Dans le monde arabe: La bande dessinée veut conquérir ses lettres de noblesse

En Égypte, l’adaptation dessinée de romans du grand écrivain Naguib Mahfouz, prix Nobel de littérature, pourrait marquer un tournant. Et marquer l’essor d’un genre jusque-là considéré comme mineur dans le monde arabe, explique le site qatari «Al-Jazeera». En Égypte, la bande dessinée est peut-être en train de conquérir de nouveaux territoires avec la récente parution […]

Mars 10, 2025 - 18:47
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Dans le monde arabe: La bande dessinée veut conquérir ses lettres de noblesse

En Égypte, l’adaptation dessinée de romans du grand écrivain Naguib Mahfouz, prix Nobel de littérature, pourrait marquer un tournant. Et marquer l’essor d’un genre jusque-là considéré comme mineur dans le monde arabe, explique le site qatari «Al-Jazeera».

En Égypte, la bande dessinée est peut-être en train de conquérir de nouveaux territoires avec la récente parution d’une adaptation de Miramar, célèbre roman de Naguib Mahfouz datant de 1967 (et disponible en français chez Gallimard), rapporte l’auteur et critique littéraire tunisien Kamal Riahi sur le site qatari Al-Jazeera. Pour la maison d’édition cairote Mahrousa, ce n’est pas un coup d’essai : l’an dernier, elle avait déjà publié une BD inspirée d’un autre roman du grand auteur égyptien, prix Nobel de littérature en 1988, à savoir Le Voleur et les Chiens, initialement paru en 1961 (et traduit chez Actes Sud). La fille de Naguib, Oum Kalthoum Mahfouz, affirme que son père, décédé en 2006, aurait approuvé l’adaptation de ses romans en BD puisqu’il avait, de son vivant, été «enthousiasmé» par des projets similaires consistant à adapter ses romans pour les enfants. Les deux BD, scénarisées et dessinées par Mohamed Ismail Amin, sont inédites en France.
Pourtant, la forme même de la BD ne fait pas l’unanimité sur les bords du Nil, où elle est parfois renvoyée à ses origines occidentales. Même si certains «essayent de l’adapter» en la rattachant à
l’iconographie pharaonique, la bande dessinée est apparue dans le monde arabe par l’intermédiaire de traductions d’œuvres occidentales comme Tintin, considérées comme destinées à un jeune lectorat. La maison
d’édition Mahrousa en a elle-même publié avant de se lancer «dans l’aventure des romans de Naguib Mahfouz», rappelle Al-Jazeera.
De fait, au Maghreb et au Moyen-Orient, les premières expérimentations dessinées ont souvent été menées dans d’autres langues que l’arabe. Ainsi, l’artiste marocain Abdelaziz Mouride (1949-2013) a adapté en 2020 Le Pain nu de Mohamed Choukri, un roman dans lequel l’écrivain (1935-2003) dépeignait son enfance dans un environnement d’une grande violence sociale, dans le Maroc sous protectorat français. Si le roman avait initialement paru en arabe, la BD n’a été publiée qu’en français, aux éditions Alifbata, et n’a donc pas pu rencontrer son public arabe, regrette Al-Jazeera.
En Égypte, Le Comité, un roman de Sonallah Ibrahim paru en 1981 (et traduit chez Actes Sud), a été adapté en roman graphique en 2016, mais l’initiative est venue de l’illustrateur et scénariste de BD français Thomas Azuélos. L’ouvrage, paru aux éditions Cambourakis, n’a pas été diffusé en langue arabe. Tout comme les adaptations de deux romans du Franco-Égyptien Albert Cossery (1913-2008), Mendiants et Orgueilleux et Les Couleurs de l’infamie (éd. Joelle Losfeld) ; elles ont paru respectivement chez Futuropolis et Dargaud. Concernant l’Irak, la transposition de Frankenstein à Bagdad, du romancier irakien Ahmed Saadawi (éd. Piranha), s’est aussi faite en français aux éditions Soleil, en 2024, et n’a pas été publiée en arabe.
En Arabie saoudite, la Commission de littérature, d’édition et de traduction soutient financièrement, pour sa part, des adaptations de littérature locale. Ce qui répond peut-être, au moins partiellement, à un défi de taille qui se pose pour développer des romans graphiques en arabe : le coût élevé de la réalisation et de l’impression, souligne Al-Jazeera. D’autant que les problèmes de rentabilité risquent de mener ce secteur encore balbutiant dans un piège qui s’est déjà refermé sur le cinéma arabe: des réalisations techniquement «épatantes» avec des images léchées, mais «un contenu superficiel». Il faudra éviter cet écueil pour que les adaptations de l’œuvre de Naguib Mahfouz constituent un réel tournant, prévient le site d’information.

M. L.