Dr Mohamed Yousfi, président de la Société algérienne d’infectiologie, au Jeune Indépendant : «Faites un dépistage du VIH au moins une fois par an»

A l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, le 1er décembre de chaque année, le Dr Mohamed Yousfi, président de la Société algérienne d’infectiologie et chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital de Boufarik, aborde les avancées et les défis persistants dans la lutte contre le VIH en Algérie. Dans cet entretien, […] The post Dr Mohamed Yousfi, président de la Société algérienne d’infectiologie, au Jeune Indépendant : «Faites un dépistage du VIH au moins une fois par an» appeared first on Le Jeune Indépendant.

Déc 3, 2024 - 00:40
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Dr Mohamed Yousfi, président de la Société algérienne d’infectiologie, au Jeune Indépendant : «Faites un dépistage du VIH au moins une fois par an»

A l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, le 1er décembre de chaque année, le Dr Mohamed Yousfi, président de la Société algérienne d’infectiologie et chef de service des maladies infectieuses à l’hôpital de Boufarik, aborde les avancées et les défis persistants dans la lutte contre le VIH en Algérie. Dans cet entretien, accordé au Jeune Indépendant, il insiste sur l’importance du dépistage précoce et de la prévention, tout en mettant en lumière les progrès thérapeutiques ainsi que les efforts nécessaires pour enrayer l’épidémie.

  

Le Jeune Indépendant : Pouvez-vous nous présenter un état des lieux sur la situation épidémique du VIH/sida en Algérie ?

Dr Mohamed Yousfi : La situation du VIH en Algérie est complexe. D’un côté, la prévalence globale reste faible, avec un taux inférieur à 0,1 % mais, paradoxalement, nous observons une augmentation inquiétante des cas depuis la crise sanitaire du Covid-19. Nous enregistrons chaque année environ 1 300 nouveaux cas, alors que le défi que nous devions relever est d’atteindre le chiffre de 500 nouveaux cas par an. Selon les dernières statistiques de l’ONUSIDA, environ 26 000 personnes vivent avec le VIH en Algérie. Parmi elles, environ 22 000 connaissent leur statut sérologique.

Cela signifie que 4 000 personnes ignorent qu’elles sont porteuses du virus, ce qui complique la prise en charge et contribue à la propagation silencieuse de la maladie. Actuellement, près de 20 000 personnes sont sous traitement antirétroviral. Grâce à ces traitements modernes, nous réussissons à stabiliser la charge virale transformant le VIH en une maladie chronique bien contrôlée. Cependant, il reste des défis à surmonter, notamment le retard dans le dépistage et la prise en charge précoce. Pourtant, nous avons les compétences humaines et matérielles. Les pouvoirs publics ont déployé les moyens en termes de traitement et d’infrastructure pour faire face à cette épidémie.

 

Pourquoi constate-t-on une augmentation des cas malgré les moyens humains et matériels existants ?

D’abord, il y a un manque significatif de sensibilisation et d’information sur le VIH. Bien qu’il existe des campagnes ponctuelles, elles ne sont pas assez fréquentes ni suffisamment ciblées. La stigmatisation autour du VIH, qui demeure un sujet tabou en Algérie, constitue un autre frein majeur. Les personnes vivant avec le VIH ont tendance à cacher leur statut par crainte du rejet social. En conséquence, beaucoup de personnes contaminées ignorent leur état, ne se font pas dépister et ne bénéficient pas de soins à temps. De plus, les jeunes générations, particulièrement vulnérables, manquent parfois de connaissances nécessaires pour se protéger contre les risques.

Ensuite, il y a le constat amer qu’actuellement, certains professionnels de santé ne proposent pas systématiquement le test VIH dans les bilans de routine, bien que cela soit recommandé. Nous constatons aussi un relâchement dans le dépistage systématique, notamment chez les femmes enceintes. Ces facteurs, combinés, expliquent pourquoi nous voyons une progression des cas ces dernières années, alors que les outils pour contrôler l’épidémie existent.

 

Vous parlez de stigmatisation, comment cela affecte-t-il la prise en charge des malades ?

La stigmatisation autour du VIH est un problème mondial, mais en Algérie, elle prend une forme particulièrement marquée. Le VIH est encore associé à des comportements jugés immoraux, ce qui entraîne un rejet social des personnes infectées. Cette stigmatisation pousse de nombreuses personnes à cacher leur statut et à éviter les centres de dépistage. Si elles ne se font pas dépister, elles ne peuvent pas bénéficier de traitement et le virus continue à se propager. Malheureusement, c’est ce qui explique, en partie, pourquoi nous voyons encore des cas de VIH non détectés à un stade avancé, ce qui complique leur prise en charge car ils ne se sont pas fait dépister à temps.

 

Vous insistez beaucoup sur le dépistage. Pourquoi est-il si important ?

Le dépistage est essentiel car il permet une prise en charge précoce, réduisant ainsi les complications. Aujourd’hui, grâce aux traitements antirétroviraux modernes, une personne dépistée et traitée à temps peut vivre une vie normale. Cependant, beaucoup de patients arrivent à l’hôpital à un stade avancé de la maladie, avec un système immunitaire complètement laminé, alors qu’ils auraient pu être stabilisés si le dépistage avait eu lieu plus tôt.

 

Pour revenir à la prévention, quels sont les modes de transmission les plus préoccupants en Algérie ?

En Algérie, trois modes de transmission prédominent. Premièrement, les relations sexuelles non protégées. C’est la principale voie de contamination, notamment chez les jeunes. Le manque de sensibilisation aux pratiques protégées accentue ce risque. Le deuxième mode est celui de la transmission par le sang. Bien que moins fréquente, elle survient dans des contextes comme les pratiques médicales non sécurisées (dentistes mal équipés, réutilisation de matériel non stérilisé) ou chez les usagers de drogues injectables. Ensuite, ce qui est très grave actuellement, c’est le constat de l’augmentation des cas de transmission mère-enfant. Ce mode, pourtant évitable grâce aux dépistages prénataux et aux traitements antirétroviraux, reste préoccupant. Les lacunes dans le dépistage des femmes enceintes contribuent encore à la transmission verticale, ce qui est inacceptable aujourd’hui.

 

Vous avez mentionné que des enfants sont encore contaminés par le VIH. Comment cette situation peut-elle persister alors que des moyens existent pour éviter la transmission de la mère à l’enfant ?

Oui, c’est un point extrêmement préoccupant. Certains professionnels de santé n’intègrent pas toujours ce dépistage dans les bilans prénataux, malgré les directives en vigueur. C’est regrettable, car trois bilans de santé sont normalement prévus durant la grossesse. Ignorer un test aussi important expose l’enfant à des risques inutiles. Il est impératif de sensibiliser davantage les femmes enceintes et de rappeler aux professionnels de santé leur rôle fondamental dans la prévention de la transmission verticale du VIH.

De plus, bien que la transmission du VIH de la mère à l’enfant soit évitable grâce à des traitements antirétroviraux, des enfants continuent de naître contaminés. Cela est inacceptable, d’autant plus que des protocoles existent pour prévenir cette transmission. Une femme enceinte infectée par le VIH doit bénéficier de plusieurs bilans de santé au cours de sa grossesse, et un dépistage précoce permet de prendre les mesures nécessaires pour éviter la contamination de l’enfant. Nous avons un potentiel de moyens et de compétences, mais il y a un manque de vigilance et de coordination pour appliquer ces protocoles.

 

Quels moyens sont actuellement disponibles en Algérie pour le dépistage et la prise en charge du VIH ?

L’Algérie dispose de ressources importantes. Nous avons 64 unités de dépistage réparties sur l’ensemble des wilayas, avec au moins un centre dans chaque région. A cela s’ajoutent 16 centres de référence pour le dépistage et la prise en charge des malades atteints par le VIH, comme celui de Boufarik où je travaille. Ces structures sont équipées pour offrir un dépistage gratuit et confidentiel, ainsi qu’une prise en charge médicale et psychologique des patients. En termes de traitement, nous avons fait de grandes avancées. Les antirétroviraux modernes permettent aujourd’hui de transformer le VIH en une maladie chronique contrôlée. Une simple prise quotidienne d’un seul comprimé combiné suffit pour maintenir le virus sous contrôle. Cela permet aux patients de vivre normalement. Nous avons certains patients séropositifs qui ont atteint l’âge de 70 ans et vivent normalement avec la maladie depuis plus de 30 ans.

 

Selon vous, quelles sont les actions qui devraient être mises en place pour inverser la tendance de l’augmentation des cas de contamination ?

Pour inverser cette tendance, il est essentiel d’intensifier les campagnes de sensibilisation. Mais ces campagnes doivent être plus fréquentes, plus accessibles et plus ciblées, non seulement à l’occasion de la Journée mondiale du sida mais tout au long de l’année. Il faut aussi encourager davantage de personnes à se faire dépister, au moins une fois par an, pour détecter le virus à un stade précoce. Un autre aspect fondamental est l’amélioration de la formation des professionnels de santé pour garantir qu’ils soient bien informés sur les protocoles de dépistage et de traitement, et qu’ils les appliquent systématiquement. Ce n’est qu’en combinant l’éducation, le dépistage et l’accès aux traitements que nous pourrons espérer réduire ces nouveaux cas.

 

 Le VIH étant désormais une maladie chronique grâce aux traitements antirétroviraux, quels progrès ont été réalisés dans la prise en charge des patients ?

Les traitements antiviraux ont considérablement évolué ces dernières années. Aujourd’hui, il existe des traitements très efficaces qui permettent de contrôler le virus avec un seul comprimé par jour. Cela a permis à de nombreuses personnes vivant avec le VIH de mener une vie presque normale, avec une espérance de vie proche de celle de la population générale. De plus, certains patients vivent avec le VIH depuis plus de 30 ans et continuent de pratiquer des activités quotidiennes comme le sport, sans que leur état de santé ne se détériore. Cependant, cela ne doit pas nous faire oublier qu’un dépistage tardif reste une cause majeure de complications graves avec un taux de mortalité important.

 

Pour ce mois de décembre avez-vous des actions prévues à l’hôpital de Boufarik ?

Dans notre centre de Boufarik, nous avons lancé une semaine dédiée au dépistage gratuit et confidentiel. Nous organisons également des conférences pour les professionnels de santé. Notre objectif est clair : montrer que le VIH n’est pas une fatalité. Avec un dépistage précoce et un traitement adapté, on peut vivre une vie normale et prévenir de nouvelles transmissions. Nous avons prévu plusieurs conférences pour les médecins et les infirmiers. Nous voulons également rappeler que la prévention et le dépistage sont essentiels non seulement pour la personne infectée mais aussi pour éviter la propagation du virus dans la communauté.

 

Pour conclure, quel message aimeriez-vous adresser aux lecteurs et à la société en général ?

Mon message est clair : faites un test de dépistage du VIH au moins une fois par an. Il est essentiel que chaque citoyen prenne conscience de l’importance du dépistage précoce. Personne n’est à l’abri du risque de la contamination au VIH, et il est de notre responsabilité collective de briser le silence autour de cette maladie. Nous avons les moyens de lutter contre cette épidémie, et il est inadmissible que des vies soient perdues à cause d’une détection tardive. Le VIH est aujourd’hui une maladie chronique qui peut être contrôlée, et cela grâce à un dépistage précoce et à un traitement rapide. Ensemble, nous pouvons faire une différence, mais cela nécessite un engagement de tous.

 

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