoque, également, les motivations qui ont poussé les chefs du Nord constantinois à lancer, moins d’un an après le début de […] The post Hosni Kitouni, chercheur en Histoire : Le 20 août 1955 « un acte fondateur» appeared first on Le Jeune Indépendant.
Hosni Kitouni, fils d’Abdelmalek Kitouni, un officier de l’Armée de libération nationale (ALN) tombé au champ d’honneur, revient dans cet entretien accordé au Jeune Indépendant sur les événements marquants de la Révolution algérienne.
Il évoque, également, les motivations qui ont poussé les chefs du Nord constantinois à lancer, moins d’un an après le début de la guerre de libération, les offensives du 20 août 1955. Cet acte, selon lui, représente un tournant décisif vers une lutte plus radicale, loin de toute approche « soft ».
Le Jeune indépendant : Près de 70 ans après l’offensive du 20 août 1955, quelle analyse peut-on faire des événements et quels enseignements en tirer concernant la stratégie de guérilla menée contre le colonisateur ?
Hosni Kitouni : Des interférences de différents ordres nous ont détournés du 1er novembre et de sa symbolique. Nous en sommes même venus à minimiser son importance historique et à mettre en avant des aspects secondaires, parfois futiles, orientant ainsi notre attention vers les luttes internes et les conflits au lieu de nous intéresser aux dynamiques centrales, aux savoirs, aux connaissances et aux pratiques qui ont émergé avec la lutte de libération nationale et qui ont marqué son histoire.
L’insurrection populaire du 20 août 1955 est un acte fondateur. Il est essentiel d’y revenir, de l’analyser, de la comprendre et de révéler son rôle dans le processus global de la révolution nationale. Sans cette insurrection, la lutte de libération nationale ne serait sans doute pas ancrée dans son milieu naturel, à savoir les masses paysannes, sans oublier bien sûr son impact international.
L’offensive du 20 août 1955 peut-elle être considérée comme une démonstration de force du FLN en termes de capacité à mener une guérilla ?
Il convient de rappeler brièvement la situation des insurgés novembristes durant l’été 1955. À peine neuf mois se sont écoulés depuis le déclenchement de l’insurrection, dans des circonstances politiquement défavorables en raison des frictions internes au mouvement national. L’OS (Organisation spéciale), qui devait préparer l’insurrection en rassemblant des armes et en formant des militants, a été laminé par la répression. L’initiative des 22 apparaît alors comme une audace extraordinaire. Rien, absolument rien, ne laissait présager de sa réussite compte tenu des nombreux éléments défavorables, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du mouvement national.
À ces aspects, il convient d’ajouter un autre élément : l’insurrection n’a pas connu la même intensité partout. Dès les premiers attentats commis le 1er novembre, les militants se sont trouvés isolés, tant entre eux qu’au sein des masses populaires. Les Français ont concentré leur répression sur les Aurès, et Bachir Chihani, intérimaire de Mustapha Ben Boulaid qui venait d’être arrêté, a demandé à Zighoud de mener des actions pour alléger le poids de l’ennemi. Ce sont donc toutes ces raisons qui ont motivé la stratégie des chefs du Nord constantinois. Ce ne fut pas une démonstration de force, mais une stratégie de rupture révolutionnaire.
En quoi l’offensive du 20 août a-t-elle marqué un tournant stratégique dans la mobilisation du peuple algérien et l’isolement des partisans d’un compromis avec la France ?
Dans ses mémoires, Lakhdar Bentobbal rappelle quelques éléments ayant déterminé l’offensive du 20 août, tant sur le plan international que national. Dans l’esprit de ses initiateurs, il s’agissait de passer d’une guérilla au coup par coup à une véritable insurrection nationale capable de mobiliser l’ensemble du peuple algérien et d’isoler les hésitants ainsi que les ennemis.
Concernant la France, il était nécessaire de démontrer qu’il ne s’agissait pas d’escarmouches menées par des éléments isolés, mais d’une véritable insurrection nationale portée par le peuple. On a souvent tendance, en parlant des événements du 20 août, à passer sous silence leur aspect stratégique et politique, les réduisant ainsi à une simple opération armée. Bentobbal le souligne clairement dans sa question, quels que dussent être les pertes et le prix à payer ? Il fallait parvenir à une radicalisation de la guerre pour couper court à tous ceux qui voulaient s’entendre avec la France. Cet objectif stratégique a effectivement été atteint.
Zighoud Youcef, membre du groupe des 22 historiques, a mené l’offensive, mais qui étaient les véritables architectes de cette action ?
Je crois que l’histoire n’a pas totalement rendu justice à Zighoud Youcef. Certes, il a été héroïsé et statufié, comme tant d’autres dirigeants de la révolution, mais la question est de savoir si l’on a vraiment mesuré sa pensée, son action militante et son rôle dans la transformation du mouvement révolutionnaire algérien. Je ne le pense pas ; on continue à le présenter comme un chef militaire dépourvu de toute vision stratégique. On en est venu à minimiser non seulement l’importance de l’insurrection du Nord constantinois, mais aussi celle du 1er novembre, en déplaçant le curseur historique vers le congrès de la Soumam. C’est un renversement idéologique de l’Histoire, non fondé sur les faits et partial. On ne peut pas saucissonner un mouvement historique à sa convenance sans risquer de fausses interprétations.
Le congrès de la Soummam, sans le 20 août 1955, aurait été impossible, ou du moins n’aurait jamais eu le même impact. Zighoud croyait en la révolution et en son indépendance inéluctable. Sa hantise était de voir la lutte du peuple accaparée par des gens qui n’ont rien de commun avec lui. Malheureusement, c’est ce qui va se produire quelques années plus tard.
Lorsqu’on étudie cette période, il est essentiel de revenir sans cesse à l’origine des processus, plutôt que de partir de leur aboutissement. Dans cette perspective, l’action du 20 août a démontré que la lutte armée était portée par le peuple, et par le peuple seul.
La répression coloniale disproportionnée après les évènements aurait fait 10 000 morts et disparus. Ce chiffre est-il démesuré ?
Nous avons tendance, dans notre approche de l’histoire, à focaliser le débat sur la question de la violence coloniale, en ne retenant que le nombre de ses victimes, comme si l’ignominie d’une répression était exclusivement liée à l’ampleur de ses destructions humaines. Cette vision nous fait oublier les autres aspects de la violence coloniale, qui, bien que moins visibles ou immédiatement perceptibles, sont tout aussi destructeurs et ignobles. Dès que vous donnez un chiffre, l’ennemi vous demande de le documenter et vous oppose un autre chiffre, tout aussi contestable.
Il faut rappeler que la répression coloniale, depuis 1830, a toujours pratiqué des massacres en masse pour anéantir les mouvements insurrectionnels et, surtout, pour terroriser les populations et prévenir d’autres soulèvements. Pour revenir à votre chiffre, sa symbolique importe sans doute bien plus que sa réalité statistique, car ce que les Algériens retiendront de la répression d’août 1955, c’est l’ignoble détermination du peuplement colonial à ne rien céder de ses privilèges et de son hégémonie. Une rivière de sang allait dorénavant diviser les deux camps, et rien ne viendra les réconcilier.
Peut-on établir un parallèle entre les événements du 20 août 1955 et l’offensive du Hamas palestinien le 7 octobre 2023 ?
De nombreux analystes ont tenté cette comparaison. Le prix que le peuple palestinien, les Gazaouis et, aujourd’hui, les Libanais, ont payé pourrait atténuer notre appréciation des événements du 7 octobre. C’est un prix tellement élevé qu’il nous fait parfois douter de l’opportunité de cette date. Nous ne savons pas vraiment comment les événements vont évoluer, mais deux choses sont sûres : le 7 octobre a poussé l’entité sioniste à sortir de son discours martyrologique, présentant Israël comme un modèle de démocratie dans un océan de régimes autoritaires.
Ce mythe est tombé, et Israël s’est révélé sous son véritable visage : un monstre sanguinaire implanté au cœur de l’Orient. Deuxièmement, la Shoah, en tant que symbole du génocide du peuple juif, est surpassée en horreur par ce que l’État sioniste fait subir au peuple palestinien. Israël ne peut plus revendiquer l’exclusivité de la compassion humaine, grâce à laquelle elle s’est dotée d’une sorte d’immunité éthique.
Enfin, la question palestinienne est sortie du ghetto et de l’invisibilité dans lesquels l’impérialisme unipolaire l’a enfermée depuis les années 1990. Plus que jamais, le droit du peuple palestinien à son État n’a jamais été aussi d’actualité. De plus, Israël ne peut plus survivre que comme un État raciste et guerrier. Sa population ne pourra pas supporter cela longtemps ; le fruit pourrira de l’intérieur, comme il a pourri de l’extérieur.
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