Le nouveau régime syrien déjà disposé à trahir Ankara
Si dans la semaine suivant la chute du régime de Bachar El Assad, la Turquie avait paru la grande gagnante de l’issue qu’a trouvé un conflit de portée mondiale, au regard notamment du nombre de puissances qui s’en étaient mêlées, ce n’est plus le cas dès à présent, trois semaines seulement après la chute de […]
Si dans la semaine suivant la chute du régime de Bachar El Assad, la Turquie avait paru la grande gagnante de l’issue qu’a trouvé un conflit de portée mondiale, au regard notamment du nombre de puissances qui s’en étaient mêlées, ce n’est plus le cas dès à présent, trois semaines seulement après la chute de Damas. On croyait et sans doute avec de bonnes raisons que les nouveaux maîtres en Syrie devaient à peu près tout à Ankara. Sans son appui multiforme et continu, sans la protection qu’elle leur avait assurée du temps où ils étaient confinés à Idlib, une sorte de camp de réfugiés pour groupes armés contraints à l’exil intérieur, sans l’armement et les conseils qu’elle leur prodiguait, selon toute vraisemblance ils ne seraient pas dans la position enviable qui est la leur aujourd’hui. Cependant, il n’a pas fallu attendre longtemps avant qu’ils ne se mettent à voir en elle davantage un gêneur qu’un facilitateur de leur objectif actuel : la mise en place en Syrie d’un nouvel ordre sur lequel ils auraient la haute main et qui serait reconnu tant dans la région que dans le monde. Moins d’un mois de leur prise du pouvoir, les voilà qui se montrent tout disposés à s’inscrire en faux contre son principal projet en Syrie : l’exclusion des Kurdes syriens de toute construction politique future.
Les nouveaux maîtres de la Syrie ont le choix entre ne pas trahir la Turquie, et dans ce cas se préparer à la guerre contre les forces kurdes, et par suite contre leurs alliés occidentaux, dont au premier chef les Etats-Unis, ou bien la trahir, et en accepter les conséquences, dont un affrontement avec elle, si jamais elle s’avise d’intervenir directement pour déloger les Forces démocratiques syriennes de leurs bastions du nord-est. Pour la Turquie, les groupes kurdes syriens sont un prolongement du PKK, le Parti kurde des Travailleurs, à ses yeux une organisation terroriste. Or les Kurdes syriens jouissent depuis maintenant des années d’une autonomie de fait dont ils veulent faire une autonomie fondée sur le droit dans le cadre de la Syrie nouvelle en gestation. Ils ont déjà dans cette perspective le soutien implicite des Etats-Unis, des puissances européennes présentes militairement en Syrie, et à tout le moins la bienveillance de la Russie. S’il n’y avait que les Kurdes à contenter pour que celle-ci gardes ses bases en Syrie, nul doute qu’elle ne ferait rien pour contrer le projet d’autonomie kurde, si même elle ne le favoriserait pas non moins ouvertement que les occidentaux et Israël. Mais tout dépendra à cet égard du consentement ou du refus du nouveau pouvoir syrien. Si préférant l’alliance avec les Occidentaux plutôt qu’avec la Turquie, malgré sa grosse dette avec elle, ce dernier en vient à accepter l’autonomie kurde, ses relations avec son ancien mentor de fort bonnes ne manqueront pas de devenir fort mauvaises. L’autonomie recherchée par les Kurdes syriens, quand bien même elle ne serait que la deuxième du genre, après celle des Kurdes irakiens, est pour la Turquie la ligne rouge à ne pas franchir. Or moins d’un mois après la chute de l’ancien régime syrien, au renversement duquel elle n’a pas peu contribué, voilà ses proxies d’hier qui en la matière n’attendent que l’occasion de se retourner contre elle. M. H.
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