Massacre du 17 octobre 1961 : Pour que nul n’oublie
Le 17 octobre 1961 demeure gravé dans les mémoires en tant que jour d’une ratonnade abjecte menée contre les Algériens établis en France alors qu’ils s’étaient rassemblés pacifiquement pour protester contre un couvre-feu injuste. Ce jour-là, un véritable meurtre, décidé au plus haut sommet de l’Etat français, a été perpétré par des policiers dirigés par […] The post Massacre du 17 octobre 1961 : Pour que nul n’oublie appeared first on Le Jeune Indépendant.
Le 17 octobre 1961 demeure gravé dans les mémoires en tant que jour d’une ratonnade abjecte menée contre les Algériens établis en France alors qu’ils s’étaient rassemblés pacifiquement pour protester contre un couvre-feu injuste. Ce jour-là, un véritable meurtre, décidé au plus haut sommet de l’Etat français, a été perpétré par des policiers dirigés par le sinistre Maurice Papon, acharnés, avec férocité, sur des civils algériens. Un triste chapitre dans les annales obscures du colonialisme français resté impuni à ce jour.
Contacté par Le Jeune Indépendant, les historiens Amar Belkhodja et Mohammed Lamine Belghit ont mis en lumière le déroulement de cette journée tragique, 63 ans après ce crime d’Etat.
L’historien Amar Belkhodja a déclaré que « la marche gigantesque du 17 octobre 1961 et la répression qui s’ensuivit prennent, par voie de conséquence, ses origines dans une guerre qui s’installe en France. Désormais, notre immigration, estimée entre 300 000 et 400 000 personnes à l’époque, va être harcelée sans relâche par des contrôles et des rafles aussi brutales qu’humiliantes. Elles deviennent plus violentes après la venue de Maurice Papon, auquel le chef d’Etat français, le général Charles de Gaulle, confiera la police parisienne ».
« Rompu aux basses besognes, ce dernier assume ses nouvelles fonctions avec un zèle exemplaire pour mater la résistance des Algériens de la Fédération FLN de France. Ses policiers, dont beaucoup sont à l’image de leur patron, se feront assister par des brigades spéciales de harkis. Ensemble, ils se permettront tous les abus contre les travailleurs algériens immigrés. Pour les « suspects », des centres de torture et de concentration ouvriront un peu partout en France. La guillotine se mettra elle aussi en mouvement pour décapiter les militants FLN en guerre en France, chez elle, par défi, par courage et par dignité », a-t-il dit.
Les responsables de la Fédération FLN refusent ce coup de force destiné à affaiblir et à mettre en échec la résistance des Algériens qui avaient inauguré la guerre, la poursuivant sur le sol français depuis le 25 août 1958. « La guerre se poursuit toujours en Algérie avec la même hargne et la même volonté des Algériens depuis le 1er novembre 1954 », a-t-il souligné.
Selon l’historien, il était hors de question de se soumettre aux mesures discriminatoires du couvre-feu, décidé par les institutions de l’Etat français, que la rumeur et les médias ont toujours imputé au seul préfet de police, Maurice Papon. « Cela déculpabilise tout un Etat pour épargner l’ancien persécuteur des familles juives en 1943 », a-t-il indiqué. Papon ne se contentera pas d’exécuter des ordres dans la stricte obéissance ; le chef de la police parisienne mettra toute la haine qu’il faut pour réprimer des manifestants sans armes et sans défense.
« Ce jour-là, la présence était estimée à 30 000 personnes, les travailleurs algériens, femmes et enfants compris, répondent massivement à l’appel du FLN et occupent les rues parisiennes. C’est un signe de protestation contre l’établissement d’un couvre-feu à l’adresse d’une communauté qui répond de la nationalité algérienne », a-t-il révélé. Aussitôt, les manifestants sont surpris par une violence et un matraquage inouïs, déclenchés par un corps policier zélé et avide de « ratonnades ».
Un écho aux héroïques insurrections
Des coups pleuvent comme la grêle. « Les manifestants tentent de fuir dans toutes les directions, poursuivis par les policiers, décidés à faire un carnage. Les charges sont brutales, impitoyables. Visages ensanglantés, les Algériens sont gardés à vue dans les rues, avec des mitraillettes pointées en leur direction, avant d’être embarqués dans des cars de police pour être parqués comme des bêtes dans des espaces et locaux improvisés. Ici, ils sont accueillis par des brigades spéciales à coups de crosse et de trique. Des dizaines de personnes périront à cause de ces mortels matraquages », a noté l’historien. Puis, il y aura des noyades dans la Seine, une rivière qui avalera plusieurs de nos compatriotes, poussés et noyés par des policiers acharnés.
L’automne 1961, marqué par ce triste épisode, devient un symbole des luttes populaires à Paris. Un écho aux héroïques insurrections des communards jusqu’aux manifestations des travailleurs immigrés algériens. Ces derniers, venus en France pour prêter leur force de travail, nourrissent leurs familles restées en Algérie, où les « cents seigneurs » ne cessent de dévorer une terre volée depuis l’invasion de 1830.
« Cette journée de l’automne 1961 à Paris est une journée de souffrances, de luttes et de sacrifices que nous, Algériens, n’avons pas le droit d’oublier. Elle se situe comme une étape importante dans la poursuite du combat pour la liberté. Un combat qui se déroule, cette fois-ci, au cœur même du centre de décisions politiques du gouvernement français », a souligné Amar Belkhodja.
Il a aussi expliqué que ce combat en France n’a pas laissé indifférents les milieux intellectuels et démocrates français. De nombreux artistes, écrivains et intellectuels se sont engagés à dénoncer la guerre coloniale et les représailles infligées au peuple algérien. « La plate-forme issue du Congrès de la Soummam, le 20 août 1956, a été claire sur la définition du combat du 1er novembre 1954, proclamant que la guerre menée par le peuple algérien n’est pas une guerre de religion ou de race mais une lutte pour détruire un mal nommé colonialisme », a-t-il rappelé.
Reconnaissance du crime colonial
De même, « des Français et des Européens de divers horizons politiques s’engageront à nos côtés, malgré les risques encourus. Nous citerons, entre autres, les historiens intègres tels que Olivier Lecour Grandmaison, Gilles Mancron, Jean-Luc Énaudi et Pierre Vidal-Naquet, dont les écrits et les actions ont fait avancer les idées et les comportements politiques en matière de reconnaissance du crime colonial », a confié Amar Khodja.
Cette reconnaissance, bien qu’avancée par bribes et à petits pas, reste, selon la même source, entravée par les courants politiques qui, comme ceux de Papon, empêchent la reconnaissance officielle des crimes coloniaux et du fait colonial lui-même. « La colonisation, tous empires confondus, n’a jamais été bénéfique à l’humanité », a-t-il affirmé, ajoutant que ce silence complice persiste aujourd’hui, en particulier à travers l’Etat d’Israël, qui observe le drame des Palestiniens depuis 1947.
De son côté, le Dr Mohammed Lamine Belghit a déclaré que « le 17 octobre 1961, Paris a été témoin de l’une des plus grandes manifestations pacifiques de la communauté algérienne contre le colonialisme français pendant la guerre de libération algérienne. Le Front de libération nationale (FLN) en France a appelé les Algériens à manifester pacifiquement pour protester contre le couvre-feu raciste imposé par les autorités françaises ».
Il a précisé que « les manifestations ont été sévèrement réprimées par la police française, les manifestants ont été frappés, arrêtés et tués, et beaucoup d’entre eux ont été jetés dans la Seine. Ces événements ont été longtemps gardés sous silence, la responsabilité du gouvernement français étant niée. Cependant, avec le temps, les faits se sont révélés, exposant cette tragédie comme l’une des pages sombres de l’histoire française ».
Selon l’historien, ces massacres représentent l’un des crimes les plus graves commis par les autorités coloniales françaises contre les Algériens en dehors des frontières de l’Algérie. « La police française, dirigée par Maurice Papon, a violemment réprimé des manifestations pacifiques organisées par les Algériens en exil pour protester contre le couvre-feu imposé par le gouvernement français le 5 octobre 1961 », a-t-il expliqué.
L’historien Belghit a rappelé que « ces manifestations visaient à revendiquer l’indépendance et les droits humains, et elles ont entraîné la mort et l’arrestation de nombreux Algériens, certains ayant été jetés dans la Seine, tandis que d’autres ont été soumis à la violence et à la torture ». Il a souligné que ce massacre est un exemple frappant de la duplicité de la France dans sa relation avec les droits de l’homme. « Alors qu’elle prétend défendre la justice et l’égalité, elle a commis des crimes contre l’humanité sur son propre sol. Bien que de nombreuses années se soient écoulées depuis ces événements, la mémoire collective algérienne et française reste marquée par ces actes, et de nombreux intellectuels et historiens français ont commencé, en 2001, à ouvrir le débat sur ces massacres, en demandant à l’Etat français de reconnaître sa responsabilité historique », a-t-il dit.
La crise mémorielle
Concernant la crise mémorielle actuelle entre les deux pays, le Dr Belghit a indiqué que « les massacres du 17 octobre 1961 font partie d’un long parcours de lutte que le peuple algérien a mené pour obtenir son indépendance. Ils ne reflètent pas seulement l’intensité du conflit en Algérie, mais aussi les répercussions qui se sont fait sentir en France même, influençant le cours des négociations entre le gouvernement français et le Front de libération nationale, qui ont conduit, plus tard, aux Accords d’Évian ».
Le Dr Belghit a indiqué que ces massacres, sur le plan historique, ont révélé le visage répressif de la France coloniale, même après son départ d’Algérie. « Maurice Papon, alors préfet de police à Paris, incarne cette répression. Il a été condamné plus tard pour crimes contre l’humanité, non seulement pour sa participation à ces événements, mais aussi pour sa collaboration avec le gouvernement de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale », a précisé l’historien. Il a rappelé que la commémoration de cet anniversaire est un appel aux sociétés française et algérienne pour qu’elles affrontent leur passé avec honnêteté et œuvrent pour la justice historique et la reconnaissance des souffrances infligées aux victimes de ces massacres.
Les Algériens s’étaient rassemblés depuis tous les quartiers ou toutes les banlieues parisiennes, atteignant des endroits comme la place de l’Opéra et la place de la République. « Les autorités françaises ont alors attaqué les manifestants, tuant des Algériens et marquant une page noire de l’histoire », a-t-il expliqué. Selon l’historien, des sources historiques ont démontré que « les forces françaises auraient tué plus de 1 600 personnes, mais la version française officielle ne reconnaît que 140 victimes et environ 800 blessés, dont beaucoup ont été hospitalisés. Cette nuit-là, la France a arrêté plus de 21 000 Algériens, parmi les 60 000 manifestants, et les a déportés vers l’Algérie, où ils ont été placés en détention ou sous résidence surveillée ».
Beaucoup de ceux qui ont été tués ont été jetés dans la Seine et l’inscription « Ici, on noie les Algériens » est restée gravée dans les mémoires comme une honte de l’histoire coloniale française. « Ce massacre a été comparé aux événements du 8 mai 1945, où des milliers d’Algériens avaient été tués par les autorités françaises à Sétif, Guelma et Kherrata », a conclu Mohammed Lamine Belghit.
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