L’historien Farid Belkadi rappelle à la France ses crimes connus et méconnus
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Par Ali Farid Belkadi – L’histoire de la colonisation française en Algérie (1830-1962) est marquée par une violence systémique, allant bien au-delà du simple cadre militaire. Cette violence ne relevait pas seulement des affrontements armés, mais s’inscrivait dans un système organisé de terreur, de spoliation et de répression, destiné à annihiler toute résistance et à asseoir la domination coloniale.
D’innombrables récits, dont ceux essentiels de militaires français impliqués dans la répression, témoignent des douleurs infligées dans des conditions intolérables, depuis les campagnes de conquête du XIXe siècle jusqu’à la guerre d’indépendance. Les pratiques répressives se sont adaptées aux époques et aux nécessités du pouvoir colonial, mais elles ont toujours eu pour objectif de briser physiquement et moralement ceux qui s’opposaient à l’ordre établi.
Une répression systématique et institutionnalisée
Ces actes n’étaient pas des exceptions mais s’inscrivaient dans une stratégie militaire codifiée. Dès le début de la conquête de l’Algérie en 1830, l’armée française a instauré des méthodes de répression d’une brutalité extrême, visant autant à écraser toute résistance qu’à terroriser les populations civiles pour imposer l’ordre colonial.
Les enfumades : une technique d’extermination
Les enfumades, qui consistaient à asphyxier des familles entières dans des grottes où elles s’étaient réfugiées, sont un exemple particulièrement frappant de cette violence planifiée. L’un des cas les plus connus est celui des grottes du Dahra en 1845, où le colonel Pélissier ordonna d’enfermer des centaines de civils, hommes, femmes et enfants, dans des cavités naturelles, avant d’y faire allumer des feux pour les étouffer. Des témoignages relatent les hurlements des victimes et l’odeur insoutenable des corps brûlés. Ces actes, loin d’être des dérapages individuels, furent répétés à plusieurs reprises par différents officiers, comme Saint-Arnaud dans l’Ouarsenis.
Les camps de regroupement
A partir de la guerre de colonisation et plus encore durant la guerre de libération (1954-1962), l’administration coloniale mit en place des camps de regroupement, un outil de contrôle et de déstructuration sociale, destinés à isoler les populations rurales des maquisards insaisissables. Ces camps, où des milliers d’Algériens furent déplacés de force, rappellent par leur fonctionnement les camps de concentration nazis. Les conditions de vie y étaient désastreuses : famine, maladies, manque d’eau et de soins faisaient des ravages. Le but était autant d’empêcher la logistique de l’Armée de libération nationale (ALN) que d’anéantir la structure sociale et économique des villages suspectés de soutenir la lutte d’indépendance.
Les exécutions sommaires et la politique de terreur
La répression coloniale s’est également manifestée par des exécutions sommaires, souvent en guise de représailles après une attaque contre l’armée française. Dès les premières décennies de l’invasion, les généraux Bugeaud, Cavaignac et Lamoricière faisaient fusiller sans jugement les prisonniers ou les populations soupçonnées de résistance. Cette pratique s’est poursuivie durant la guerre d’indépendance, où l’usage des pelotons d’exécution et des exécutions extrajudiciaires était courant.
La torture généralisée : un crime d’Etat
L’emploi de la torture ne fut pas seulement toléré par l’Etat français ; il fut systématisé et encouragé comme méthode d’interrogatoire. Dès les années 1950, le général Massu et les parachutistes mirent en place un dispositif de torture industrielle à Alger, utilisant l’électricité (la gégène), la noyade, les sévices physiques et sexuels pour arracher des aveux aux prisonniers. Jean-Marie Le Pen se surpassa dans ce sale boulot qui avait généralement lieu à la vue des femmes et des enfants dans les cours des maisons de la Casbah d’Alger. Cette pratique ne se limitait pas aux combattants de l’ALN mais s’étendait aux civils, aux intellectuels et aux militants politiques. Des figures comme Henri Alleg, dans La Question, ont révélé au monde l’ampleur de cette barbarie. Le journal Le Monde titrait le 22 juin 1959, en se référant au livre de Bachir Boumaza : «Après La Question d’Henri Alleg, La Gangrène, ce livre dont Jacquet Fauvet signalait hier la publication aux éditions de Minuit, vient d’être saisi sur ordre du ministère de l’Intérieur. Il est difficile de savoir si l’affreux récit des étudiants algériens correspond exactement à la réalité, ce genre de vérification n’étant plus depuis longtemps à la portée des journalistes. Il est certain, en tout cas, qu’aucun démenti n’a été opposé en décembre dernier aux journaux qui signalaient l’état pitoyable dans lequel les étudiants algériens seraient arrivés à l’Hôtel-Dieu».
Une politique d’Etat, non des dérives isolées
Contrairement aux justifications souvent avancées par les autorités françaises, ces méthodes ne relevaient pas d’initiatives locales ou de simples bavures, mais d’une politique d’Etat. Le cadre juridique colonial garantissait l’impunité des responsables de ces crimes. Des lois d’exception permettaient d’emprisonner sans procès, d’instaurer la censure et de réprimer toute contestation. L’armée française bénéficiait d’une large autonomie et les gouvernements successifs, de la Monarchie de Juillet à la Ve République, ont couvert ces pratiques.
Jusqu’à la guerre de libération (1954-1962), ces méthodes ont persisté, démontrant que la répression coloniale était une doctrine inscrite dans la durée. Elles ne furent jamais le fait de simples «dérapages», mais bien l’expression d’un système fondé sur la violence et la négation des droits du peuple algérien.
L’emploi des armes chimiques pendant la Guerre d’Algérie
L’emploi des armes chimiques pendant la Guerre d’Algérie reste un sujet largement méconnu et controversé. Cependant, plusieurs sources historiques et témoignages évoquent l’utilisation de substances toxiques par l’armée française pour réprimer la résistance algérienne.
L’utilisation du napalm
L’armée française a largement utilisé le napalm, une arme incendiaire déjà employée durant la Guerre d’Indochine. Des bombardements au napalm ont été rapportés dans plusieurs zones montagneuses où se retranchaient les combattants du FLN, notamment en Kabylie et dans les Aurès. Des témoignages d’anciens moudjahidine et des populations civiles évoquent des brûlures atroces et la destruction massive de villages.
Certains historiens, comme Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault, ont confirmé l’usage du napalm, bien que l’armée française ait longtemps nié ou minimisé son emploi. Des documents militaires déclassifiés montrent que de nombreux stocks de napalm étaient bien disponibles en Algérie.
Le recours aux gaz toxiques
Plusieurs témoignages rapportent l’utilisation de gaz toxiques dans des grottes où se dissimulaient des combattants de l’ALN et des civils, les Français menant aussi une guerre aérienne. Selon des sources locales et certains vétérans français, l’armée aurait utilisé des fumigènes et des gaz asphyxiants pour forcer les résistants à sortir ou les exterminer dans leurs abris.
Une note de service de l’armée datant de 1957 recommande ainsi «l’emploi de grenades à gaz ou de fumigènes» pour neutraliser les «insurgés» retranchés.
L’empoisonnement des sources d’eau
Certains témoignages font état d’un possible usage de guerre biologique. Des rumeurs persistantes suggèrent que l’armée française aurait empoisonné des puits dans certaines régions, notamment en zone saharienne et montagneuse, pour priver le FLN de ressources en eau. Cette tactique rappelle les méthodes employées par l’armée coloniale britannique en Afrique du Sud, lors de la guerre des Boers.
Les silences et les archives inaccessibles
L’armée française a toujours nié officiellement l’usage d’armes chimiques en Algérie, bien que de nombreux témoignages et indices pointent vers des pratiques clandestines. L’accès aux archives militaires reste limité, et la reconnaissance officielle de ces faits par l’Etat français demeure inexistante.
L’emploi d’armes chimiques en Algérie s’inscrit dans une stratégie de guerre totale où l’armée française a utilisé tous les moyens disponibles pour écraser l’insurrection. Si l’usage du napalm est avéré, celui des gaz toxiques et de la guerre biologique reste à documenter davantage. L’ouverture complète des archives militaires pourrait permettre d’établir la vérité sur ces pratiques.
L’accès aux archives militaires françaises concernant l’utilisation d’armes chimiques pendant la Guerre d’Algérie est un sujet complexe et sensible. Malgré des appels répétés de la part d’historiens et de chercheurs pour une ouverture complète de ces archives, une grande partie demeure inaccessible au public.
Délais de communicabilité et classification
En France, les archives publiques sont soumises à des délais de communicabilité variés, en fonction de leur nature. Les documents relatifs à la défense nationale, à la sûreté de l’Etat ou à la sécurité publique sont généralement inaccessibles pendant une période de 50 ans. Cependant, certains documents, notamment ceux concernant les armes de destruction massive, peuvent être déclarés «incommunicables» pour une durée indéterminée. Autrement dit : jamais.
Accès restreint aux archives sur les armes chimiques
Les documents relatifs à l’utilisation d’armes chimiques, tel que le CN2D, durant la Guerre d’Algérie sont particulièrement sensibles. Malgré la déclassification de certaines archives, l’accès à ces documents reste limité, entravant les recherches historiques sur ce sujet.
Initiatives pour l’ouverture des archives
Des historiens, comme Christophe Lafaye, ont mené des recherches approfondies sur l’utilisation d’armes chimiques pendant la Guerre d’Algérie, en s’appuyant sur les archives disponibles et les témoignages d’anciens militaires. Ces travaux ont permis de révéler des aspects méconnus de ce conflit, notamment l’existence de sections spécialisées dans l’emploi de gaz toxiques pour déloger les combattants algériens réfugiés dans des grottes.
Obstacles à la transparence
Malgré ces initiatives, l’accès complet aux archives militaires reste entravé par des restrictions liées à la sécurité nationale et à la protection de certains secrets d’Etat. Cette situation limite la pleine compréhension et la reconnaissance officielle des actions menées durant la Guerre d’Algérie.
L’ouverture totale des archives militaires françaises sur l’utilisation d’armes chimiques pendant la Guerre d’Algérie est essentielle pour une compréhension exhaustive de cette période historique. Elle permettrait de faire la lumière sur des pratiques controversées et de contribuer à un travail de mémoire nécessaire pour les générations actuelles et futures.
Pour approfondir ce sujet, le film-documentaire «Algérie, sections armes spéciales» de Claire Billet, basé sur les recherches de Christophe Lafaye, offre un éclairage précieux sur cette question.
L’utilisation de gaz toxiques par l’armée française pendant la Guerre d’Algérie, entre 1956 et 1962, a principalement ciblé des zones montagneuses où les combattants de l’Armée de libération nationale (ALN) se réfugiaient dans des grottes. Les principales régions concernées étaient la Kabylie et les Aurès. Ces régions montagneuses du nord de l’Algérie ont été le théâtre d’opérations où des gaz toxiques furent employés pour déloger les maquisards retranchés dans des grottes. D’autres zones ont certainement été le lieu d’interventions similaires, avec l’utilisation de gaz pour neutraliser les résistants cachés dans des cavités naturelles.
Ces actions s’inscrivaient dans le cadre de la «guerre des grottes», une stratégie militaire visant à éliminer les combattants de l’ALN en utilisant des armes chimiques dans des environnements confinés.
Contexte et objectifs militaires
Les montagnes de Kabylie et des Aurès offraient un terrain idéal aux combattants algériens, qui utilisaient des grottes comme refuges stratégiques pour échapper aux bombardements et aux offensives terrestres. Ces grottes servaient aussi de caches d’armes, de centres logistiques et de lieux de soins pour les blessés.
L’armée française, confrontée à des résistants insaisissables, adopta une stratégie radicale : attaquer les grottes par des moyens chimiques et explosifs pour anéantir les combattants à l’intérieur.
Le massacre de Ghar Ben Chattouh
Survenu le 22 mars 1959 dans la région des Aurès en Algérie, le massacre de Ghar Ben Chattouh constitue l’un des épisodes les plus tragiques de la Guerre d’Algérie. Ce jour-là, environ 150 personnes, parmi lesquelles de nombreux civils, ont trouvé la mort à la suite de l’utilisation de gaz toxiques par l’armée française dans un complexe de grottes inabordables.
Cet événement illustre la brutalité du conflit et la confusion souvent entretenue entre combattants et non-combattants. Les grottes de Ghar Ben Chattouh servaient de refuge aux combattants de l’ALN ainsi qu’à des civils cherchant à échapper aux combats. L’armée française, dans sa stratégie de contre-insurrection, a eu recours à des armes chimiques, malgré les interdictions internationales en vigueur, pour neutraliser ces refuges.
Ce massacre est resté longtemps méconnu du grand public. Ce n’est que récemment, grâce à des travaux d’historiens et à des documentaires tels que «Algérie, sections armes spéciales», que la lumière a été faite sur ces pratiques controversées.
Des gaz toxiques pour asphyxier les combattants
De nombreux témoignages et recherches suggèrent que l’armée française a utilisé des grenades fumigènes et des gaz toxiques pour asphyxier les combattants de l’ALN retranchés dans les grottes.
Certains vétérans français ont révélé que des substances chimiques étaient utilisées pour empoisonner l’air à l’intérieur des cavités, forçant ainsi les combattants à sortir sous le feu ou à suffoquer sur place.
Des historiens, comme Christophe Lafaye, ont mené des enquêtes montrant que des sections spéciales de l’armée française avaient reçu des ordres pour employer ces techniques, bien que l’accès aux archives reste limité.
Emploi d’explosifs et de bulldozers
Lorsqu’il était impossible de prendre le contrôle d’une grotte, l’armée française utilisait des charges explosives pour sceller les entrées et ensevelir vivants les combattants à l’intérieur. Des bulldozers étaient également employés pour obstruer les accès avec des rochers et des débris.
Inondation et privation d’oxygène
Dans certains cas, les grottes étaient remplies d’eau pour noyer les résistants ou privées d’oxygène en scellant hermétiquement les issues, une méthode particulièrement cruelle.
Régions les plus touchées
Les opérations de la guerre des grottes se sont principalement déroulées dans des zones montagneuses difficiles d’accès, notamment en Kabylie : zones de Djurdjura et Akfadou. Dans les Aurès : Djebel Ahmar Khaddou, Bou Arif. Le Dahra : zone montagneuse à l’ouest de l’Algérie. Le Sud algérien : quelques poches de résistance dans des cavités naturelles.
Témoignages et reconnaissance historique
Des combattants survivants et des habitants ont rapporté ces méthodes extrêmes, bien que l’armée française ait toujours nié officiellement l’usage de gaz toxiques.
Des vétérans français ont, après la guerre, avoué avoir participé à ces opérations sous ordres militaires. L’accès aux archives militaires françaises reste restreint, ce qui empêche une pleine reconnaissance des faits.
Un crime de guerre ?
Si l’utilisation d’armes chimiques et l’ensevelissement délibéré de combattants peuvent être considérés comme des violations des conventions de Genève, la guerre des grottes n’a jamais fait l’objet de poursuites judiciaires internationales.
En France on préfère causer des OQTF
La guerre des grottes illustre l’extrême brutalité du conflit algérien et la radicalisation des méthodes employées par l’armée française pour écraser la résistance de l’Armée de Libération nationale. Ces opérations restent aujourd’hui encore un sujet tabou, en raison du manque d’accès aux archives et du refus de la France de reconnaître officiellement l’utilisation de gaz toxiques et d’autres méthodes controversées.
L’ouverture des archives françaises pourrait permettre de mieux documenter ces crimes et de reconnaître officiellement ces exactions.
Mais la France préfère les fuites en avant, en mettant au premier plan l’affaire des OQTF. Le tamis qui cache le soleil.
A.-F. B.
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