Louis Orhant, ami de la révolution algérienne : «Je me sens Algérien par mon engagement»
Louis Orhant, militant français engagé dans la guerre de libération algérienne, a refusé en 1955, à l’âge de 20 ans, de porter les armes contre le peuple algérien, qu’il considérait victime d’une injustice insupportable. Plus qu’un simple déserteur, il s’est impliqué activement dans le soutien à la révolution algérienne, et ce au péril de sa […] The post Louis Orhant, ami de la révolution algérienne : «Je me sens Algérien par mon engagement» appeared first on Le Jeune Indépendant.
Louis Orhant, militant français engagé dans la guerre de libération algérienne, a refusé en 1955, à l’âge de 20 ans, de porter les armes contre le peuple algérien, qu’il considérait victime d’une injustice insupportable.
Plus qu’un simple déserteur, il s’est impliqué activement dans le soutien à la révolution algérienne, et ce au péril de sa liberté. Il a créé, avec les déserteurs Jean-Louis Hurst, Gérard Meïer et l’abbé Robert Davezies, le mouvement « Jeune Résistance ». Ce mouvement est considéré comme la première organisation opposée à la guerre d’Algérie, qui regroupe des déserteurs et des insoumis français, anticolonialistes, la plupart communistes ou d’extrême gauche ainsi que des militants qui les soutiennent.
En lien avec les « porteurs de valises » du Réseau Jeanson, beaucoup d’entre eux se sont engagés dans l’aide au Front de libération nationale (FLN). Rencontré à l’occasion de la deuxième session de l’assemblée de l’Association des amis de la révolution algérienne, Louis Orhant partage, pour les lecteurs du Jeune Indépendant, son témoignage, riche en émotions, sur cette période marquante ainsi que sur l’importance de soutenir les causes justes et le devoir de mémoire.
Jeune Indépendant : Vous êtes, aujourd’hui, présent à cette rencontre en Algérie en tant qu’ami de la révolution algérienne. Pouvez-vous revenir sur votre engagement durant la guerre de libération nationale ?
Louis Orhant : Bien sûr. En 1955, j’avais 20 ans et j’étais soldat dans l’armée en France lorsqu’on m’a convoqué pour participer à la guerre d’Algérie. Mais quelque chose en moi refusait catégoriquement cette idée. J’ai refusé de prendre les armes contre le peuple algérien et mon refus a entraîné ma décision de déserter, à l’instar d’un certain nombre de Français. Mais cela ne suffisait pas à mes yeux. C’est pour cela qu’avec d’autres camarades, nous avons décidé de former un mouvement qui s’appelait Jeune Résistance.
Qu’est-ce qui a motivé votre engagement pour la cause algérienne ?
Je venais d’un milieu ouvrier modeste. Mon père était communiste, profondément attaché à l’idée de justice sociale et à la lutte contre l’oppression. Ces valeurs m’ont été transmises dès mon enfance. J’ai également grandi en entendant parler des luttes de décolonisation, notamment au Vietnam. Mais il y avait une distance, un détachement. C’était une histoire qu’on lisait dans les journaux. Tout a changé lors d’un bref séjour en Algérie.
Que s’est-il passé lors de ce séjour en Algérie ?
Ce fut un véritable choc. En arrivant, j’ai été confronté à une réalité brutale et insoutenable. J’ai vu une pauvreté extrême et une terrible misère dans lesquelles était plongé le peuple algérien. J’ai vu aussi l’arrogance des colons, le mépris qu’ils affichaient envers les Algériens. Ce fossé entre les colons et les colonisés était insoutenable. Ce n’étaient pas des images qu’on pouvait ignorer. En quelques jours, tout ce que j’avais lu, tout ce que mon père m’avait raconté est devenu une vérité tangible. Quand je suis rentré en France, je savais que je ne pourrais pas participer à cette guerre.
C’est pour cela que vous avez fait le choix de déserter l’armée coloniale ?
En tant que soldat déserteur de l’armée coloniale, je devais m’engager pleinement et prendre position de manière active pour la cause algérienne. Je pense qu’il est temps de changer le terme désertion par celui d’engagement pour une cause juste. Nous ne voulions pas seulement dire non à la guerre mais contribuer à la lutte pour la liberté du peuple algérien. Ce choix était aussi un acte de solidarité. En tant que déserteurs, nous quittions l’armée pour rejoindre les rangs de ceux qui combattaient l’injustice. Cela signifiait briser les normes, affronter les autorités, mais c’était un risque que nous étions prêts à assumer. Le plus important, c’est que j’ai décidé de déserter et de transformer ce refus en un engagement concret. Avec d’autres jeunes, nous avons créé Jeune Résistance, un mouvement basé en Suisse, pour soutenir activement la révolution algérienne.
Quels étaient vos objectifs avec Jeune Résistance ?
Notre travail avait deux volets principaux. Le premier était d’aider les jeunes Français qui, comme moi, refusaient de participer à cette guerre coloniale. Nous les aidions à traverser les frontières et à trouver refuge. Le second était de soutenir activement le FLN (Front de libération nationale). Nous transportions des fonds, des documents, et nous aidions les militants algériens à échapper à la répression en leur faisant franchir les frontières. Ces actions étaient périlleuses. Chaque passage de frontière, chaque mission pouvait se solder par une arrestation ou pire. Mais nous savions que ce que nous faisions était juste et nécessaire.
Vous avez été arrêté à plusieurs reprises. Pouvez-vous nous parler de ces moments ?
La première arrestation a eu lieu en Suisse mais elle n’a pas eu de graves conséquences. C’est en France, en 1960, que les choses ont pris un tournant dramatique. J’étais rentré pour organiser des collectes et renforcer les réseaux de soutien au FLN. C’est à ce moment-là que j’ai été arrêté par les autorités françaises et condamné à 10 ans de prison. J’ai été incarcéré à Fresnes, où j’étais interné avec 700 à 800 prisonniers algériens. J’ai été libéré au bout de deux ans, suite à la signature des accords d’Evian. Ces années ont été éprouvantes mais profondément marquantes. J’ai partagé le quotidien de ces hommes courageux, appris leur histoire et renforcé mes convictions.
Comment avez-vous vécu cette incarcération ?
C’était une période difficile, bien sûr. Etre enfermé pour ses convictions est une expérience qui marque à vie. Mais c’était aussi une période de solidarité et de fraternité. Les prisonniers algériens m’ont accueilli comme l’un des leurs. Chaque jour, nous trouvions des moyens de résister, ne serait-ce que par des discussions ou des chants. Ces moments nous rappelaient pourquoi nous étions là. Nous savions que notre lutte était juste, que nous faisions partie d’un mouvement plus grand, celui de la justice et de la liberté.
Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur votre engagement ?
Je suis convaincu que nous avions raison. L’Histoire nous l’a prouvé. Chaque fois que je retourne en Algérie, je ressens une profonde émotion. Les Algériens ne nous ont pas oubliés ; leur reconnaissance est pour moi le plus beau des cadeaux. Je me sens, par mon engagement, Algérien, comme si une partie de moi appartenait à cette terre et à ce peuple. C’est une immense fierté. Le seul regret que j’ai, c’est que beaucoup de compagnons qui ont contribué à cette lutte ne sont plus de ce monde pour recevoir de leur vivant ces hommages. Aujourd’hui, j’ai la chance de revenir en Algérie, voir ses progrès, rencontrer ses habitants… C’est très émouvant. Malgré les défis que le pays peut encore affronter, il est libre. Et cette liberté est un trésor, une victoire. Je suis aussi content d’être présent aujourd’hui ici pour entendre le soutien de l’Algérie aux luttes actuelles, en Palestine et au Sahara occidental.
Vous avez mentionné les luttes actuelles des Palestiniens ou des Sahraouis. Quel regard portez-vous sur ces causes ?
Ces luttes résonnent profondément en moi. La cause palestinienne, notamment, est une injustice criante. Cela fait des décennies qu’un peuple entier est privé de sa terre, de sa dignité. Je tiens à souligner que je soutiens à 100 % la cause palestinienne. Quant au Sahara occidental, c’est une cause trop souvent ignorée, mais tout aussi légitime. Je crois qu’il est de notre devoir de soutenir ces peuples, comme nous avons soutenu les Algériens à leur époque.
Selon vous, quel rôle joue le devoir de mémoire ?
Le devoir de mémoire est essentiel. C’est une manière de rendre justice à ceux qui ont lutté et souffert. En France, il est essentiel de rappeler que certains Français ont choisi de se battre aux côtés des Algériens, car c’était la cause de la justice. En Algérie, il est tout aussi important de préserver cet héritage. Les jeunes doivent savoir que leur liberté a été conquise au prix de sacrifices immenses. Le devoir de mémoire nous rappelle que la justice, la dignité et la liberté sont des valeurs universelles, pour lesquelles il faut toujours se battre.
Pour conclure, avez-vous un message à transmettre ?
Je veux simplement dire que nous n’étions pas des déserteurs mais des militants engagés dans une cause juste. Nous étions simplement des militants convaincus que la justice valait tous les sacrifices. Ce que j’ai fait, je l’ai fait naturellement parce que je ne pouvais pas faire autrement. Aujourd’hui, je suis heureux de voir que cette mémoire est encore vivante, que des voix continuent de raconter cette histoire.
C’est elle qui nous unit, qui nous rappelle que la justice triomphe toujours, même au prix des plus grands sacrifices. Le devoir de mémoire nous rappelle que la justice, la dignité et la liberté sont des valeurs universelles pour lesquelles il faut toujours se battre. Mon souhait est que cette mémoire vive inspire les générations futures et les pousse à se battre pour défendre ces valeurs universelles. J’insiste encore une fois pour dire que la plus importante des valeurs est d’être convaincu que la justice triomphe toujours, même face aux plus grandes oppressions.
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