Dr Youcef Boudjellal, microbiologiste, au Jeune Indépendant : «Automédication et allergies, un réflexe dangereux»
Au moment où les températures printanières s’installent et que les paysages se parent de verdure, un autre phénomène moins agréable refait surface, celui des allergies saisonnières. Conjonctivites, rhinites, toux, démangeaisons ou essoufflements réapparaissent, parfois de manière sévère. Face à cette gêne, la tentation est grande de se tourner vers l’automédication, notamment à travers l’usage d’antihistaminiques […] The post Dr Youcef Boudjellal, microbiologiste, au Jeune Indépendant : «Automédication et allergies, un réflexe dangereux» appeared first on Le Jeune Indépendant.

Au moment où les températures printanières s’installent et que les paysages se parent de verdure, un autre phénomène moins agréable refait surface, celui des allergies saisonnières. Conjonctivites, rhinites, toux, démangeaisons ou essoufflements réapparaissent, parfois de manière sévère. Face à cette gêne, la tentation est grande de se tourner vers l’automédication, notamment à travers l’usage d’antihistaminiques disponibles en pharmacie. Mais derrière ce geste banal se cachent des risques souvent méconnus. C’est ce qu’a affirmé au Jeune Indépendant le microbiologiste le Dr Youcef Boudjellal, qui tire la sonnette d’alarme et aborde dans cet entretien les enjeux liés à cette pratique, qui peut être très dangereuse pour la santé.
Le Jeune Indépendant : Avec l’arrivée du printemps, de nombreuses personnes prennent instinctivement des médicaments antiallergiques, parfois sans consulter. Est-ce que ce réflexe peut être dangereux pour la santé ?
Dr Youcef Boudjellal : Il est compréhensible que les personnes souffrant d’allergies récurrentes cherchent à se soulager rapidement, d’autant que certains médicaments sont en libre accès. Mais cela pose un réel problème, car beaucoup ignorent qu’un mauvais autodiagnostic peut les conduire à traiter une pathologie qui n’est pas allergique. Les symptômes typiques d’une allergie, à l’exemple des éternuements, des écoulements nasaux, des toux sèches et des démangeaisons oculaires, peuvent en réalité cacher des pathologies plus sérieuses, comme des troubles auto-immuns, des infections respiratoires chroniques ou même certaines maladies inflammatoires. En automédiquant les symptômes, on efface temporairement les signes visibles sans traiter la cause, ce qui retarde souvent une prise en charge adaptée et, dans certains cas, cela peut avoir de graves conséquences.
Quelles sont les erreurs de diagnostic les plus fréquentes liées à cette confusion ?
La première confusion concerne les maladies respiratoires chroniques, comme l’asthme ou la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), qui peuvent se manifester par une toux sèche et une gêne respiratoire. Certaines personnes pensent être allergiques alors qu’elles ont en réalité besoin d’un traitement de fond. Autre exemple, celui des maladies auto-immunes comme le lupus ou certaines vascularites, qui peuvent provoquer des réactions cutanées ou des symptômes pseudo-grippaux qui imitent les allergies. Le recours aux antihistaminiques dans ce contexte peut atténuer les signes extérieurs mais il induit le médecin en erreur lors de la consultation, faussant le diagnostic clinique.
L’usage non encadré d’antihistaminiques est-il lui-même risqué sur le plan pharmacologique ?
Absolument. Bien qu’ils soient en vente libre, les antihistaminiques ne sont pas anodins. Certains, notamment ceux de première génération, sont connus pour leurs effets secondaires puissants, dont la somnolence, les troubles digestifs, la bouche sèche, la vision floue, les vertiges mais aussi un ralentissement psychomoteur. Chez les personnes sensibles, on peut observer des troubles de la concentration, des hallucinations, voire des désorientations, en particulier chez les sujets âgés.
Les médicaments plus récents, dits de deuxième ou troisième génération, provoquent moins de somnolence, mais ils ne sont pas exempts d’interactions médicamenteuses. Or, beaucoup de patients prennent déjà d’autres traitements pour des pathologies chroniques. L’addition d’un antihistaminique, même ponctuellement, peut interagir avec des antidépresseurs, des anticoagulants ou des bêtabloquants, avec des effets parfois imprévus.
Y a-t-il des profils de patients particulièrement exposés à ces risques ?
Oui, plusieurs groupes de population doivent redoubler de vigilance. Tout d’abord, les femmes enceintes, le choix d’un antihistaminique compatible avec la grossesse est très limité et certains sont formellement contre-indiqués. Ensuite, les personnes âgées, qui cumulent souvent plusieurs traitements et présentent une fragilité neurologique accrue. Il y a aussi les patients atteints de pathologies cardiaques ou hépatiques, dont l’organisme élimine plus lentement les substances actives, augmentant le risque de surdosage. Et, bien sûr, les enfants, chez qui l’automédication est formellement déconseillée sans avis d’un pédiatre. Ce sont ces personnes vulnérables qu’on retrouve le plus souvent aux urgences pour des effets secondaires évitables.
Peut-on clairement distinguer une allergie saisonnière d’un autre type d’allergie ou d’une pathologie non allergique ?
Les allergies saisonnières sont liées à la pollinisation de certaines plantes, surtout au printemps, notamment ceux des arbres, des graminées et des herbacées, bien que dans certaines régions, un pic secondaire puisse survenir à l’automne avec d’autres types de pollen. Elles se manifestent généralement à des périodes bien définies, avec un ensemble de symptômes typiques, en l’occurrence des rhinites, des conjonctivites, de la fatigue, une gêne respiratoire, parfois aggravée chez les asthmatiques.
Mais il existe aussi des allergies perannuelles, présentes toute l’année, comme celles aux acariens, aux moisissures, aux animaux ou encore à certains produits chimiques. D’autres, enfin, sont professionnelles ou médicamenteuses. Je cite l’exemple du latex, dont l’allergie est présente dans le milieu de la santé à cause de l’utilisation répétés des gants, mais aussi celle lié à des produits antiseptiques, des antibiotiques comme la pénicilline, etc. Chaque allergie à sa propre dynamique clinique, et seule une consultation spécialisée avec un bilan allergologique permet d’identifier avec certitude l’agent déclencheur.
En l’absence de diagnostic formel, que risque-t-on concrètement à long terme ?
Le principal danger est de vivre avec une allergie sous-estimée, qui peut évoluer vers une forme plus sévère. Par exemple, une rhinite mal traitée peut précéder un asthme allergique. A l’inverse, prendre un traitement antiallergique pour un trouble non allergique retarde sa prise en charge et peut masquer des signes d’alerte précoces, comme une toux chronique liée à un reflux gastrique ou une fatigue anormale d’origine inflammatoire.
De plus, un traitement répété et inapproprié peut provoquer une accoutumance ou un effet rebond, notamment avec certains sprays nasaux décongestionnants. C’est un cercle vicieux, plus on les utilise, plus les muqueuses se fragilisent, et plus la sensation d’obstruction revient rapidement, poussant à une plus importante consommation.
Quelles sont les mesures concrètes que vous recommandez aux patients pour mieux gérer leur allergie sans tomber dans l’automédication ?
Le premier réflexe, c’est de consulter dès les premiers symptômes persistants, surtout s’ils se répètent d’une année sur l’autre ou s’intensifient. Ensuite, il faut éviter les diagnostics « maison » basés sur des souvenirs ou des suppositions. Aujourd’hui, les allergologues disposent d’outils performants pour identifier précisément les allergènes, je cite des tests cutanés, les dosages d’IgE spécifiques et les questionnaires environnementaux.
Une fois l’allergie confirmée, on peut mettre en place un protocole de prévention, limiter les expositions aux allergènes identifiés, aérer à des moments précis, porter un masque lors du jardinage, éviter les trajets aux heures de pic pollinique. Un traitement préventif peut être prescrit avant la saison à risque, ce qui permet de mieux contrôler les symptômes et d’éviter les pics de crise.
Enfin, il faut absolument respecter les posologies, ne jamais doubler une dose en cas de gêne persistante sans avis médical et ne jamais emprunter ou partager un traitement, même si les symptômes paraissent identiques.
Pour conclure, quel est votre message aux personnes concernées par les allergies ?
L’allergie n’est pas une fatalité, mais elle demande une gestion sérieuse, éclairée, et personnalisée. Le recours à l’automédication donne l’illusion de gérer les symptômes mais dans les faits, il retarde souvent le bon diagnostic et expose à des risques évitables. Il est toujours plus judicieux d’investir dans une consultation que de payer, à long terme, les conséquences d’un mauvais traitement. Il convient aussi de rappeler que la médecine allergologique a considérablement évolué. Aujourd’hui, on peut envisager des désensibilisations efficaces, un accompagnement ciblé et même des mesures environnementales adaptées à chaque patient. Mais tout cela commence par un principe simple, celui d’aller consulter un médecin avant toute prise de médicament.
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