Gaspillage alimentaire durant le ramadan : Un paradoxe récurrent
Le ramadan, mois sacré de jeûne, de prière et de partage, devrait être synonyme de sobriété et de gratitude. Pourtant, chaque soir, après le coucher du soleil, les tables se couvrent de plats en abondance, souvent bien au-delà des besoins réels des familles. Tandis que certaines personnes peinent à se nourrir, des quantités astronomiques de […] The post Gaspillage alimentaire durant le ramadan : Un paradoxe récurrent appeared first on Le Jeune Indépendant.

Le ramadan, mois sacré de jeûne, de prière et de partage, devrait être synonyme de sobriété et de gratitude. Pourtant, chaque soir, après le coucher du soleil, les tables se couvrent de plats en abondance, souvent bien au-delà des besoins réels des familles. Tandis que certaines personnes peinent à se nourrir, des quantités astronomiques de nourriture finissent dans les poubelles. Une contradiction flagrante qui interroge et invite à une prise de conscience collective.
Chaque année, à l’approche du mois du ramadan, les marchés et supermarchés enregistrent une affluence exceptionnelle. L’angoisse du manque pousse de nombreux consommateurs à remplir frénétiquement leurs paniers. « Je fais mes courses comme si je préparais un mariage », reconnaît Bilal, père de famille à Alger. « Ma femme et moi achetons en grande quantité, sans vraiment réfléchir. Des légumes, de la viande, plusieurs types de pain, des pâtisseries, des boissons… Et au final, il y a toujours des produits qu’on ne consomme pas et qu’on jette », déplore-t-il toutefois.
Parmi les produits emblématiques de cette surconsommation ramadanesque, le pain est l’un des plus gaspillés. Matlouh, khobz eddar, kesra, baguettes… Chaque foyer achète plusieurs variétés, parfois en double. Dalila, mère de trois enfants, patiente devant une boulangerie réputée de l’avenue Pasteur. « Mon mari et mes enfants insistent pour avoir différentes sortes de pain pour le ftour et le shour. J’achète donc plusieurs types, mais souvent, il en reste trop et personne ne veut du pain de la veille », témoigne-t-elle. La majorité des clients dans la file d’attente reconnaissent qu’ils achètent toujours trop de pain et de brioches. Ils avouent tenter de se modérer, en vain, car cela n’est pas chose facile pour eux.
Le moment de l’iftar est un véritable festival culinaire. Entre traditions et envie de régaler sa famille, il est difficile de se limiter. Nassima, croisée au marché Ferhat-Boussaâd (ex-Meissonnier), déplore le fait que « l’on cuisine toujours trop par peur de ne pas être rassasié, mais en fait, on est très vite rassasiés et donc on ne touche même pas à certains plats ». Sa voisine Amina confie : « Mon père veut au moins trois plats différents sur la table, mais après quelques bouchées, il dit ne plus avoir faim. Du coup, je recycle tout comme je peux. Les restes de viande finissent dans les boureks, les légumes dans une soupe ou en hrira, et le pain sec devient de la chapelure, que j’utilise également pour faire des plats traditionnels anti-gaspillage, comme la sfiria ou la chekhchoukhat el-khobz dont mes enfants raffolent. »
Astuces anti-gaspillage pour un ramadan responsable
Face à cette surconsommation, certains foyers adoptent des solutions pratiques. « Avant, je jetais énormément, mais j’ai décidé de changer mes habitudes », affirme Amine, un quadragénaire en pleine forme. Passionné de cuisine, il explique : « Je cuisine en fonction des besoins réels, j’évite les achats impulsifs, bien que j’aime beaucoup faire le tour des marchés pour passer le temps et dénicher les meilleurs produits frais au meilleur prix. » Il ajoute, avec un sourire espiègle : « Grâce à mes enfants adolescents, j’ai appris à utiliser efficacement certains réseaux sociaux qui, avec des vidéos courtes et des groupes spécialisés, proposent toute une gamme de recettes intéressantes anti-gaspillage ainsi que des plannings pour les repas du ftour, ce qui permet de mieux s’organiser ».
A l’exemple d’Amine, certaines familles redoublent d’ingéniosité pour ne rien jeter. « Chez moi, il y a toujours des restes de chorba », raconte Leïla, enseignante à Baba Hassen. « Au lieu de la jeter, je la mixe avec des légumes et j’en fais une soupe épaisse pour le lendemain ou même une sauce pour accompagner du riz ».
Fadia, mère de deux filles, a développé des réflexes anti-gaspillage et révèle ses multiples astuces. « Les restes de poulet ou de viande, je les effiloche et je les mets dans des bricks ou des gratins. Quant aux légumes, je les transforme en purées ou en galettes », indique-t-elle.
Salima, infirmière, assure, en attendant le bus à l’agence de Ben Aknoun, que même les dattes et les pâtisseries qui s’accumulent sur la table peuvent être recyclées. Elle explique : « Les dattes trop sèches, je les mixe avec un peu de beurre ou de margarine, des cacahuètes et du miel pour en faire des boules énergétiques pour mes enfants. » Elle ajoute que « concernant les gâteaux, s’ils commencent à durcir, je les réduits en miettes et je les mélange avec du yaourt pour en faire un dessert express. Pour la pâtisserie, je fais des verrines avec du flan et je mélange les gâteaux au miel avec des grains de sésame pour en faire de délicieuses bouchées faciles à manger ».
Rachid, boulanger spécialisé dans le pain traditionnel, encourage à congeler les pains plutôt que de les laisser durcir, affirmant que « le matlouh et la kesra se conservent très bien au congélateur. Il suffit de les réchauffer à la poêle et ils retrouvent tout leur moelleux ».
Mais tout le monde n’a pas cette discipline. De nombreuses familles, faute de temps ou de volonté, se débarrassent des restes au lieu de les réutiliser. Un gaspillage d’autant plus choquant que les aliments jetés auraient pu nourrir d’autres personnes. « Voir toute cette nourriture partir à la poubelle alors que des gens ont du mal à se nourrir, c’est révoltant et une aberration », déplore Anissa, ajoutant dans un soupir : « Pourtant, ce mois est censé nous apprendre la patience, la gratitude et la simplicité».
De son côté, Yacine, retraité, déclare sur un ton profond que « le ramadan devrait être un mois de réflexion et de discipline, y compris dans notre manière de consommer : moins d’excès, plus de partage ».
Ainsi, c’est en adoptant une approche plus responsable, en consommant avec sagesse, que l’on donne un véritable sens à notre jeûne, en renouant avec l’essence même de ce mois sacré.
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