Ponts fragiles

Par A. Boumezrag – La réélection de Trump pourrait réorienter les dynamiques géopolitiques en Méditerranée, renforçant les tensions tout en fragilisant les ponts diplomatiques déjà précaires. L’article Ponts fragiles est apparu en premier sur Algérie Patriotique.

Nov 9, 2024 - 10:10
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Ponts fragiles

Par A. Boumezrag – La Méditerranée, ce carrefour historique de civilisations, de routes commerciales et de rivalités anciennes, semble aujourd’hui osciller entre deux pôles : celui des promesses d’union et celui des fractures diplomatiques. Alors que les alliances atlantistes promettent une stabilité apparente entre l’Europe et l’Amérique, le bassin méditerranéen met en lumière les fissures et tensions récurrentes, et révèle un paradoxe profond : entre l’Afrique du Nord et l’Europe du Sud, les ponts sont aussi fragiles que les murs sont solides.

Les tensions récentes en Méditerranée traduisent cette dynamique, marquée par des événements qui ébranlent les alliances et mettent en lumière les rivalités géopolitiques. La France, par exemple, reconnaît officiellement la marocanité du Sahara, provoquant l’irritation de l’Algérie. A cela s’ajoute la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et l’Espagne suite aux reconfigurations de leurs intérêts économiques et énergétiques. Ces querelles, loin d’être de simples frictions diplomatiques, révèlent des rivalités enracinées qui influencent toute la géopolitique de la région.

Sous la surface des eaux méditerranéennes, les infrastructures stratégiques se multiplient. Les pipelines, comme ceux qui relient l’Algérie à l’Europe, constituent des cordes tendues entre les deux continents, à la fois symboles de dépendance énergétique et de vulnérabilité géopolitique. A la surface, les cargos et paquebots tracent des routes marchandes vitales pour l’Europe, mais qui restent perpétuellement exposées aux aléas politiques de chaque rive.

La Méditerranée n’est pas qu’une route commerciale, elle est aussi un véritable théâtre de tensions migratoires. Des milliers de migrants tentent chaque année de traverser ses eaux, cherchant une vie meilleure en Europe, tandis que les Etats riverains multiplient les patrouilles et les accords pour endiguer ces flux. Au final, la Méditerranée se retrouve à la fois espace de connexion et ligne de démarcation : un pont pour les marchandises, mais un mur souvent infranchissable pour les personnes.

La réélection de Donald Trump à la Maison-Blanche, le 5 novembre 2024, marque un tournant décisif dans la politique mondiale, en particulier pour les dynamiques géopolitiques en Méditerranée. Sous sa présidence, les Etats-Unis risquent de renforcer leur approche isolationniste, avec une priorité donnée à la politique «America First». Cette vision, déjà amorcée lors de son premier mandat, pourrait se traduire par une réduction significative de l’engagement américain en Méditerranée, et un retrait des responsabilités militaires et diplomatiques dans la région.

Trump pourrait ainsi privilégier des accords commerciaux bilatéraux plutôt que de maintenir l’engagement des Etats-Unis dans les crises méditerranéennes, comme en Libye ou en Syrie. Ce retrait de l’Amérique permettrait à des puissances comme la Russie et la Chine de renforcer leur influence en Méditerranée. La Russie, déjà implantée en Syrie, pourrait étendre sa présence militaire et politique, tandis que la Chine, à travers sa stratégie de la Nouvelle Route de la Soie, multiplierait ses investissements dans des infrastructures portuaires clés, notamment en Grèce et en Afrique du Nord.

L’absence d’un leadership fort des Etats-Unis pourrait fragiliser davantage les alliances atlantiques et rendre l’Union européenne plus vulnérable aux rivalités locales. L’Europe, déjà divisée sur de nombreuses questions internes, se retrouverait dans une position inconfortable face à l’instabilité croissante dans le bassin méditerranéen.

L’effet direct de cette dynamique est évident dans les relations entre l’Europe et l’Afrique du Nord. Le soutien historique des Etats-Unis à certains acteurs régionaux, notamment dans la lutte contre le terrorisme ou la gestion des flux migratoires, pourrait se réduire, laissant l’Europe seule face à ses défis. Dans le contexte de la réélection de Trump, des pays comme l’Algérie pourraient chercher à renforcer leurs liens avec la Russie ou la Chine, tandis que le Maroc, déjà favorable à une approche plus indépendante, pourrait se rapprocher des Etats-Unis dans un cadre bilatéral plus pragmatique.

La guerre en Libye, symbole de l’incapacité européenne à résoudre une crise régionale majeure, pourrait s’aggraver. Le manque de cohésion de l’Union européenne, allié à l’absence de soutien américain, risquerait de prolonger le chaos libyen, ouvrant davantage la voie à l’intervention de puissances extérieures. De même, les tensions entre la Turquie, la Grèce et Chypre concernant les ressources en Méditerranée orientale pourraient devenir plus difficiles à gérer sans la médiation américaine ou une pression coordonnée européenne.

Ce retrait américain et cette fragmentation croissante de l’ordre mondial mettent en lumière l’illusion des «ponts» méditerranéens. Bien qu’ils soient souvent brandis comme des symboles de coopération et de dialogue, ces ponts sont de plus en plus fragiles face aux réalités géopolitiques. Les relations entre l’Europe et l’Afrique du Nord, entre les rives méditerranéennes, sont sans cesse redéfinies par les rivalités locales et les interventions extérieures.

Les murs, eux, sont de plus en plus solides : entre les divisions internes de l’UE, les affrontements sur les ressources naturelles et la concurrence entre puissances mondiales ; la Méditerranée devient un espace de fractures plus que de convergences. Le soutien des Etats-Unis à l’ordre mondial, en particulier en ce qui concerne la stabilité méditerranéenne, semble de moins en moins garanti. Dans ce contexte, l’Europe, déjà fragilisée par ses divisions internes, devra faire face à une Méditerranée plus instable et plus fragmentée.

La réélection de Donald Trump pourrait ainsi réorienter les dynamiques géopolitiques en Méditerranée, renforçant les tensions et les rivalités tout en fragilisant les ponts diplomatiques déjà précaires. La politique isolationniste de Trump pourrait exacerber l’instabilité dans une région déjà marquée par des fractures profondes. La Méditerranée risque ainsi de devenir un espace de compétition accrue, où les puissances extérieures s’affrontent pour gagner de l’influence et où les murs d’intérêts nationaux et géopolitiques se solidifient, rendant plus difficiles les tentatives de coopération.

Dans un tel contexte, les ponts fragiles entre l’Europe et l’Afrique du Nord, entre l’Est et l’Ouest de la Méditerranée, risquent de céder sous la pression des intérêts divergents. Ce qui pourrait rester serait un monde méditerranéen où, plus que jamais, les murs se dressent, tandis que les ponts se disloquent sous les coups de l’histoire.

Les ponts entre l’Europe et l’Afrique du Nord semblent aussi fragiles que les murs de la diplomatie internationale : ils se construisent à grand renfort de discours, mais se brisent sous le poids des intérêts divergents.

A. B.

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