De la guerre de libération culturelle
Une contribution de Kaddour Naïmi – «Si nous venons à mourir, défendez notre mémoire.» (Le chahid Didouche Mourad.) Comment en est-on... L’article De la guerre de libération culturelle est apparu en premier sur Algérie Patriotique.
Une contribution de Kaddour Naïmi – «Si nous venons à mourir, défendez notre mémoire.» (Le chahid Didouche Mourad.) Comment en est-on arrivé là ? Une paire de misérables éthiquement, et médiocres littérairement (1) néo-harkis mobilise tant d’énergie d’Algériens et de sympathisants du peuple algérien pour dénoncer des calomnies.
Rappel d’une métaphore, lue durant mon adolescence. Auteur : Mao Tsé Toung. Si un poing frappe une tomate, qui se brise ? La tomate. Si le même poing frappe un caillou, qui se brise ? Le poing. Autrement dit : les contradictions internes priment sur les contradictions externes (encore Mao). Conclusion : l’action externe (de l’adversaire) a d’autant plus d’impact que la contradiction interne est grave (2).
Cette introduction, pour dire quoi ? Répondre à des calomnies est nécessaire, mais pas suffisant : il reste à trouver des solutions aux problèmes qui ont permis les calomnies. Remercions les ennemis pour avoir attiré l’attention sur nos carences (3).
Guerre de Libération nationale
Nous voici brusquement réveillés à défendre l’épopée libératrice, parce que deux, seulement deux chiens de garde l’ont diffamée : pour eux, les combattants de la Libération nationale sont des nazis, des lâches, des profiteurs, des menteurs, des terroristes, etc. Comment peut-on oser ces calomnies ?
Après un séjour prolongé au Vietnam et en Chine, de retour en Algérie, je suis resté stupéfait par la carence des témoignages sur l’épopée libératrice nationale. Comme toutes les épopées, elle eut ses aspects admirables et d’autres pénibles. Toutefois, s’il est difficile d’évoquer ces derniers, il est d’importance vitale de rappeler les premiers.
Dans les deux pays asiatiques visités, les autorités célèbrent et honorent leurs libérations de l’impérialisme de toutes les manières possibles, partout, en tout temps, dans toutes les couches de la population (4).
En comparaison, en Algérie, célébrations et commémorations sont insuffisantes : combien de musées de la mémoire dans les villes, dans les villages, sur les champs de bataille eux-mêmes ? Combien de documentaires et témoignages de survivants ou de leurs enfants dans les émissions télévisées ? Combien de films, de documentaires et de séries, de pièces de théâtre, bien réalisés, de romans et d’essais bien écrits ? Combien d’écoliers, de lycéens, d’étudiants sont emmenés pour visiter les musées concernant cette période, à recevoir dans leurs établissements des témoins ? Ces carences vont, parfois, jusqu’au ridicule : allez voir à Oran les statues de moudjahidine sur la place de M’dina Jdida et celle au rond-point près du lycée Lotfi.
Les carences sont telles que les néo-harkis peuvent mettre en question la dignité de la guerre libératrice, et des jeunes, nés après l’indépendance, regrettent les «bienfaits» de la France, estiment qu’«avant, c’était mieux» : ils avancent comme preuve le nombre d’Algériens émigrés en France où rêvant d’y aller, les enfants de privilégiés qui étudient puis restent en France. Quelle réaction est la meilleure, la plus efficace ? Se contenter de répondre que ces critiques sont des calomnies, ou se dépêcher à éliminer les carences jusqu’à rendre les calomnies insignifiantes ? Bien entendu, les impérialistes vaincus, leurs idéologues et les néo-harkis persiflent : «Vous êtes revanchards ! Oubliez le passé !» Pire : ils se servent de la décennie noire pour occulter, déprécier non seulement la guerre de Libération nationale, mais proclamer les «bienfaits de l’époque coloniale», la «fainéantise des indigènes», les colons plus compétents à cultiver et aimer la terre algérienne.
Imaginons deux prétendus ou vrais écrivains français. L’Allemagne leur octroie la citoyenneté allemande, puis, de ce pays, les deux individus vanteraient les «bienfaits de l’occupation nazie en France», la «fainéantise des indigènes français» lors de leur défaite face à l’armée allemande, le «terrorisme» des résistants français, écrire un roman sur un Allemand nazi qui a rejoint la résistance française pour insinuer que cette dernière pratiquait une idéologie nazie, dénoncer «l’obscurantisme de la religion catholique» française face aux «lumières» du protestantisme allemand. Quel traitement les Français patriotes réserveraient aux auteurs de ces allégations ? Robert Brasillach, cela vous quelque chose ?
Question : l’outrage à l’histoire algérienne et à son peuple, par deux néo-harkis devenus français par condescendance de sa Majesté Macron, cet outrage ne trouve-t-il pas sa source dans notre carence à maintenir vivace le prix consenti par le peuple algérien pour se débarrasser des criminels du passé ? Par conséquent, outre à dénoncer les «contrebandiers de l’histoire», selon la juste expression de Rachid Boudjedra, au-delà des paroles défensives, il reste à passer à l’offensive : trouver comment raviver l’esprit patriotique en Algérie.
Drame migratoire
Les ennemis du peuple algérien ont beau jeu de dénoncer nos compatriotes qui vivent en France et ceux qui rêvent d’y aller, du jeune chômeur le plus démuni jusqu’au docteur en ceci ou cela, jusqu’au harraga qui préfère risquer la noyade. Dans le quartier populaire où je vis, j’ai entendu un gamin de dix ans me déclarer : «Dès que je ramasserai l’argent nécessaire, al harga !» En 1972, je signalais déjà cette tragédie (5). Le Vietnam, l’indépendance acquise, mit fin à l’émigration de ses travailleurs ; Cuba, après la victoire patriotique, opéra de même. Et ces deux pays ne possèdent ni pétrole ni gaz.
Pourquoi, en Algérie, dotée de ces deux matières premières, l’émigration non seulement persiste, mais s’aggrave ? Certes, des Algériens retournent au pays pour contribuer à son développement ; leur nombre est insuffisant.
L’oligarchie française, ses chiens de garde et ses néo-harkis n’ont-ils pas beau jeu de soulever ce problème ? Et s’il est correct de leur rétorquer les 132 années de colonialisme, est-ce suffisant, après 60 ans d’indépendance ? Ne faut-il pas étudier au plus vite et au mieux comment mettre fin à l’hémorragie migratoire des Algériens, et intéresser ceux de la diaspora à revenir pour contribuer au développement du pays ?
Régression culturelle
Réelle et affligeante en Algérie, elle permet aux néo-harkis de proférer leurs calomnies. S’ils étaient réellement, comme ils le prétendent, des amis du peuple algérien, ils proposeraient des solutions. L’un des motifs de ce fléau est dans la préférence donnée par trop de responsables à la médiocrité. Elle privilégie l’obéissance de béni-oui-oui, et exclut la compétence ; celle-ci, basée sur l’honnêteté, agit uniquement selon des critères objectifs performants. Pour parler uniquement dans mon secteur de compétence – théâtre, cinéma, littérature, critique dans ces domaines –, je suis effaré par la futilité, d’autant plus futile qu’elle est arrogante (6) : les ignorants applaudissent le charlatan, haïssent celui qui invite à reconnaître les carences et à s’efforcer de les combler.
Qu’a-t-on fait et que fait-on, réellement, pour redonner à la vie culturelle algérienne les conditions de son renouveau, de son dynamisme, de sa valeur nationale et internationale ? Certes, les locaux existent, le financement de même : où est la substance humaine ?
Si elle n’existe pas, comment l’expliquer après 62 ans d’indépendance ? Si elle existe, pour quel motif ne pas la solliciter ? Un peuple sans culture adéquate peut-il résister aux agressions culturelles, prémisses à celles militaires ?
Economie et espace public
S’il est vrai que les autorités étatiques montrent un effort réel dans ces deux domaines, le succès stratégique sera réalisé seulement quand le pays ne dépendra plus de ses matières premières, concrétisera une autosuffisance dans tous les domaines, et assurera un espace public digne de ce nom.
Ne pas se tromper
Les Algériens ou d’origine algérienne, comment savoir si leur prétention à aimer et défendre le peuple algérien est sincère ? Très simple : au lieu d’insulter ce peuple en invoquant ses carences, ils proposeraient des solutions ; elles prouveraient leur respect de ce peuple et leur honnête collaboration à son progrès dans tous les domaines. L’adversaire du peuple algérien n’est pas le peuple français : l’oligarchie de France manipule, exploite et opprime celui-ci comme elle veut réduire celui-là au même traitement. Rappels historiques significatifs :
– 1848 : après la révolution de février qui renversa le roi Louis-Philippe, des mouvements populaires éclatèrent à la fois en Algérie et en France. Cavaignac, général de l’armée française, réprima en Algérie les révoltes d’indigènes, puis retourna à Paris où, nommé ministre de la Guerre, il dirigea l’armée qui massacra l’insurrection ouvrière. Cavaignac devint un héros national.
– 1870-1871 : l’armée massacra, à Paris, des milliers de prolétaires de la Commune, et, en Algérie, les indépendantistes autochtones. Des survivants se retrouvèrent ensemble au bagne en Calédonie.
Après cela, peut-on s’étonner que les deux néo-harkis dont je parle fassent partie de la tendance fasciste-sioniste en France ? Leur haine du peuple algérien ne révèle-t-elle pas une haine identique pour le peuple français ?
Veillons à la solidarité entre les peuples. Leur opposition ne profite qu’aux oligarchies. Utilisons les mots adéquats : ils sont des armes clarificatrices. L’ennemi du peuple algérien n’est pas «la France», c’est l’oligarchie qui le domine, elle-même soumise aux oligarchies états-unienne et colonialiste sioniste.
Une oligarchie étrangère peut-elle aider un peuple en difficulté ? Ah, oui : lui «porter la démocratie», la «libération de ses femmes opprimées», les «droits de l’Homme», le «libérer de l’obscurantisme». Comme en Afghanistan, en Irak, en Libye ? Auparavant, au Vietnam, en Chine, en Algérie, en Afrique, etc. ? Aujourd’hui, en Syrie, au Liban ? Il faut être un fieffé mercenaire pour utiliser ces arguments de propagande, ou un crétin total pour croire à leur efficacité. A moins de maintenir un peuple dans l’ignorance ou l’insuffisante connaissance de son passé de résistance, de favoriser une «élite» autochtone médiocre, parce que opportuniste, au détriment des authentiques intellectuels.
Des paroles aux actes
La guerre des opinions, dite cognitive – je l’appelle culturelle, même si le terme semble démodé – ne se gagne pas uniquement avec les paroles mais, tout autant et d’abord, par les actes concrets pour combler les lacunes. Pourquoi les Vietnamiens n’ont pas leurs néo-harkis en France ou aux Etats-Unis, et les Chinois, pas au Japon ? S’ils existent, leur influence est tellement dérisoire qu’elle n’oblige pas à des réponses. Informez-vous de la manière dont les dirigeants vietnamiens et chinois entretiennent la mémoire de leur épopée, ont mis fin à l’émigration de leurs concitoyens, ont donné vie à leur activité culturelle, et vous aurez des exemples d’inspiration pour l’Algérie.
Qui objecterait : nous n’avons pas à nous inspirer d’autres expériences. Réponse : les initiateurs de la guerre de Libération algérienne ne se sont-ils pas inspirés de celle vietnamienne ? Et, d’une manière générale, n’a-t-on pas le principe «apprends la science, même si de la Chine» ? Tous les peuples progressent en s’inspirant correctement les uns des autres.
A qui sait voir et comprendre, tous les indices montrent des faits : 1) l’oligarchie française veut effacer son humiliation politico-militaire coloniale par une revanche ; 2) l’oligarchie coloniale israélienne veut se débarrasser d’une Algérie partisane intransigeante du peuple palestinien ; 3) une partie de l’oligarchie états-unienne soutient le projet israélien ; 4) l’oligarchie marocaine, néocolonisée, voudrait éliminer une République algérienne indépendante, soutien de l’autodétermination du peuple sahraoui. Toutes ces oligarchies trouvent leur intérêt à réduire l’Algérie à un Liban déchiré, une Libye démembrée ou un génocide à Gaza. Fragmenter les pays, opposer leurs ethnies respectives, financer une cinquième colonne (néo-harkis), calomnier pour créer des conflits entre peuples voisins (7). Contester ce fait procède d’une ignorance ou d’une manipulation. Les combattants de la guerre de Libération nationale arrachèrent l’indépendance. Aux générations suivantes de la mériter : d’abord, en trouvant les solutions convenables à toutes les carences qui permettent aux ennemis du peuple algérien d’agir.
Le plus vite serait le mieux : la guerre des opinions contre l’Algérie prépare celle des bombardements pour la reconquérir. Pas nécessaire d’être spécialiste en stratégie ou de lire dans une mare de café pour le savoir : il suffit de consacrer le temps à connaître les faits sur les médias encore libres. Les premières déclarations des nouveaux ministres algériens, en particulier de la Communication et de la Culture, permettent d’espérer que les intentions soient validées par les actes. Le peuple algérien a vaincu l’oligarchie française par la conquête de son indépendance politique ; il lui reste à la vaincre sur le plan culturel. Larbi Ben M’hidi remarqua, en substance : si la guerre de Libération nationale est difficile, la construction qui nous attend après est encore plus difficile.
Il est vital d’empêcher que la peste répandue par les deux néo-harkis prolifère (8), soutenue par une rémunération et une médiatisation adéquates par des oligarchies dont il faut estimer correctement la dangerosité. Comment ? Appliquer à l’application réelle de la devise : «Par le peuple et pour le peuple.» Si l’on prétend qu’il est incapable de cette gestion, la mission urgente ne consiste-t-elle pas à l’y former ? Comment, sinon par la culture ? Par qui, sinon par des personnes éthiquement honnêtes, professionnellement compétentes ?
K. N.
1) http://kadour-naimi.over-blog.com/2024/11/du-talent-litteraire-dans-houris-de-kamal-daoud.html
2) Ahmed Bensaada parle d’ «anfractuosité» et de guerre «cognitive».
3) http://kadour-naimi.over-blog.com/2024/11/remercions-les-ennemis.html
4) http://kadour-naimi.over-blog.com/2018/04/contre-l-ideologie-harkie-pour-la-culture-libre-et-solidaire-4.les-guerres-de-liberation-nationale-vietnamienne.html et http://kadour-naimi.over-blog.com/2018/04/contre-l-ideologie-harkie-pour-la-culture-libre-et-solidaire-3.la-guerre-de-liberation-nationale-chinoise.html
5) Elle causa la rupture de ma collaboration avec Kateb Yacine lors de la réalisation collective de Mohamed, prends ta valise ! : voir mon livre Théâtre : beauté, vérité, bonté.
6) http://kadour-naimi.over-blog.com/2024/07/problemes-culturels-dans-l-algerie-nouvelle.html
7) Seuls les naïfs croiront que Boualem Sansal, en parlant de villes de l’ouest algérien, ignorait l’histoire. En fait, il la connaît, mais sa déclaration visait à attiser les hostilités entre les peuples marocain et algérien. Méthode pratiquée par Joseph Goebbels : plus le mensonge est gros, plus il a des chances d’être cru.
8) A Oran, j’ai connu une Algérienne, docteur en lettres françaises. Elle fréquente assidûment le Centre Culturel Français de la ville. En lui demandant le motif de cette étroite collaboration, elle répondit : «J’en ai marre de l’Algérie, les Algériens ne mérite pas ce pays ! Je voudrais obtenir un visa pour aller vivre en France. Là-bas sont la culture et la liberté, mon avenir.» – Pourtant, c’est l’Algérie qui a financé tes études. – «Je m’en fiche !» Combien ce genre d’individus existe en Algérie ?
Parlons de nos carences : en comparaison, qui propose le plus d’activités, et donc attire le plus de citoyens oranais, le CCF ou la Maison de la Culture ? Par conséquent, faut-il se plaindre de la fréquentation des Oranais au CCF ou, plutôt, demander à la Maison de la Culture de les intéresser davantage ? Il en est de même d’une autre activité : combien de projections filmiques au CCF par rapport à la Cinémathèque ? Faut-il reprocher au CCF trop d’activités ou à notre Cinémathèque trop peu d’activités ?
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