L’historien Fouad Soufi au Jeune Indépendant : «L’Algérianité du Sahara le pilier des Accords d’Evian»

Il y a 63 ans, le 19 mars 1962, l’Algérie a remporté une victoire historique après plus de sept ans de guerre et de sacrifices avec l’entrée en application du cessez-le-feu. La veille, à Évian, les représentants du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) parviennent à arracher, la fin officielle des hostilités et ouvraientt […] The post L’historien Fouad Soufi au Jeune Indépendant : «L’Algérianité du Sahara le pilier des Accords d’Evian» appeared first on Le Jeune Indépendant.

Mars 18, 2025 - 20:17
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L’historien Fouad Soufi au Jeune Indépendant :  «L’Algérianité du Sahara le pilier des Accords d’Evian»

Il y a 63 ans, le 19 mars 1962, l’Algérie a remporté une victoire historique après plus de sept ans de guerre et de sacrifices avec l’entrée en application du cessez-le-feu. La veille, à Évian, les représentants du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) parviennent à arracher, la fin officielle des hostilités et ouvraientt la voie à l’indépendance, consacrant le triomphe d’un peuple déterminé à briser ses chaînes. Aujourd’hui, cette journée célébrée en tant que la Fête de la Victoire résonne comme un hommage vibrant aux martyrs, aux combattants et à toute une nation qui a su tenir tête à l’un des plus grands empires de l’époque.

  Derrière la signature de ces accords historiques se cache une bataille tout aussi déterminante que celle menée sur les champs de bataille, celle de la négociation, du rapport de force diplomatique et du combat politique. De Melun à Lucerne, puis d’Évian 1 à Évian 2, le bras de fer s’intensifie.  Pour éclairer ces enjeux, l’historien Fouad Soufi, revient sur les dessous de ces pourparlers, les stratégies du GPRA et l’héritage toujours vivant de ces accords dans l’Algérie d’aujourd’hui.

Le jeune Indépendant : Les négociations ayant conduit à la signature des accords d’Évian et la proclamation du cessez-le-feu le 19 mars 1962, ont été marquées par des tensions multiples, dès les premières discussions à Melun, puis à Lucerne et enfin à Évian. Quelles ont été les principales difficultés rencontrées par le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) face au gouvernement colonial français pendant ces pourparlers, notamment à Melun ?

Fouad Soufi : La rencontre de Melun du 25 au 29 juin 1960 fut la première rencontre officielle. Elle avait pour origine le discours le 14 juin au cours duquel le général de Gaulle reconnaît la nécessité d’un règlement politique du conflit et propose l’ouverture de pourparlers. Dans son appel à la Nation daté du 20, le président Ferhat Abbas déclara qu’il était prêt à se rendre à Paris à la tête d’une délégation pour entamer des négociations mais uniquement sur la base de la reconnaissance du droit à l’autodétermination et à l’indépendance de l’Algérie. Pour El Moudjahid n°67 du 16 juillet 1960, Melun avait été « la fin d’une équivoque ». Les émissaires du GPRA, Mohamed Benyahia et Ahmed Boumendjel isolés du monde extérieur dans les locaux de la préfecture de Melun avaient pour interlocuteurs Roger Morris secrétaire d’Etat aux affaires algériennes et un officier le général de Gastines.

L’analyse donnée par El Moudjahid de ces entretiens mériterait plus d’attention que le simple revers de main des historiens et autres qui les résument en un seul mot : échec. Or toutes les exigences (le diktat avait écrit El Moudjahid) de la partie française ont été progressivement écartées lors des rencontres suivantes que vous citez. En fait on sait aujourd’hui que de Gaulle ne s’attendait pas à une réponse favorable du GPRA à sa demande d’ouverture de pourparlers, d’où de diktat qu’il voulait imposer à ceux qu’il appelait les meurtriers.

Comment la dynamique des discussions a-t-elle évolué entre Lucerne et Évian ? Quelles concessions ont été faites par les deux parties et sur quels points ont-elles dues faire des compromis ?

L’évolution des discussions est liée à celle des situations nationale et internationale. Au niveau national, les Manifestations de Décembre 1960 ont fait la démonstration que le FLN était bien le seul représentant du peuple algérien et la grève du 5 juillet 1961 a confirmé, tout autant la représentativité du G P R A pour ne citer que ces deux événements. C’est bien là une des grandes concessions. L’algérianité du Sahara a été plus dure à faire reconnaître. Quelles pouvaient être les contres-parties ? La protection des droits des Européens et la sauvegarde des intérêts économiques français ont été facilement accordés. Dans ce cas comme dans les autres, la lecture du livre de Réda Malek est assurément l’une des meilleures références.   

Au sein du GPRA, y a-t-il eu des divergences notables sur la manière de mener ces négociations avec le gouvernement français et si oui, quelles ont été les lignes de fracture ?

Cette question rejoint la précédente puisque précisément c’est autour de ces questions que les représentants de l’Etat-Major Général (EMG) se sont retirés de ce qu’on a appelé Evian 2. Kaid Ahmed et Ali Mendjeli ont quitté la délégation algérienne. Ils ont estimé que ces Accords conduiraient à installer une sorte d’indépendance dans l’interdépendance, le néo-colonialisme. D’où la crise GPRA-EMG

Quels étaient les points de blocage majeurs pendant les négociations, en particulier concernant le Sahara et les ressources pétrolières, et à quel point cette question a-t-elle ralenti ou compromis l’accord final ?

La réponse est dans la question.  Quoique, encore une fois, je me dois de citer El Moudjahid. Dans son numéro 86 du 1er novembre 1961, on peut lire : « il faut se garder de croire que la question saharienne est seulement une affaire de gaz et de pétrole pour la France (…), c’est aussi un espace stratégique (…), c’est un polygone d’essais nucléaires … ». La question du Sahara algérien c’est aussi l’existence de l’OCRS, l’Organisation Commune des Régions Sahariennes, une sorte de territoire autonome créé en 1957 et qui devait regrouper le Sud de l’Algérie (Les Oasis et la Saoura) mais aussi le Nord du Mali actuel, le Nord du Niger actuel et une partie du Tchad. Cette question a certes ralenti les négociations mais elle a été balayée par l’intransigeance des négociateurs appuyés, pour le coup, par le processus d’indépendance des pays du Sahel.

En ce qui concerne les questions militaires, quelle a été leur place dans les négociations ? Notamment concernant le maintien de bases militaires françaises en Algérie comme à Mers El Kébir, ainsi que les essais nucléaires français dans le sud du pays ?

En l’état actuel de nos connaissances, et selon les Accords, les questions militaires ont été présentées et réglées en deux paragraphes de façon générale. L’un relatif à la concession à bail de 15 ans de la base de Mers el Kébir, l’autre qui concède à la France l’utilisation d’aérodromes, sites terrains et installations militaires qui lui sont nécessaires. Par contre n’a pas été rendu public l’accord sur la base de Namous au sud de Beni-Ounif.  Je tiens à préciser que la base de Mers-el-Kébir a été concédée pour une période limitée et finalement évacuée en 1968, tout comme la base aérienne militaire de Bou Sfer.  

Un autre aspect important de ces négociations est la place des pieds noirs. Le GPRA avait-il une position claire à leur sujet ?

J’ai évoqué cette question de la protection des Européens plus haut. Pour le GPARA et en tous les cas pour de nombreux responsables, je pense à la déclaration du Colonel Lotfi à ce sujet, Les Européens avaient toute leur place dans l’Algérie Indépendante à l’exception des gros propriétaires fonciers, les gros colons. Une réforme agraire inscrite depuis 1926 dans le programme du mouvement national devait régler définitivement cette question.

Aujourd’hui, selon vous quelle est l’importance historique de ces Accords et comment cette perception a-t-elle évolué au fil du temps et existe-t-il un débat parmi les historiens concernant la portée réelle de ces accords ?

L’importance de ces Accords est qu’ils nous ont conduits à l’Indépendance. Ces accords ont nécessairement fait l’objet de réévaluation d’autant plus que personne n’avait prévu le départ massif des Européens. Les plus sceptiques des observateurs pensaient (et l’ont écrit) que 300 000 Européens allaient quitter l’Algérie et on sait que seuls 200 000 sont restés. D’autre part, il a fallu attendre 1993 pour que le président du H.C.E. Ali Kafi décrète le 19 mars, journée de la Victoire. Jusqu’à cette date, on n’en parlait pas officiellement. De la même manière, il ne peut y avoir de débat entre historiens puisqu’il n‘y a pas de réelle circulation de la connaissance historique.

 

 

 

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