En France, une BD raconte un siècle d’immigration algérienne
Vieille de plus d’une demi-siècle, la bibliothèque personnelle de Benjamin Stora a voyagé au gré des déménagements du Constantinois à Paris et à l’étranger. Mais, sous l’effet de sa triple vocation —étudiant, historien, enseignant —, elle n’en finit pas de s’enrichir et, au fil des acquisitions, de grignoter de l’espace at home ! Il y en […] The post En France, une BD raconte un siècle d’immigration algérienne appeared first on Le Jeune Indépendant.
Vieille de plus d’une demi-siècle, la bibliothèque personnelle de Benjamin Stora a voyagé au gré des déménagements du Constantinois à Paris et à l’étranger. Mais, sous l’effet de sa triple vocation —étudiant, historien, enseignant —, elle n’en finit pas de s’enrichir et, au fil des acquisitions, de grignoter de l’espace at home ! Il y en a de tout avec, spécialité du concerné oblige, une prépondérance de la thématique ‘’histoire’’.
Il y a d’abord les manuels et les titres ‘’référence’’ dans la discipline, ces indispensables outils qui, de Paris X (Nanterre) à Paris XII (Créteil), ont accompagné l’étudiant puis le doctorant à l’épreuve gagnante de la licence et de la post-graduation.
Il y a, il va sans dire, les ouvrages publiés par ses collègues et amis historiens, à commencer par les grandes signatures de l’histoire coloniale, du nationalisme algérien et de la guerre l’indépendance. Dédicacés au moyen de mots choisis, ils ornent un rayon entier de la bibliothèque. Et, à tout seigneur, tout honneur, Il y a son œuvre, dense et multiforme : 37 livres auxquels s’ajoutent 11 publiés en collaboration et 6 livres collectifs dirigés en compagnie d’illustres pairs sans compter la quinzaine de thèses qu’il a encadrées.
La ‘’Stora’s Libary’’ comporte aussi un rayon dédié à la filmathèque . Des « années algériennes » — un coup d’essai qui a été un coup de maître (1991, Antenne 2) à « C’était la guerre d’Algérie » (2022, France Télévisions) en passant par « Algérie été 62, l’indépendance aux deux visages » (2002, France 5), le biographe de Messali Hadj et de Ferhat Abbas a été impliqué, en auteur, co-auteur ou conseiller historique, dans de nombreux documentaires et films très prisés par le public. Au soir de cet été 2024, la bibliothèque personnelle de Benjamin Stora s’enrichit d’une énième nouveauté : « Les Algériens en France », une bande dessinée (La Découverte).
En librairie à partir de la semaine prochaine, cette publication peut se targuer à raison d’avoir un cachet particulier. En effet, elle accompagne, dans le registre du neuvième art (la bande dessinée), le bouquet final des travaux universitaires présentés par Stora pour valider ses diplômes : sa thèse de doctorat d’État, épilogue d’un cursus brillant qui a commencé en 1976 par une maîtrise en histoire, suivie, tour à tour, d’un DEA, d’un doctorat de 3e cycle, d’un doctorat et, ‘’cerise sur le CV’’ pédagogique, d’un doctorat d’Etat.
« Histoire politique de l’immigration algérienne en France. 1922-1962 » — c’est l’intitulé de la thèse — a été soutenue en janvier 1990 à l’université Paris XII. Présidé par Jean Leca, spécialiste de l’Algérie et ex directeur de l’Institut d’études politiques d’Alger (IEP, de 1962 à 1965), le jury réuni pour examiner le travail mené sous la direction de l’immense Charles-Robert Ageron l’a crédité de la mention « Très honorable ». A
ux 700 pages initiales (deux tomes), Stora a ajouté un troisième tome, motivé en cela par le souci académique d’actualiser la moisson jusqu’à 1982. Choix méthodologique judicieux, un quatre tome a été dédié aux annexes, histoire de donner à lire la ‘’riche moisson de documents inédits’’, selon la propre appréciation de Charles-Robert Ageron. Au final, le doctorant a enrichi le fichier bibliographique de l’Université de 1290 pages dactylographiées. Et parce-que le jury l’a souhaité dans son verdict, cette thèse a été publiée, avec une teneur réactualisée, dans un format ‘’grand public’’ en 1992 aux éditions Fayard sous le titre de « Ils venaient d’Algérie. L’immigration algérienne en France, 1912-1992 ». Une nouvelle édition est sortie en 2009 chez Hachette Littérature (collection pluriel).
Visiblement, l’historien à la bibliographie qui s’étire sans cesse semble de plus en plus tenté par la narration de l’histoire au moyen du neuvième art. « Les Algériens en France » est sa troisième bande dessinée. Sa première expérience en la matière date de 2016. Avec l’illustrateur et auteur de bande dessinée Sébastien Vassant, il a signé aux éditions du Seuil une « Histoire dessinée de la guerre d’Algérie ». Saluée par la critique, cette ‘’première’’ a obtenu une année après sa parution le Prix BD du livre politique. En 2021, le natif de Constantine a collaboré avec Nicolas Le Scanff — graphiste, directeur artistique et bédéiste talentueux — dans « Histoire dessinée des juifs d’Algérie. De l’antiquité à nos jours ».
La nouvelle BD devance d’un mois la commémoration du 63e anniversaire de la répression sanglante des manifestations du 17 octobre 1961, une tragédie que Stora et Nicolas Le Scanff évoquent bien évidemment dans leur travail. « Cette bande dessinée est étonnamment la première du genre à offrir un récit sur le temps long de l’immigration algérienne en France (…) Ce duo d’auteurs met ici en récit et en images les travaux de l’historien Benjamin Stora sur l’immigration algérienne, à travers un récit sensible, chronologique et intergénérationnel », note, en se félicitant de la singularité de la publication, l’historienne Naïma Huber-Yahi.
Native du Nord de parents algériens ouvriers dans le secteur des textiles, Naïma Huber-Yahi est une spécialiste des thématiques de l’immigration. C’est ès qualité que les deux auteurs lui ont demandé de préfacer une publication dont le contenu lui parle personnellement puisqu’il la renvoie à son propre vécu et, antérieurement, à celui, digne, de ses parents. « Au-delà de l’intérêt scientifique que j’ai pu moi-même porter à ces générations d’immigrés algériens par mes travaux de recherche, il s’agit là également de ma propre histoire, encore si peu documentée, notamment par le neuvième art. Car que sait-on vraiment de la présence de l’une des immigrations les plus importantes du XXe siècle, à la croisée du fait colonial et du fait migratoire ? ».
Auteure, sous la direction de Benjamin Stora, de « L’exil blesse mon cœur : pour une histoire culturelle des artistes algériens en France : 1962-1987 », une thèse de doctorat en histoire soutenue en 2008 à Paris VIII, Naïma Huber-Yahi fait valoir à grand trait la portée de cette BD. « Articulée autour de lieux de mémoire, de faits historiques mais aussi de destins croisés, cette bande dessinée offre des silhouettes et des visages à un « récit manquant », celui de la transmission de luttes à la fois sociales et politiques comme anticoloniales et antiracistes au sein de l’immigration algérienne tout au long de cette présence en France métropolitaine et en particulier au sein des quartiers populaires ».
Les yeux rivés sur le rétroviseur du vécu familial, la mémoire rembobinant les chapitres du savoir académique sur l’immigration algérienne, la préfacière tient en haleine le lecteur dès le prologue de la BD. « Telle une épopée de l’exil, on suit pas à pas à travers le siècle la destinée de la génération des parents et de celle des enfants qui dialoguent : de Marseille à Paris, dans les houillères du Nord ou dans l’Est et le monde de la sidérurgie, on rappelle l’héritage intrafamilial des luttes pour l’indépendance algérienne, comme en écho aux mobilisations de la jeunesse immigrée pour un droit de vivre en France dans l’égalité et contre le racisme ».
Le récit dessiné du duo Stora- Le Scanff « revisite des pages oubliées’’ de la présence algérienne en France. L’historienne énumère non sans pertinence les morts du 14 juillet 1953 (au cours de laquelle la police tire intentionnellement sur un cortège du MTLD, ndlr), les attentats xénophobes de 1973 (visant les ressortissants algériens et le Consulat général de Marseille, ndlr) ou encore la nuit noire du 17 octobre 1961. Naïma-Huber Yahi profite de l’opportunité de la préface pour mettre des chiffres sur « Les Algériens en France
En 2019, ils étaient 846 400 ressortissants algériens et 1 207 000 enfants d’Algériens à vivre en France ‘’a minima’’, soit plus de 2,1 millions de personnes sur deux générations. La préfacière tient ses indicateurs de l’INSEE, l’organisme public en charge des statistiques économiques qui, avec l’INED (études démographiques) fait office de référence dans ce registre.
« Les estimations les plus élevées sur plusieurs générations évoquent plus de 4 millions de personnes issues des différentes générations d’immigrés algériens y compris avant 1963 ».
Première communauté étrangère en France, souligne l’historienne, la communauté algérienne de France « fait encore aujourd’hui l’objet de fantasmes et de récriminations, allant jusqu’à questionner le régime dérogatoire dont bénéficient les candidats algériens à l’émigration en France », allusion aux récentes prises de positions qui, de l’ancien Premier ministre Edouard Philippe au député Eric Cioti en passant par Marine Le Pen et Eric Zemmour, ont appelé à l’abrogation de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles.
« Plus grave encore, certains responsables politiques (Jordan Bardella, ndlr) questionnent l’appartenance légitime de descendants d’immigrés à la communauté nationale, n’hésitant pas à mobiliser des références d’extrême droite en parlant de « Français de papier », pour nier leur attachement réel à la nation. Ce soupçon qui pèse sur les Français issus de l’immigration algérienne se nourrit de l’oubli et de l’absence de transmission de cette « plus grande Histoire de France » qui prend en compte cette présence ancienne, puisque les premiers contingents d’Algériens s’installent en métropole à la fin du XIXe siècle ».
Alors que l’ostracisme ciblant les Algériens de France est devenue, ces dernières années – et plus qu’avant –, un fonds de commerce à l’heure des joutes électorales, « Les Algériens en France » vient, avec la valeur ajoutée d’une BD, s’adresser à un public varié, notamment les jeunes et moins jeunes dont on connait la prédilection pour les livres illustrés. Il vient, surtout, faire œuvre de pédagogie et de retour sur une présence centenaire.
The post En France, une BD raconte un siècle d’immigration algérienne appeared first on Le Jeune Indépendant.
Quelle est votre réaction ?