L’école capitaliste : structure de domestication des esprits et de remodelage comportemental

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Déc 24, 2024 - 10:26
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Une contribution de Khider Mesloub – De manière générale, en France, comme dans la majorité des pays capitalistes, l’école républicaine et laïque se vante d’être indépendante des instances politiques, syndicales et cultuelles. Mais elle oublie de souligner qu’elle dépend directement de la principale instance capitaliste : l’Etat. Cette instance étatique capitaliste lui assigne son programme pédagogique entrepreneurial, lui dicte son idéologie bourgeoise libérale, façonnée par l’esprit colonial et impérialiste ancestral, sa philosophie individualiste fondée sur le culte de la compétition et de la performance.

En France, comme dans la majorité des pays capitalistes, certes l’Etat prend en charge les coûts de la formation des élèves. Mais c’est pour répondre aux besoins du capital par la fourniture d’une main-d’œuvre tant soit peu éduquée et formée afin d’assurer la pérennité de la production et de l’accumulation. Et pour répondre aux besoins de la production capitaliste de manière optimale, le système éducatif œuvre à sélectionner et à orienter les élèves en fonction de leurs compétences potentielles, mais également de leur aptitude à supporter les contraintes liées à l’école-carcérale fondée sur le respect de la discipline et de l’autorité.

Il importe de ne pas perdre de vue que l’école capitaliste, avec ses règles disciplinaires, est l’antichambre de l’usine et de l’administration, autrement dit elle prépare les futurs ouvriers et employés. Sous le capitalisme, «l’univers de la classe scolaire» ne constitue-t-il pas le condensé de toutes les privations : interdiction de bouger, de parler, de se retourner, soumission au dictat horaire et à l’horreur de la dictature professorale, devoir d’obéissance et obéissance aux devoirs scolaires soumis aux notations socialement éliminatoires ? En effet, dans l’enceinte de l’établissement scolaire, l’élève appartient corps et âme au personnel enseignant, ces Kapos et suppôts du capital, qui s’applique à façonner son esprit et à dompter son comportement, à lui enseigner l’obéissance, la docilité, la soumission à l’ordre dominant.

Dans le système éducatif capitaliste, notamment la France «démocratique», l’école peut être assimilée à un établissement pénitentiaire. Une fois franchi le portail de l’école, l’élève perd sa liberté : il est soumis à un emploi du temps rigide, des règles disciplinaires draconiennes, assorties de sanctions ou de punitions en cas de manquement.

L’école bourgeoise est une véritable structure pénitentiaire dédiée à la domestication des esprits et au remodelage du comportement des élèves, entreprise de conditionnement des élèves opérée par des professeurs entièrement acquis à l’idéologie capitaliste totalitaire, étant entendu que ces suppôts du capital n’enseignent et ne valorisent aucun autre mode de production égalitaire et un autre modèle de société plus humain, fondés sur la satisfaction des besoins de l’ensemble de la communauté humaine et non sur le profit de la classe minoritaire dominatrice et prédatrice. Avec leur enseignement élitiste et sélectif, ces professeurs cautionnent un système éducatif qui vise à sélectionner les élèves les plus «doués», curieusement tous issus des classes privilégiées.

En cette période de crise finale du capitalisme, marquée curieusement par la massification intensive de l’enseignement supérieur sur fond de désinvestissement pédagogique et de pénurie logistique, la principale vocation du système (carcéral) éducatif se réduit à la domestication des écoliers, à l’apprentissage des règles d’asservissement volontaire.

A l’instar de toutes les institutions idéologiques dominantes existantes, le système éducatif n’est pas fondé sur l’impartialité et l’objectivité des connaissances, mais sur des critères de classe, déterminés et imposés par les détenteurs des moyens de production et du pouvoir.

Fondamentalement, dans la majorité des pays capitalistes, notamment en France, au-delà d’être un conditionnement de la pensée au service du capital et de la classe dominante, l’école concourt plus que jamais à la reproduction sociale, la perpétuation des inégalités sociales. A un pôle, l’instruction élitiste pour les enfants des classes privilégiées, destinés à occuper les emplois d’encadrement et de conception fortement convoités et socialement monopolisés. A l’autre pôle, l’abrutissement pédagogique pour les enfants des classes populaires, voués à remplir les fonctions d’exécution ou les statistiques du chômage. Et en cette période de crise économique systémique, l’enseignement national de masse est devenu une charge financière que les gouvernants n’hésitent pas à sacrifier par la diminution des budgets alloués aux écoles comme par la réduction du personnel enseignant. Au reste, il est utile de rappeler que, du point de vue du capital, dans la majorité des pays capitalistes, notamment en France, la fonction du système éducatif n’est pas d’œuvrer à la diffusion du savoir, au développement de l’esprit critique et à l’épanouissement personnel. Mais de concourir, outre à la préparation au marché du travail régenté par les négriers des temps modernes, les patrons, au conditionnement de l’esprit des élèves par l’idéologie de la classe dominante, idéologie garante de la reproduction sociale et de la pérennisation du système.

Sous le règne du capitalisme, l’école n’est pas une œuvre de philanthropie pédagogique mais d’atrophie des facultés réflexives. Comme le notait déjà Marx à son époque : «L’inégalité des connaissances est un moyen de conserver toutes les inégalités sociales que l’éducation générale ne fait que reproduire d’une génération à l’autre.» En effet, l’école capitaliste, fondée sur la compétition et le culte de la performance dont seuls les nantis en maîtrisent (et détiennent) les règles et les codes, n’a pas pour mission éducative d’enrayer les différences sociales mais, au pire de les accentuer, au moins de les maintenir.

Ainsi, en France comme dans tous les pays capitalistes, les classes privilégiées accaparent non seulement les richesses et le pouvoir étatique qui assurent la sécurité de leur domination, mais également le capital culturel et scolaire ; en d’autres termes, tous les authentiques et lucratifs savoirs qui garantissent leur suprématie intellectuelle et hégémonie culturelle, tremplins pour leur domination politique et leur contrôle de la société formée d’une population délibérément crétinisée. Toute classe dominante ne vise pas à éclairer la lanterne intellectuelle du peuple, mais à éteindre sa lumière réflexive. Pour en faire un baudet politique. Des bêtes de somme. Des ânes, en somme. Parlant du peuple, Victor Hugo notait : «Le peuple ? Un âne qui se cabre !» Nous ajouterons : qui, joyeusement, se sabre (s’auto-décapite intellectuellement).

De nos jours, en particulier en France, nation qui se targue d’être le pays des Lumières et de la culture, à l’ère de la dégénérescence du capitalisme et de l’atrophie de la pensée critique, le diplôme, quel que soit le cycle universitaire, est devenu la peau d’âne derrière laquelle tout un chacun dissimule son ignorance, camoufle sa vacuité intellectuelle. En France, comme dans l’ensemble des pays capitalistes, la massification de l’enseignement supérieur est une mystification intellectuelle. Elle ne reflète pas une augmentation significative du niveau scolaire des étudiants, aux connaissances encyclopédiques réellement de plus en plus réduites du fait de la segmentation des sciences, de la parcellisation des savoirs (et de la concurrence des réseaux sociaux, auprès desquels les jeunes vont s’informer et, donc, se former ou se déformer). Cette massification est une donnée purement statistique, symbolisée par le gonflement du nombre des diplômés opéré par la politique permissive d’inscription dans le cycle supérieur. En France, comme dans l’ensemble des pays capitalistes, l’école s’adonne, sur fond d’une scolarité passive et routinière, à une forme d’élevage d’étudiants en batterie opéré dans ses structures éducatives pondeuses de savoirs déficients. Chaque année, elle déverse une juvénile population salariée potentielle sur le marché du travail lilliputien. Une population scolaire qui passe davantage de temps à se former que les générations précédentes.

En France, comme dans la majorité des pays, la durée moyenne des études a doublé. En effet, l’entrée dans la vie active s’effectue de plus en plus tardivement. Aussi, avec une perspective d’études supérieures démesurément rallongée (5 années après le bac), et une extension du temps d’accès à un travail stable, les jeunes n’entament-ils leur carrière professionnelle qu’à un âge avancé, entre 25 et 30 ans. De sorte qu’un jeune aura passé plus de 20 ans sur les bancs de l’école pour, in fine, se retrouver sur les bancs de touche de la vie sociale. Vingt ans de débauche scolaire «scolastique» pour échouer à «Pôle emploi» faute de débouché professionnel. L’ironie de l’histoire, c’est que, une fois achevé leurs études, la situation sociale de la majorité des étudiants sera semblablement identique à celle des jeunes prolétaires depuis longtemps exclus du système éducatif.

Ces étudiants, quoique munis de leur diplôme (peau d’âne exhibée comme un trophée), ne rentrent pas immédiatement (voire jamais) dans la vie active. Et quand certains réussissent à intégrer le monde du travail, c’est par «la voie de garage», par des emplois sans issue contractuelle professionnelle pérenne. Dans une société marquée par la mcdonalisation et l’ubérisation, ces étudiants intellectuellement édentés s’inscrivent dans une carrière professionnelle d’emblée dentelée. Qui plus est à la décharge des jeunes, dans une société fondée sur la concurrence économique et la compétition professionnelle, exigeant l’adoption de la rouerie et le déploiement de «l’esprit de gagne» pour réussir, il n’est pas surprenant qu’une majorité de ces compétiteurs forcés, notamment les jeunes issus des classes défavorisées non familiarisées avec les règles du jeu du challenge social, ne parviennent pas à rivaliser avec leurs concurrents nantis. Et, par conséquent, soient broyés par un système éducatif plus favorable aux élites.

M. K.

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