L’arrière-boutique
Par A. Boumezrag – Liberté, égalité, fraternité : trois mots gravés sur le fronton des édifices français. Une belle promesse, une fable rassurante. Car dans l’arrière-boutique, la mécanique est tout autre. L’article L’arrière-boutique est apparu en premier sur Algérie Patriotique.

Par A. Boumezrag – Ah, la République ! Majestueuse, immaculée, drapée de principes universels qu’elle exhibe fièrement en vitrine. Liberté, égalité, fraternité : trois mots magiques, gravés sur le fronton des édifices publics, scandés dans les discours, chéris dans les manuels scolaires. Une belle promesse, une fable rassurante. Car, derrière la vitrine, dans l’arrière-boutique, la mécanique est tout autre.
Les républicains – ou du moins ceux qui se parent de ce titre – sont les vaillants gardiens de cette devanture scintillante. Ils en astiquent les dorures, en vantent les mérites, en défendent l’intégrité. Mais, une fois la porte de service franchie, ce ne sont plus des principes qu’on applique, mais des règles du commerce bien rôdées : réseautage, clientélisme, entre soi et, bien sûr, l’incontournable langue de bois.
La République prône l’égalité ? Certes, mais surtout dans les brochures. Dans l’arrière-boutique, on sait bien que certains naissent plus égaux que d’autres. Les écoles d’excellence ouvrent les portes des ministères, tandis que les quartiers populaires héritent d’un discours méritocratique qui sonne comme une douce ironie. On leur vend l’ascenseur social, mais celui-ci est souvent en panne, réservé aux passagers VIP ou bloqué à l’étage des privilèges héréditaires.
La République est le sanctuaire de la liberté ? Quelle belle idée ! En façade, tout le monde peut parler, débattre, contester. Dans l’arrière-boutique, on classe, on filtre, on canalise. Il y a les voix respectables et les voix qu’on marginalise. L’espace public est ouvert mais surveillé, balisé. La critique est tolérée, à condition qu’elle ne dérange pas trop les circuits d’influence bien établis.
Quant à la fraternité, ce doux idéal solidaire, elle s’évapore souvent en coulisses. On la brandit en période de crise, en appelant à l’unité nationale, mais dans l’arrière-salle, on privatise les richesses et on mutualise les sacrifices. On prêche la cohésion sociale, tout en fragmentant méthodiquement la société en castes bien distinctes.
Alors, faut-il brûler la vitrine et saccager l’arrière-boutique ? Pas nécessairement. Mais peut-être faudrait-il cesser d’admirer béatement la devanture et exiger que l’arrière-boutique ressemble enfin à ce qu’elle prétend vendre. Une République qui ne serait pas qu’un concept marketing, mais une réalité tangible. Une République qui ne serait pas un théâtre d’ombres, où la lumière n’éclaire que le décor.
En attendant, la boutique tourne toujours. Les républicains de vitrine continueront d’animer la devanture avec de grands discours. Et les clients désabusés continueront de scruter la vitrine en sachant trop bien ce qui se trame derrière le rideau.
Mais voilà que le décor tremble. La façade se fissure, la peinture craque. Parfois, une grève éclate, un mouvement de contestation secoue les fondations du bel édifice. Alors, dans l’arrière-boutique, on s’agite. On rafistole à la hâte, on change les slogans, on repeint les murs. Les vieilles recettes sont ressorties : promesses de réformes, consultations, quelques têtes qui tombent pour calmer la plèbe. Et puis, tout reprend son cours.
La République, ce grand magasin du symbolisme, sait se réinventer sans jamais se transformer. Les acteurs changent, les rideaux sont tirés, mais le spectacle reste le même. On feint de redistribuer les cartes, alors qu’on ne fait que les mélanger pour donner l’illusion du changement.
Alors, combien de temps encore avant que l’arrière-boutique ne déborde ? Avant que les clients lassés ne cessent d’admirer la vitrine pour exiger d’entrer dans la pièce interdite ? Car, si l’illusion persiste, si le fossé entre le décor et la réalité continue de s’élargir, il ne restera bientôt plus qu’une alternative : renverser la boutique ou la laisser sombrer sous son propre poids.
La République survivra-t-elle à ses propres contradictions, ou finira-t-elle par être emportée par les illusions qu’elle cultive ? La réponse ne dépend pas seulement des républicains de vitrine, mais de ceux qui, un jour, oseront pousser la porte de l’arrière-boutique.
Comme le disait si bien George Orwell : «En temps de tromperie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire.»
A. B.
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