Interview/ Dr Mohamed Doumir, historien, à Fildalgérie: «C’est plutôt le Maroc, et non l’Algérie, qui a été façonné par la colonisation»
Mohamed Doumir est un chercheur algérien reconnu dans le domaine de l’histoire. Il a mené de nombreuses études et travaux de recherche qui ont contribué de manière significative à éclaircir des vérités historiques. Sa passion pour la recherche et son dévouement à l’avancement des connaissances dans ce domaine l’ont élevé au statut de figure respectée, […] L’article Interview/ Dr Mohamed Doumir, historien, à Fildalgérie: «C’est plutôt le Maroc, et non l’Algérie, qui a été façonné par la colonisation» est apparu en premier sur fildalgerie.
Mohamed Doumir est un chercheur algérien reconnu dans le domaine de l’histoire. Il a mené de nombreuses études et travaux de recherche qui ont contribué de manière significative à éclaircir des vérités historiques. Sa passion pour la recherche et son dévouement à l’avancement des connaissances dans ce domaine l’ont élevé au statut de figure respectée, tant au niveau national qu’international. Dans cet entretien accordé à Fild’Algérie.dz, il apporte de nombreuses preuves historiques qui attestent clairement, entre autres, que « c’est le protectorat franco-espagnol qui a offert au Maroc les frontières actuelles ».
Fildalgérie : pouvez-vous nous donner un bref aperçu sur l’état des frontières de l’Algérie en 1830 ?
Avant l’occupation française en 1830, l’Algérie se composait principalement de trois régions administratives, appelées Beyliks : le Beylik de l’Est (Constantine), le Beylik de l’Ouest (Oran), et le Beylik du Titteri au centre. Ces divisions étaient gérées par des Beys qui répondaient au Dey d’Alger, représentant, en théorie, l’autorité ottomane.
Le Beylik de Constantine s’étendait jusqu’aux frontières actuelles avec la Tunisie. À l’ouest, le Beylik d’Oran atteignait Oujda, confirmant l’appartenance de cette région à l’Algérie sous l’autorité ottomane. Vers le Sud, l’influence algérienne s’étendait jusqu’aux régions sahariennes profondes comme Touat, In Salah, Tindouf et Illizi. Ces régions entretenaient des relations formelles avec le Dey d’Alger, versant des tributs en échange de protection militaire. Des documents historiques et des correspondances de l’époque montrent que les habitants d’In Salah, par exemple, sollicitaient régulièrement l’aide des Deys pour assurer leur sécurité, prouvant ainsi l’autorité continue de l’Algérie sur ces territoires.
Mais l’Ouest, l’Algérie a perdu du territoire ; la frontière avec le Maroc a été déplacée par le traité de Tanger en 1844, amputant l’Algérie de 14 km ?
Le fleuve Moulouya (actuellement en territoire marocain) a historiquement marqué la frontière sud de la Numidie, remontant à plus de 2300 ans, sous le règne de Syphax puis de Massinissa. Ce tracé a été respecté au fil des siècles par divers royaumes et dynasties berbères, tels que la Maurétanie césarienne et la dynastie des Zianides, ainsi que durant la période ottomane.
Et effectivement, le traité de Tanger de 1844 a redéfini cette frontière au profit du Maroc, à la suite de la défaite de l’émir Abdelkader. Ce redécoupage a entraîné la perte de territoires historiquement algériens, comme Oujda et Figuig, qui étaient étroitement liés à l’Algérie. La révolte des Derqaoua au début du XIXe siècle a également contribué à l’intégration de certaines de ces régions au Maroc, car les habitants cherchaient une protection contre les représailles françaises.
Au Sud, à quelle logique obéit le tracé de nos frontières, notamment avec le Mali, le Niger et la Mauritanie ? Comment s’est lié le lien avec le Sud avant la colonisation ?
Le tracé des frontières sud de l’Algérie repose sur des relations historiques établies avec les tribus sahariennes sous la régence ottomane. Les habitants de ces régions versaient un tribut au Dey d’Alger et demandaient sa protection contre les menaces extérieures, attestant de leur lien avec l’Algérie. La révolte d’Amoud est un exemple de la résistance des Touaregs contre la colonisation française, symbolisant leur loyauté à l’autorité algérienne. Pendant la guerre de libération nationale, les Sahariens ont joué un rôle essentiel dans la lutte, notamment au sein de la Wilaya VI, qui couvrait les régions sahariennes. Le colonel Lotfi, une figure emblématique de la révolution algérienne, a été tué à Béchar, illustrant la participation active des populations sahariennes à la libération du pays.
Selon vous les frontières de l’Algérie post-colonisation étaient proches de celles héritées et acceptées après l’indépendance selon le principe de « l’intangibilité des frontières en Afrique » ?
Je suis convaincu que les frontières de l’Algérie après l’indépendance reflétaient en grande partie celles établies sous la colonisation française. La seule exception notable concerne la frontière nord-ouest, qui a été redéfinie au profit du Maroc, impliquant la perte de territoires comme Oujda et Saïdia. Le principe de l’intangibilité des frontières, adopté par l’Organisation de l’unité africaine, a été essentiel pour éviter les conflits interétatiques et préserver la stabilité des frontières héritées de la colonisation, malgré les revendications historiques de certaines régions.
Aujourd’hui, seul le Maroc semble remettre en cause ses frontières avec ses voisins en réclamant une partie du territoire algérien, du Mali et même toute la Mauritanie… Quels sont ses arguments ?
Le Maroc n’a pas de revendications territoriales sur l’Algérie, du moins pas officiellement. Car les deux pays ont signé un traité de délimitation des frontières en 1972, ratifié en 1989. Les allégations de revendications sur des territoires algériens proviennent principalement de campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux. Avant le traité de 1972, lors de ce qui est connu sous l’appellation de la guerre des sables en 1963, le Maroc a effectivement tenté d’occuper des zones algériennes dans la région de Tindouf, mais ces territoires ont été récupérés par l’Algérie.
Je suis formelle, actuellement, il n’y a aucune revendication officielle marocaine sur les terres algériennes.
Quelle était la consistance du territoire du Maroc avant le protectorat en 1912 ?
Avant le protectorat, le territoire du Maroc était fragmenté en plusieurs régions semi-autonomes, notamment le Rif au Nord, les régions du Souss, de Massa et de Drâa au Sud, ainsi que l’est du pays. Ces zones étaient souvent en rébellion contre le pouvoir central du Sultan, et le contrôle effectif du Sultan se limitait uniquement à la région autour de Rabat. Lors de la mort du sultan Hassan Ier en 1894, le vizir Ba Hmad a déclaré que la Cour était en « terre ennemie », reflétant l’étendue limitée de l’autorité centrale à l’époque. Ce n’est qu’avec le protectorat franco-espagnol que le Maroc a été, progressivement, unifié sous une autorité centrale.
Donc c’est le double protectorat franco-espagnol (1912-1956) qui a façonné le territoire actuel du Maroc ?
Effectivement, le protectorat franco-espagnol a été déterminant dans la formation du territoire actuel du Maroc. Avant 1912, le Maroc était divisé en régions autonomes, souvent gouvernées par des chefs locaux. Le protectorat a utilisé la force militaire pour soumettre ces régions et les intégrer sous une administration centralisée. Le bombardement chimique du Rif par l’armée espagnole est un exemple de la brutalité employée pour imposer l’unification.
Le Maréchal Lyautey, premier résident général de France au Maroc a rappelons-le, très largement contribué à mater les rébellions violentes des tribus qui ne cessaient de contester le pouvoir du Sultan dans la majeure partie du pays, et à unifier le territoire du Maroc. Le territoire actuel du Maroc reflète donc largement les frontières établies sous le protectorat.
Le Maroc a-t-il revendiqué le Sahara occidental en 1956, en même temps qu’Ifni, Tarfaya, Ceuta et Melilla ?
Non, à l’indépendance du Maroc en 1956, le Royaume ne revendiquait pas le Sahara occidental. Au contraire, le gouvernement marocain soutenait à l’époque formellement l’autodétermination du Sahara occidental, comme le confirme le discours du ministre des Affaires étrangères Ahmed Cherkaoui aux Nations unies en 1967, affirmant le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. La revendication marocaine sur le Sahara occidental n’est devenue officielle qu’en 1975, avec l’organisation de la « Marche Verte » après le retrait précipité de l’Espagne.
Quel est l’argument factuel, juridique ou historique qu’avance le Maroc aujourd’hui pour le Sahara occidental ? De qui l’Espagne l’avait-elle pris ?
Aujourd’hui, le Maroc utilise principalement une approche de faits accomplis, en cherchant à asseoir sa souveraineté par l’occupation physique et le développement administratif de la région. Cependant, ce positionnement n’a pas de fondement juridique ou historique convaincant. La Cour internationale de justice, en 1975, a confirmé que le Sahara occidental n’avait jamais été intégré au Maroc.
De qui l’Espagne l’avait-elle pris ?
Historiquement, l’Espagne a pris le contrôle du Sahara occidental en 1884, lors de la Conférence de Berlin, qui a consacré la division coloniale de l’Afrique. L’Espagne n’a donc pas conquis le Sahara occidental d’un État souverain, mais a établi sa présence dans une région qui était historiquement peuplée par des tribus sahraouies indépendantes. Par conséquent, l’argument actuel du Maroc repose plus sur, le fait accompli avec la consolidation de la situation sur le terrain, que sur des bases légales ou historiques.
Aujourd’hui, l’Espagne et récemment la France soutiennent ouvertement «la marocanité» du Sahara occidental comme solution au conflit. Quelle est leur motivation ?
Le soutien de l’Espagne et de la France à la marocanité du Sahara occidental est principalement motivé par des intérêts économiques et stratégiques. Ces pays cherchent à maintenir et renforcer leurs relations économiques avec le Maroc, considéré comme un partenaire clé en Afrique du Nord. La France, par exemple, souhaite protéger ses intérêts commerciaux et ses investissements, tout en assurant une coopération sécuritaire accrue avec le Maroc dans la lutte contre le terrorisme et la gestion des flux migratoires. L’Espagne, de son côté, est particulièrement intéressée par des accords de pêche, des investissements énergétiques et la coopération en matière de sécurité, notamment en ce qui concerne la question migratoire. Cette approche ne repose pas sur une justification légale de la marocanité du Sahara, mais sur des besoins géopolitiques et économiques immédiats. Ce soutien est donc avant tout conjoncturel et «pragmatique» et pourrait évoluer en fonction des changements d’intérêts économiques et diplomatiques de ces deux pays.
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