La Géorgie en feu sur l’échiquier des puissances
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Une contribution de Julie Jauffrineau – Lances feux d’artifice contre gaz lacrymogènes. Tbilissi, sous les feux des projecteurs, est plongée dans la fumée. La colère gronde contre le Parlement géorgien tout récemment élu démocratiquement. On pourrait croire à une farce, pourtant il n’en est rien. Les manifestants pro-UE, animés par la présidente, Salomé Zourabichvili, crient à la falsification des résultats et réclament l’annulation des élections.
Cette nouvelle crise politique est marquée par les dissensions internes. Mais loin de se cantonner aux frontières du pays, elle est accentuée par les pressions géopolitiques externes. Quand certains inculpent la Russie d’ingérence, d’autres y voient un Maïdan géorgien orchestré par l’Occident. Plongée dans le Caucase, frontalière à la Russie et à l’intersection de l’Europe et de l’Asie, la Géorgie occupe une position géostratégique dans l’échiquier mondial. Les changements d’orientations politiques du pays, pion de ce grand et terrible jeu, sont au cœur des préoccupations régionales comme internationales. Soufflons un peu sur la fumée pour y voir plus clair.
A voir les manifestations, l’enjeu majeur de ces élections est un enjeu démocratique et souverainiste avec, en fond de toile, l’intégration de la Géorgie à l’Union européenne. D’ailleurs, le drapeau européen se mêle au drapeau géorgien dans la rue. La présidente, franco-géorgienne, a justement travaillé tout au long de son mandat à faire avancer le processus d’adhésion à l’UE, qui, désormais, a été repoussé à 2028 par le Premier ministre en place.
Or, l’adhésion à l’UE est notamment conditionnée par le respect des valeurs démocratiques du pays. En ce sens, comment interpréter l’absence de réaction de la part des dirigeants européens quant aux dernières déclarations antidémocratiques de la présidente géorgienne ? Elle s’est déclaré «la seule institution légitime indépendante restante de ce pays» avant d’affirmer qu’elle ne cédera pas son pouvoir à l’expiration de son mandat, fin décembre. Ses paroles sont d’autant plus antidémocratiques qu’elle les a prononcées quelques jours seulement avant que la Cour constitutionnelle – auprès de laquelle elle a fait appel pour demander l’annulation des résultats des élections – rende son verdict, ce 3 décembre. En l’occurrence, cette dernière a refusé d’invalider les résultats des élections, faute de preuves valables d’une possible ingérence russe. Le refus de la Présidente de ne pas quitter le pouvoir est donc contradictoire aux valeurs de l’Union européenne.
Mais l’absence de réaction européenne n’a rien d’étonnant étant donné que le Parlement européen a précédé Salomé Zourabichvili et son piétinement des institutions nationales. Dans son communiqué de presse du 28 novembre, il a appelé à de nouvelles élections dans le pays. Par cet acte, l’Union européenne a montré son mépris envers les institutions démocratiques de la Géorgie et conteste la souveraineté du pays. Pire encore, elle attise le feu en appuyant les manifestants dans leurs contestations.
Les dirigeants politiques européens ne sont pas en reste. A titre d’exemple, le gouvernement français a donné des leçons à la police géorgienne en en appelant au «respect du droit de manifester pacifiquement». Or, au-delà de la violence de ces manifestations, ces dernières années, la police française s’est elle-même illustrée par ses répressions systématiques et violentes. Sans oublier que l’Hexagone ferait mieux de s’attarder sur ses propres problèmes de gouvernement, au regard des dernières actualités.
Il semble important de rappeler, au passage, qu’à la grande surprise générale, «30% des personnes détenues à Tbilissi sont des citoyens d’autres pays», comme l’a déclaré Mamuka Mdinaradze, secrétaire exécutif du parti au pouvoir en Géorgie.
Outre l’étonnante volonté de l’Union européenne de faire adhérer la Géorgie à l’UE – pays que nous situions davantage en Asie dans nos livres de géographie –, si les Russes sont accusés d’ingérence, n’en est-il pas de même quant à l’Union européenne ? Le doute subsiste au regard des faits qui ont précédé l’élection présidentielle de Moldavie dans le même laps de temps que celle de Géorgie.
Mais, bien évidemment, il n’y a pas d’ingérence occidentale. Ce que nous pourrions voir comme de l’ingérence n’est qu’influence, comme nous l’enseigne Le Figaro, en parlant de la récente élection présidentielle de Moldavie : «Quand Ursula von der Leyen vient dix jours avant le début du scrutin pour annoncer une aide d’1,8 milliard d’euros, c’est une forme d’influence !» Il y a pourtant de quoi supposer que cette aide ahurissante a participé à la réélection de justesse de Maia Sandu, présidente pro-UE et pro-OTAN.
Il faut surtout croire que, désormais, les modalités d’adhésion à l’UE sont conditionnées à l’adoption d’un régime démocratique, certes, mais antirusse. La preuve nous est donnée par les députés européens qui ont affirmé, dans leur communiqué de presse, que «les politiques mises en œuvre par le Rêve géorgien sont incompatibles avec l’intégration euro-atlantique de la Géorgie». Ce n’est donc pas tant la suspicion d’une fraude électorale qui est en jeu, mais bien l’orientation politique du parti démocratiquement élu.
Dès lors, l’ensemble des faits exposés vient confirmer le leurre démocratique et souverainiste. Les manifestations sont un écran de fumée destiné à cacher les intérêts qui se jouent réellement en Géorgie. Ce sont des enjeux géopolitiques et géostratégiques qui poussent à l’embrasement du pays.
Derrière l’intégration du pays à l’Union européenne se joue la volonté de l’Occident de contenir la Russie. Le report de l’adhésion du pays à l’UE vient bousculer l’agenda de l’Occident pour ouvrir un front euro-atlantique, appuyé par l’OTAN, qui s’étende jusqu’au Caucase. En effet, l’UE n’est qu’un prétexte pour faire venir plus de forces armées occidentales en Géorgie et ainsi contraindre l’armée russe à délaisser, en partie, le front ukrainien. En exprimant le désir de voir «la Géorgie faire partie de la famille euro-atlantique», le récent communiqué du secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, ne vient que réaffirmer cette volonté de faire de la Géorgie une base relais des forces occidentales. A ces fins, les Etats-Unis se disent prêts à appliquer de nouvelles sanctions à l’encontre du pays, si nécessaire. En quelques mots, la famille euro-atlantique, sous la houlette des Etats-Unis, se dit prête à faire de la Géorgie une nouvelle Ukraine.
«La première victime d’une guerre, c’est la vérité», indiquait Rudyard Kipling. Or, la guerre entre l’Occident et la Russie, au travers de l’Ukraine, tend à s’étendre aux pays aux avant-postes du conflit. Comment ne pas s’étonner de l’annulation du résultat du premier tour de l’élection présidentielle roumaine sur une «suspicion d’ingérence» ? La mascarade démocratique de la crise en Géorgie, comme la volonté d’enlever tout crédit au candidat roumain pro-russe, sans véritables fondements, attestent de la justesse des paroles de l’auteur du Livre de la jungle. La vérité n’est pas dans le brandissement des valeurs démocratiques, mais se cache derrière des intérêts géostratégiques : c’est en Roumanie que l’OTAN prépare ses bases militaires pour affronter la Russie.
Ainsi, par leur situation géographique, la Géorgie, l’Ukraine, la Moldavie, comme la Roumanie, endossent les pots cassés d’une guerre qui n’est pas la leur. Mais immanquablement, ils deviennent, malgré eux, des acteurs-clés de ce conflit, comme des pions que l’on enflammerait sur l’échiquier des puissances.
J. J.
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