Les tensions montent et le travail mémoriel est suspendu / Benjamin Stora : «La crise franco-algérienne la plus grave depuis l’indépendance»

Dans une interview accordée à France 24, l’historien Benjamin Stora a décrit la crise diplomatique actuelle entre la France et l’Algérie comme la plus sérieuse et la plus marquante depuis l’indépendance algérienne en 1962, soulignant les tensions profondes qui secouent aujourd’hui les relations entre les deux pays. «C’est la crise la plus grave, la plus […]

Jan 31, 2025 - 19:38
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Les tensions montent et le travail mémoriel est suspendu / Benjamin Stora : «La crise franco-algérienne la plus grave depuis l’indépendance»
Dans une interview accordée à France 24, l’historien Benjamin Stora a décrit la crise diplomatique actuelle entre la France et l’Algérie comme la plus sérieuse et la plus marquante depuis l’indépendance algérienne en 1962, soulignant les tensions profondes qui secouent aujourd’hui les relations entre les deux pays.
«C’est la crise la plus grave, la plus importante entre la France et l’Algérie», a observé l’historien. «Il y avait eu une crise très grave aussi en 1971, lorsque le président Houari Boumédiène avait nationalisé les hydrocarbures. Mais cette fois-ci, la crise est beaucoup plus importante», a-t-il dit. L’origine de cette crise est clairement identifiée par Benjamin Stora : les déclarations d’Emmanuel Macron sur la «marocanité» du Sahara occidental, prononcées en juillet 2024, ont jeté de l’huile sur le feu. Ce revirement de la position traditionnelle de la France concernant la question du Sahara occidental a été perçu par les autorités algériennes comme une rupture unilatérale, un affront diplomatique. Si Macron assure avoir prévenu son homologue algérien, le président Abdelmadjid Tebboune, l’Algérie a dénoncé ce tournant brutal. «Les relations entre les deux pays se sont ainsi rapidement détériorées, marquées par une surenchère verbale et un climat de méfiance», souligne Benjamin Stora, qui ajoute que cet incident a «mis le feu aux poudres», exacerbé par les tensions politiques internes en France et l’influence croissante de la droite et de l’extrême droite.  Pour l’historien, cette crise ne se limite pas au domaine diplomatique. Elle s’inscrit dans un contexte politique complexe, marqué par la dissolution de l’Assemblée nationale en France. Derrière ces tensions, un jeu géopolitique majeur est en cours. Le rapprochement possible de l’Algérie avec les États-Unis, notamment sous l’éventuelle présidence de Donald Trump, pourrait marquer un tournant. «Ce rapprochement pourrait permettre à l’Algérie de sortir de son isolement diplomatique», explique Stora, soulignant que la conclusion d’un accord stratégique avec les États-Unis offrirait à l’Algérie de nouvelles perspectives tout en effaçant les souvenirs des alliances passées avec la Russie, modifiant ainsi les rapports de force en Méditerranée. Interrogé sur la détention de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, accusé «d’atteinte à la sûreté de l’État», Stora reconnaît que certaines de ses déclarations ont pu heurter le sentiment national algérien. Toutefois, il plaide pour sa libération, rappelant que «quelle que soit la nature des divergences, l’essentiel est de pouvoir débattre librement avec quelqu’un qui ne se trouve pas privé de sa liberté».
Un avenir incertain  pour la commission
Benjamin Stora, spécialiste reconnu de l’histoire algérienne, a été nommé par Emmanuel Macron pour conduire cette commission visant à jeter des ponts entre les mémoires blessées des deux nations. Bien que la commission ait produit un premier rapport en 2021, les travaux se sont brutalement interrompus à l’été 2024, et les tensions diplomatiques n’ont cessé de croître. Actuellement, le travail de la commission mixte d’historiens algériens et français, présidée par l’historien Benjamin Stora, est dans l’impasse. Ce projet, lancé pour traiter de la mémoire de la colonisation et de la guerre d’indépendance, peine à avancer, les divergences et l’escalade verbale entre Paris et Alger rendant le dialogue de plus en plus complexe. Face à ces tensions, la commission mixte sur la mémoire de la colonisation, qui avait démarré sous de bons auspices, semble désormais suspendue. Benjamin Stora déplore l’interruption brutale de son travail et reconnaît la difficulté de reprendre les discussions dans un climat aussi tendu. «Il y a une très grande difficulté à reprendre les fils», admet-il. Pour autant, l’historien plaide en faveur d’une reprise du travail mémoriel, soulignant que celui-ci est essentiel pour les générations futures des deux pays. La réconciliation historique, dit-il, est une «condition sine qua non» pour réparer les mémoires blessées.
M. B.