Le virage algérien d’Alain Delon
Inhumé, samedi dans sa propriété, lors d’une cérémonie qu’il a voulue — de son vivant — privée et intime, Alain Delon partage en commun avec Jean-Paul Belmondo, son “adversaire” à l’écran, une somme de choses. Á deux années près, ils sont venus au monde à la même période : 1933 pour « Bebel » et […] The post Le virage algérien d’Alain Delon appeared first on Le Jeune Indépendant.
Inhumé, samedi dans sa propriété, lors d’une cérémonie qu’il a voulue — de son vivant — privée et intime, Alain Delon partage en commun avec Jean-Paul Belmondo, son “adversaire” à l’écran, une somme de choses. Á deux années près, ils sont venus au monde à la même période : 1933 pour « Bebel » et 1935 pour le « Samouraï ». Les deux bagarreurs ont joué ensemble dans huit films où, presque toujours, aucun n’a réussi à prendre le dessus sur l’autre. Comme dans les westerns spaghettis et les synopsis hollywoodiens, ils ont évité la mort au début du film. L’Algérie les a également réunis, Delon pour les besoins de sa carrière cinématographique et «Bebel » dans le sillage de son vécu et de sa vie privée.
Pour reprendre la formule de Benjamin Stora dans son livre-album « Appelés en guerre d’Algérie » (Gallimard, 1997), « les hasards d’une date de naissance » les ont convoqués l’un et l’autre sous les drapeaux vêtus de l’uniforme, l’un comme engagé, l’autre au titre d’appelé du contingent. « Bebel », dont le papa — Paul — est né à Alger au soir du 19e siècle, a usé d’un stratagème pour échapper à la conscription au pays de la « guerre sans nom ». Mais en vain. Convoqué en septembre 1958 pour la visite médicale, il a bénéficié d’un ‘’passe-droit et croit avoir obtenu une invalidité.
Mais comme les ‘’opérations de maintien de l’ordre’’ — appellation du conflit dans le discours officiel de l’époque — tournent à la guerre, l’invalidité est refusée au jeune Belmondo qui, sac militaire accroché à dos, se retrouve dans un régime de cavalerie du côté d’Oran. Là où, entre 1956 et 1957, l’avait devancé le lieutenant Jacques Chirac, futur maire de Paris et futur Premier ministre et Président de la République. « Bebel » y reste trois mois seulement sur les 28 prévus par le législateur des ‘’pouvoirs spéciaux’’. Une blessure sans gravité écourte son vécu de bridasse et le rapatrie à Paris en janvier 1959. C’est durant son service militaire que le réalisateur Jean-Luc Godard lui fait parvenir une missive dans laquelle il sollicite son autorisation pour pouvoir le doubler dans la postsynchronisation de « Charlotte et son Jules ».
Jean-Claude Brialy change son destin
Au miroir de l’histoire de la guerre et dans les archives militaires, Alain Delon, lui, ne sera pas — à l’image de Belmondo — au rang du 1,5 million enrôlés dans les combats et autres opérations en Algérie. Militaire engagé, il est envoyé en Indochine de 1953 à 1956, trois longues années du côté de Saïgon où il a vécu à distance la défaite de Diên Biên Phu. De retour en France, il s’adonne aux petits métiers, d’abord comme serveur dans les bistrots puis fort (porteur de marchandises) aux Halles de Paris. C’est une rencontre ‘’algérienne’’ — une rencontre dans le Paris de la nuit à Pigalle — qui change son destin.
Au pied de la vallée de Montmartre, le futur « Samouraï » se lie d’amitié avec un homme né la même année que Belmondo, mais venu au monde à Aumale (Sour El-Ghozlane). Jean-Claude Brialy — c’est de lui qu’il s’agit — est déjà un nom connu dans le monde du Septième art. Pied-nord rétif à l’idéologie ‘’nostalgérique’’, comédien de formation depuis une bonne dizaine d’années, lié à la bande des « Cahiers du cinéma » — bible de la critique cinéphile — c’est lui qui, le premier, ‘’le décide à descendre à Cannes, pour l’édition 1957 du Festival’’, précise Thomas Sotinel, l’un des meilleurs spécialistes français du cinéma. Ça sera le baptême de feu d’une carrière XXL comme comédien, réalisateur et producteur.
Des 90 films aux 136 millions de spectateurs dont sa filmographie s’enorgueillit pour l’histoire et sa postérité, les critiques ciné du Monde retiennent « six films-cultes » dont « L’Insoumis », un long métrage tourné en 1964. Alain Delon est à la veille de fêter son 30e printemps. Il n’est qu’à l’aube de sa carrière dans un monde où les trajectoires professionnelles se déploient sur le temps long. Mais il a déjà 18 films comme comédien au compteur. Cela n’échappe pas à un certain Henri Langlois.
L’emblématique patron de la Cinémathèque française et ami de Boudjemaâ Karèche — ex boss fécond de la Cinémathèque algérienne — juge opportun de lui consacrer une rétrospective. Un événementiel synonyme de médaille du mérite dans le rituel du Septième art.
Une première dans la jeune carrière de Delon, le réalisateur du film, Alain Cavalier, lui fait une offre inespérée : interpréter le premier rôle et, tournant professionnel, produire le film. Avant de faire tourner le moteur pour les besoins de « L’Insoumis », Alain Cavalier n’avait réalisé qu’un seul film — « Le Combat dans l’Île — et c’était en 1962 sur fond de fin de la guerre d’Algérie et de la violence terroriste de l’OAS. C’est durant le tournage de ce film que les chemins de Delon et de Cavalier se sont croisés. Comme dans « Le Combat dans l’Île » deux ans plus tôt, « L’Insoumis » s’inspire de faits qui, au soir de la guerre d’Algérie, se sont déroulés sur fond de ‘’politique de la terre brûlée’’.
Critique connu et auteur d’une multitude de livres sur le cinéma, Samuel Blumenfeld est celui qui a recensé « L’Insoumis » parmi les « six films-cultes » de Delon. Pour l’avoir vu et revu, il en garde un souvenir très circonstancié. ‘’Delon interprète un jeune Luxembourgeois engagé dans la Légion étrangère pour combattre les « rebelles ».
Devenu membre de l’OAS, il se trouve à la fois traqué pour avoir trahi ses amis (en refusant, en 1961, d’exécuter une avocate, dont il va tomber amoureux, venue à Alger plaider en faveur de deux Algériens), et poursuivi par la justice française pour désertion après le putsch manqué d’Alger’’. Cette tentative de ‘’pronunciamiento’’, selon le propre mot du général de Gaule, a été fomentée le 21 avril 1961 à Alger par les généraux Challe, Jouhaud, Salan et Zeller. Le scénario du film a été co-écrit par Cavalier et Jean Cau, journaliste et ancien secrétaire de Jean-Paul Sartre.
« L’Insoumis » sous les feux de la censure gaulliste
Delon, écrit Samuel Blumenfeld, ‘’porte la violence du conflit colonial. Un rôle qui renvoie de façon troublante à sa biographie’’. Le futur Samouraï, poursuit le critique, ‘’saisit évidemment les enjeux d’un film qui, deux ans après la signature des accords d’Evian en 1962, un an après le retour des pieds-noirs en France, s’aventure sur un sujet brûlant’’. Delon, argue-t-il, ‘’aime ce rôle aussi parce qu’il affectionne au plus haut point les personnages ambigus, déchirés entre plusieurs vérités’’.
Dès sa sortie, le 25 septembre 1964, rappelle le critique, le long métrage ‘’se retrouve sous les feux de la censure gaulliste. Au début du film, on entend crier : « Algérie française ! » Le ministère de l’information (dirigé alors par Alain Peyreffite, ndlr) ordonne à Alain Cavalier de baisser le son afin de taire ce slogan. Puis c’est Mireille Glaymann, l’avocate enlevée en 1962 à Alger par un commando de l’OAS, et dont s’inspire le film pour le personnage incarné par Lea Massari, qui estime que le film porte atteinte tant à sa vie privée qu’à sa vie professionnelle. L’avocate vise surtout le moment où son personnage tombe amoureux de son ancien geôlier. Mireille Glaymann obtient l’interdiction de L’Insoumis, qui ressortira amputé d’une vingtaine de minutes’’.
Deux ans après la sortie de « L’Insoumis », Alain Delon repart au front en jouant, cette fois-ci, dans « Les Centurions », un long métrage autour de la « Bataille d’Alger ». Il y joue dans le rôle de capitaine aux côtés d’Anthony Quinn (qui joue le rôle de Bigeard rescapé de la déroute de Dien Bien Phu), de Michèle Morgan et Claudia Cardinale (dans le rôle d’Aïcha Mahidi inspirée de Djamila Bouhired). À la différence de « L’Insoumis », cette fiction de 128 minutes est une production américaine inspirée du roman éponyme paru en 1960 sous la plume de Jean Lartéguy, correspondant de guerre pour Paris Match et ancien soldat français. Vendu à un million d’exemplaires, le roman adapté à l’écran au moyen d’une réalisation signée Mark Robson, un cinéaste canadien qui a accompli sa carrière aux Etats-Unis.
« Les Centurions » sort en salle dans un contexte cinématographique hexagonal particulier. Au mitan des années soixante, ‘’le cinéma français se fait’’ sur la guerre d’Algérie, rappelle Sébastien Denis, professeur en histoire et auteur d’une singulière thèse de doctorat soutenue en 2004 à l’université de Paris 1 : « L’État, l’armée et le cinéma pendant la guerre d’Algérie : des origines à la proclamation de l’indépendance. 1945-1962 » (publiée en 2009 aux éditions Nouveau Monde).
Au gré des colloques et des publications qu’il écrits, ici et là, à la demande de revues académiques, Sébastien Denis rappelle l’irruption des « Centurions » dans les salles parisiennes à un moment où le ‘’non-dit (sur le plus sanglant des conflits de décolonisation) gagne’’ du terrain et au moment où la « boîte à chagrins » (de Gaulle parlant de l’Algérie) se referme’’.
Comme le montre si bien l’affiche originale du film, « Les Centurions » — à l’image de « La Bataille d’Alger » — ‘’montre bien la guerre’’, faisait remarquer Benjamin Stora à l’occasion d’un colloque au Sénat français sur « Les troubles de la mémoire française ». Et l’historien, auteur de « La guerre sans nom », de préciser que lorsque la guerre d’Algérie était montrée, ‘’cela était le fait de réalisateurs étrangers, Mark Robson et Gillo Pontecorvo, donc selon un point de vue extérieur’’.
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