Franco-Algérien : «Entre la justice et ma mère, je choisis ma mère !»
Une contribution du Dr A. Boumezrag – Dans un monde où l’histoire se regarde à travers des lunettes idéalisées, la... L’article Franco-Algérien : «Entre la justice et ma mère, je choisis ma mère !» est apparu en premier sur Algérie Patriotique.
Une contribution du Dr A. Boumezrag – Dans un monde où l’histoire se regarde à travers des lunettes idéalisées, la phrase d’Albert Camus, «entre la justice et ma mère, je choisis ma mère», fait encore écho aujourd’hui. Loin d’être une simple déclaration d’affection, cette citation, tirée d’un homme qui connaît la complexité de son époque, soulève des interrogations essentielles : est-il possible de réconcilier la froideur de la justice avec la chaleur humaine, celle de l’amour filial et de l’identité culturelle ? Et, surtout, quelle justice peut-on attendre d’un passé aussi lourd et fracturé ?
Dans le cadre franco-algérien, «la mère» n’est pas seulement un symbole familial. Elle incarne l’Algérie, un territoire martelé par la colonisation, une mémoire hantée par les cicatrices du colonialisme et une identité partagée entre exil et révolte. La Guerre de Libération nationale, qui a ravagé les deux rives de la Méditerranée, n’a jamais arrêté de hanter les enfants de l’immigration. Ces enfants sont pris dans un dilemme quotidien : comment concilier leur appartenance à une France qui les a accueillis, mais aussi ignorés, avec la douleur d’un héritage algérien qui n’a pas encore trouvé sa place dans la mémoire collective.
La justice : un concept mal compris ?
Le problème n’est pas tant de choisir entre «la justice» et «ma mère», mais de comprendre que la justice, telle qu’elle existe aujourd’hui, n’a pas su saisir la dimension de ce dilemme. La justice, en France, est un concept impersonnel, régie par des textes froids, des lois qui prétendent réparer les injustices sans jamais reconnaître la nature profonde des blessures. Cette justice n’a pas su réparer les injustices de la colonisation et la douleur d’une guerre qui n’a toujours pas trouvé sa place dans les consciences.
Et pourtant, au XXIe siècle, certains se battent encore pour que la France reconnaisse pleinement la Guerre d’Algérie et les souffrances qu’elle a infligées. Ce n’est pas seulement un problème de réparation financière, mais une question de reconnaissance morale. La France a ouvert ses archives, mais les gestes symboliques restent largement insuffisants. Les déclarations de réconciliation, souvent politiques et opportunistes, ne compensent pas l’absence de gestes concrets pour apaiser les souffrances.
La France face à son passé colonial
Il est crucial de noter que la justice française, dans sa lenteur à s’attaquer aux délits du passé colonial, ignore souvent les dimensions humaines de ces injustices. Par exemple, les descendants des harkis, ces Algériens qui ont servi l’armée française pendant la guerre de Libération nationale, attendent toujours des excuses officielles et des réparations pour leur exil, leur abandon et leur stigmatisation. Leurs luttes, bien qu’emblématiques, sont loin d’être les seules : il existe un grand nombre de Franco-Algériens pour qui l’histoire de leurs ancêtres est une ombre permanente, un héritage douloureux qu’ils ne peuvent pas oublier, et que la France a encore du mal à accepter pleinement.
Le processus de réconciliation semble s’essouffler au fil des années. Et pourtant, si la justice veut véritablement réparer, elle doit d’abord écouter les voix des descendants des victimes, ceux qui portent encore les stigmates de la guerre. Pour eux, «choisir ma mère» n’est pas un rejet de la justice, mais une affirmation de ce qui est humainement et culturellement juste. Choisir la mère, c’est choisir l’identité, la mémoire, l’appartenance à un héritage qui ne peut et ne doit pas être effacé.
Une justice réparatrice : une nécessité urgente
Si la France veut véritablement se réconcilier avec son passé colonial, elle doit repenser sa conception de la justice. La justice réparatrice, qui existe déjà dans certains contextes internationaux (comme dans les processus de réconciliation en Afrique du Sud ou au Rwanda), est un modèle pertinent pour la France. Mais cela nécessite plus que de simples excuses ; il faut une reconnaissance officielle des torts historiques, des réparations symboliques et un dialogue constructif entre les générations. Il est urgent que le gouvernement français prenne des mesures concrètes : ouvrir les archives de manière transparente, accorder des réparations à ceux qui ont été oubliés et assumer enfin la responsabilité des crimes coloniaux.
La justice ne peut se contenter d’une approche juridique et administrative. Elle doit aller au-delà des textes de lois et comprendre les blessures humaines qui persistent depuis plus de 60 ans. C’est dans cette direction qu’une justice réparatrice pourrait émerger, une justice véritable qui reconnaît non seulement les faits, mais aussi les souffrances qui continuent de marquer les mémoires.
Un dialogue qui ne peut plus être rapporté
Mais pour que cette justice réparatrice soit possible, il faut un véritable dialogue entre les deux pays et, plus encore, au sein même de la société française. Il est grand temps que la France cesse de considérer l’Algérie comme un chapitre clos de son histoire. Tant que les autorités françaises continueront de réduire la Guerre d’Algérie à un événement isolé, sans tenir compte des effets à long terme, la réconciliation restera un vœu pieux. La justice doit s’appuyer sur un dialogue sincère et ouvert, où les mémoires des deux côtés peuvent se confronter sans crainte d’être rejetées ou ignorées.
Ce dialogue pourrait commencer à travers des initiatives culturelles, des échanges intergénérationnels et, pourquoi pas, une véritable reconnaissance institutionnelle de ce que l’Algérie a vécu et souffert. Mais ce processus exige du courage et une volonté politique forte.
L’avenir de la réconciliation
La justice doit faire le travail difficile de la réconciliation, qui ne peut se faire sans une confrontation honnête avec le passé. Mais elle doit également inclure les descendants des combattants, des immigrés et des victimes, qui ont été les témoins et les porteurs de cette mémoire.
La justice qui nous manque aujourd’hui est une justice capable de regarder en face les vérités qui dérangent, qui ne se contente pas de recouvrir les plaies d’un pansement, mais qui les cicatrise en apportant réparation et reconnaissance. C’est dans ce type de justice que la France peut espérer réparer ses erreurs et ouvrir une véritable nouvelle ère de relations entre les deux nations.
Une justice qui se construit dans la reconnaissance
«Entre la justice et ma mère», Camus choisissait la mère, l’identité, la mémoire. Mais, aujourd’hui, ce n’est pas un choix, c’est une nécessité : une justice qui accepte enfin la réalité de son passé et qui se construit dans la reconnaissance des souffrances des générations passées. La mère, cette Algérie qui a tout vécu et qui continue de nous le rappeler, ne peut être ignorée. Elle porte en elle la clé de la réconciliation.
Car, au fond, entre la justice et ma mère, il n’y a pas de choix. Elles doivent exister ensemble, car seule une justice qui reconnaît l’histoire et la souffrance collective pourra offrir une véritable guérison.
«La justice sans la vérité est une illusion, mais la vérité sans réparation est une souffrance perpétuelle.» (Amin Maalouf).
A. B.
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