Miloud Chennoufi : «Le discours d’Alger envers Bamako n’est pas belliqueux»
Professeur de relations internationales et directeur des études supérieures au Collège des forces canadiennes de Toronto, Miloud Chennoufi revient sur... L’article Miloud Chennoufi : «Le discours d’Alger envers Bamako n’est pas belliqueux» est apparu en premier sur Algérie Patriotique.
Professeur de relations internationales et directeur des études supérieures au Collège des forces canadiennes de Toronto, Miloud Chennoufi revient sur les relations entre l’Algérie et le Mali, dans un contexte de recrudescence des activités djihadistes dans la sous-région sahélienne. Pour l’expert en géopolitique, l’option militaire, loin de régler les problèmes, n’aura d’autre effet qu’aggraver davantage la situation, comme en témoignent les récents événements. Aussi invite-t-il les autorités maliennes à méditer les expériences du passé pour éviter de reproduire les mêmes erreurs et, enfin, construire un avenir meilleur. Et cela passe nécessairement par des relations apaisées, tant au sein des populations à l’intérieur du pays qu’avec les Etats voisins, dont l’Algérie.
Pourquoi le Mali est-il sorti des Accords d’Alger ? Quel intérêt a Goïta à mener une guerre contre le Nord ? Les richesses, notamment l’or, y sont-elles pour quelque chose ?
Probablement, mais uniquement si le facteur des richesses, donc des revenus dont le Mali a désespérément besoin, est intégré à une perspective plus large. Les Accords d’Alger, comme tous les accords diplomatiques, qu’il s’agisse, par exemple, des accords de Taef ou des accords du Vendredi Saint, qui ont mis un terme à la guerre civile au Liban et en Irlande, ou qu’il s’agisse des Accords d’Alger concernant le Mali, ils incarnent toujours un compromis. Et il est dans la nature de tout compromis diplomatique que toutes les parties prenantes acceptent que certaines de leurs revendications ne soient pas incluses. D’autre part, le compromis exige qu’on le gère dans le temps avec l’espoir que le rapprochement qu’il rend possible permette de surmonter les différends résiduels. C’est un travail de longue haleine qui nécessite beaucoup d’habileté politique et surtout de la bonne foi et une vision d’avenir claire.
Il se trouve cependant que, parfois, l’une des parties prenantes estime qu’elle est suffisamment puissante pour se retirer de l’accord et revisiter le conflit pour le trancher militairement. Cette dynamique résume l’histoire de l’instabilité au Mali dont nous vivons actuellement l’épisode le plus récent. Rappelez-vous, deux mois après la signature des Accords de Tamanrasset en 1991, un coup d’Etat militaire à Bamako a poussé les nouvelles autorités à croire que la voie de la force était une meilleure alternative. Le même scénario se répète devant nos yeux depuis quelques mois. Ce fut un échec à l’époque, et il a fallu revenir aux négociations. Il n’y a aucune raison de croire qu’il en sera autrement cette fois-ci.
L’Algérie est accusée d’héberger des terroristes qui se replient dans le territoire algérien pour, ensuite, mener des attaques au Mali avec la «complicité» des autorités algériennes. Une des questions récurrentes de la partie malienne est : où se trouve Iyad Ag Ghali (celui-ci étant sous le coup d’un mandat d’arrêt international) si ce n’est en Algérie ?
C’est une accusation vide de sens, précisément parce qu’elle ne repose sur aucune preuve. Elle est surtout surprenante, quand on sait que l’Algérie a fait de son mieux pour éviter toute intervention militaire étrangère dans les pays du Sahel après la récente série de coups d’Etat qui a chassé du pouvoir des régimes inféodés à la France. Mais alors, pourquoi autant d’animosité envers un pays ami ? Deux raisons peuvent l’expliquer.
Premièrement, l’Algérie incarne l’option diplomatique de résolution des conflits au Mali et ailleurs. Or, c’est précisément de cette option que les autorités maliennes pensent pouvoir se passer par le recours à la force. Elles se trompent profondément parce que l’histoire nous apprend que l’oppression, surtout celle qui repose sur des considérations ethniques, ne fait qu’attiser la résistance et conduit toujours à un surcroît de radicalisation. Des victoires temporaires sont possibles, mais rien de durable ne peut être accompli.
Deuxièmement, les autorités maliennes disposent de l’appui d’acteurs régionaux favorisant l’usage de la force contre les Touaregs, mais qui conditionnent clairement leur appui à une animosité envers l’Algérie pour des considérations qui leur sont propres. A court terme, les autorités maliennes pensent que le calcul coût/bénéfice penche vers le sacrifice des relations avec l’Algérie. Je ne crois pas que ce soit dans l’intérêt du Mali.
La proximité des récents événements des frontières algériennes est notamment prétexte à ces accusations, d’où cette question : par où passent les terroristes et comment les Ukrainiens se sont-ils retrouvés dans la région (même si l’on sait l’absurdité, plus encore le ridicule, de cette assertion, mais les Maliens se basent sur les déclarations de l’ambassadeur ukrainien quant à leur participation dans la déroute des Wagner) ? Ce sont là les principales accusations et questions que nous adresse la partie malienne. Que pouvons-nous leur répondre ?
Le propos manque de sérieux, en effet. Les Ukrainiens sont les premiers à le savoir, eux qui ne sont tout simplement pas en mesure d’accomplir ce qu’ils affirment avoir accompli, étant donné toutes les difficultés qu’ils doivent affronter chez eux à cause de la guerre avec la Russie. Ils ont vu une opportunité de relations publiques, ils l’ont saisie. Sur le fond de la question maintenant, c’est plutôt aux autorités maliennes d’expliquer pourquoi toute résistance, à l’intérieur même du Mali, à leur politique fondée sur la violation d’un accord diplomatique, donc une politique hautement contestable, devrait-elle être assimilée à du terrorisme ?
Dominer par la force dans un contexte communautaire aussi complexe et volatile que le contexte malien va générer automatiquement de la résistance, et notamment de la résistance armée, indépendamment de toute volonté de l’Etat algérien qui, il faut le rappeler toujours, favorise une solution négociée, la seule capable d’assurer la stabilité du pays à long terme. Comme la solution de la force ne semble pas fonctionner, il faut trouver un bouc émissaire, au lieu de procéder à une rétrospection et conclure en toute logique que la question de l’intégration intercommunautaire ne peut pas se régler par la force.
Les Maliens reprochent à l’Algérie son silence sur les diverses attaques au Mali et son absence de coopération. Qu’en est-il exactement ?
On ne peut stigmatiser un pays à travers un discours irresponsable fait d’accusations d’une extrême gravité et en même temps souhaiter sa coopération. Plus fondamentalement, les autorités maliennes veulent que l’Algérie coopère à une politique, celle de la force armée contre les Touareg, qui est diamétralement opposée à la préférence que l’Algérie a toujours affichée pour une solution diplomatique. Le pire est que les autorités maliennes expriment ce souhait par un discours accusateur. Je ne comprends tout simplement pas ce qui les porte à croire qu’une telle stratégie puisse aboutir. Vous remarquerez que le discours de l’Algérie n’est pas du tout belliqueux à l’égard de Bamako. Il existe clairement une volonté salutaire de ne pas brûler tous les ponts et de faire confiance à l’avenir. Je n’en voudrais pour preuve que les propos du représentant de l’Algérie au Conseil de sécurité qui n’hésite pas à pointer du doigt la responsabilité de Wagner dans la violence au Nord-Mali, tout en demeurant discret sur la responsabilité des autorités maliennes. D’un point de vue diplomatique, c’est un procédé sage.
Les Maliens font un parallèle avec le MAK et les mouvements de l’Azawad et reprochent à l’Algérie son double standard quant à ces questions. Que pensez-vous du rapprochement de ces deux dossiers ?
Il existe certainement des éléments parmi les différentes factions politiques au Nord-Mali qui peuvent très bien être comparés aux séparatistes du MAK. La meilleure façon de les marginaliser, c’était – et c’est encore – la mise en œuvre des Accords d’Alger. Comme les autorités maliennes ont opté pour l’exact contraire, c’est-à-dire la force aveugle, il ne leur restait aucun autre choix que de loger tout le monde à la même enseigne. Non seulement cette stratégie ne fonctionne pas, mais elle renforce les éléments radicaux que Bamako prétend, paradoxalement, combattre. Nous avons en Algérie un mouvement politique diversifié qui fait la promotion de la culture et des langues amazighes ; personne ne les assimile au MAK, précisément parce que les dimensions culturelles et linguistiques en question participent à l’identité de l’Algérie au même titre que d’autres composantes. Il en est exactement de même au Mali où la diversité est un fait qu’il faut intégrer à l’imaginaire patriotique au lieu de vouloir construire un pays en l’amputant dans le sang de l’une de ses composantes. Le problème est très sérieux.
Les deux attaques lancées contre l’Ecole de gendarmerie de Faladié et un aéroport le 17 septembre, qui ont fait 70 morts, n’ont rien à avoir avec les Azawad. Ils ont été perpétrés par des groupes islamistes extrémistes faits de Peuls qui ne sont, à l’évidence, pas des Touareg. Comme vous le savez, des populations peules ont fui le centre du pays vers le sud à cause de la violence occasionnée par l’affrontement entre groupes islamistes peuls et forces maliennes. On craint que ces mêmes populations en fassent les frais dans une effusion de sang intercommunautaire à Bamako. Et ce problème n’a, à l’évidence, rien à voir avec l’Algérie. Au contraire, la médiation algérienne qui a abouti aux Accords d’Alger offrait une solution non violente à un problème qui, encore une fois, ne peut être réglé avec la force, sauf à accepter un bain de sang permanent.
Wagner est-il encore sous la férule de la Russie ou est-il au service d’un autre bailleur de fonds ?
C’est très nébuleux depuis l’élimination de son chef, Yevgeny Prigozhin, par les Russes ; une élimination, rappelez-vous, déguisée en accident aérien. Mais cette élimination est indicative de la réalité de tout groupe de mercenaires, pas uniquement de Wagner. Ce sont des entreprises économiques, et comme toute entreprise économique, elles cherchent à étendre leur marché et, lorsqu’elles se sentent suffisamment puissantes, elles tendent à vouloir dicter leur volonté aux gouvernements, sans jamais que leurs actions soient motivées par quelque attachement patriotique. Prigozhin a cru pouvoir le faire avec la Russie ; il en a payé le prix de sa vie. En termes de puissance, le Mali est incomparable à la Russie. Il y a donc une vulnérabilité dont Bamako devrait prendre conscience dans ses affaires avec un groupe comme Wagner. La logique économique signifie pour les mercenaires que l’instabilité, les guerres et l’oppression représentent leur marché, et c’est un marché qu’il leur faut maintenir et développer. C’est l’exact contraire de ce que devrait rechercher un gouvernement responsable.
D’après les Maliens, les rebelles indépendantistes, qu’ils qualifient de terroristes, ne représentent qu’une infime minorité, et 90% de la population du Nord n’adhèrent pas à leur projet séparatiste. Qu’en est-il en réalité ?
A supposer que ce soit vrai, ce qui est loin d’être le cas, pourquoi le conflit dure-t-il depuis si longtemps ? C’est un fait, le problème de l’intégration intercommunautaire au Mali ne date pas d’hier et, encore une fois, ne concerne pas que les Touareg. Le nier pour mieux s’enfoncer dans la logique de la force ne fera que l’accentuer. Je crois que c’est le message que l’Algérie doit véhiculer, pas uniquement pour le bien du Mali et des Maliens, mais parce que la stabilité sur les frontières est dans l’intérêt de l’Algérie et que des relations apaisées sont dans l’intérêt des deux pays.
Propos recueillis par M. Boumaza
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