Sociétés de leasing : El Djazair Idjar sous la loupe de la Cour des comptes
Les banques publiques ont créé des sociétés de leasing, ou ont pris des participations dans ces sociétés, à l’initiative des pouvoirs publiques, pour conforter leur présence sur le marché du crédit, où il existe une demande potentielle ou non satisfaite de financement des investissements des petites et moyennes entreprises (PME) qui, bien souvent, ne disposent […] The post Sociétés de leasing : El Djazair Idjar sous la loupe de la Cour des comptes appeared first on Algerie Eco.
Les banques publiques ont créé des sociétés de leasing, ou ont pris des participations dans ces sociétés, à l’initiative des pouvoirs publiques, pour conforter leur présence sur le marché du crédit, où il existe une demande potentielle ou non satisfaite de financement des investissements des petites et moyennes entreprises (PME) qui, bien souvent, ne disposent pas des garanties nécessaires leur permettant d’accéder au crédit bancaire classique. C’est dans ce cadre qu’a été créée, en 2012, la société de crédit-bail El Djazair Idjar (EDI), un établissement financier dont le crédit-bail est la seule activité.
Sa forme juridique est celle d’une société par actions, régie par les dispositions de l’ordonnance n°96-09 du 10 janvier 1996 relative au crédit-bail et de la loi n°23-09 du 21 juin 2023 portant loi monétaire et bancaire. Son objet social est le crédit-bail, mais elle peut réaliser toutes opérations mobilières et immobilières, commerciales ou financières liées à cet objet social, rappelle la Cour des comptes (CC) dans son rapport annuel 2024.
Elle dispose d’un capital social initial de 3,5 Mrds de DA. Au cours des années 2020 et 2021, la société a procédé à des augmentations de son capital social à un niveau permettant de se conformer aux exigences concernant le capital réglementaire minimum requis. Le capital social est ainsi porté de 3,5 Mrds DA à 6,5 Mrds DA. Le capital est réparti entre la banque de l’agriculture et du développement rural (48,38%), le crédit populaire d’Algérie (48,38%) et le fonds d’investissement «ASICOM2» (3,24%), détaille la même source.
Et d’ajouter que la société considère qu’elle dispose des ressources suffisantes pour financer ses activités sans devoir emprunter sur le marché interbancaire ou le marché financier. La société a établi une présence commerciale à l’échelle régionale, par le biais de quatre bureaux de représentation, installés dans les agences des banques actionnaires. Chaque bureau est géré par un agent commercial. Sa clientèle est constituée principalement de petites et moyennes entreprises et petites et moyennes industries (PME et PMI), des agriculteurs ainsi que des professionnels de santé. En matière de financement ou de crédit-bail, la société n’utilise, à cette fin, qu’un seul produit financier, à savoir le leasing financier mobilier.
Le total du bilan, à la fin de 2022, se chiffre à environ 7 097 millions de DA. À cette date, la société a réalisé, avec un effectif de 42 salariés, un chiffre d’affaires (produit net bancaire) d’environ 236 millions DA (contre 312 millions DA environ en 2020) et a dégagé un résultat d’exploitation situé aux alentours de 88 millions de DA (contre 71 millions de DA environ en 2020). En 2022, le nombre de clients s’est élevé à 149 et les crédits dont ils ont bénéficié ont représenté 2 897 millions de DA, précise encore la Cour, qui note : « Compte tenu du caractère restreint de ses activités, mesurées en termes de produit net bancaire et par le nombre de clients, la société ne génère pas suffisamment de revenus par elle-même et qu’elle dépend des fonds consentis par ses actionnaires. »
Le contrôle effectué par la Cour des comptes (CC) a principalement porté « sur les actions réalisées par la société en matière de financement de biens d’équipement par leasing, au titre de la période 2020-2022, les moyens et les ressources mis en œuvre pour y parvenir, la stratégie déployée pour développer cette activité, ainsi que les résultats obtenus, notamment en ce qui a trait à la composition et à la qualité des encours de crédit et des produits dégagés avec la clientèle », lit-on dans le rapport.
« Ce contrôle vise à évaluer, d’une part, plus d’une décennie après sa création, dans quelle mesure elle remplit sa mission primaire, qui est d’offrir une vaste gamme de produits de leasing au secteur des petites et moyennes entreprises et, d’autre part, à s’assurer de sa capacité de fonctionner en tant que société de financement performante, qui atteint pleinement ses objectifs en utilisant au mieux les ressources dont elle dispose, tout en réalisant des économies d’échelle », explique la Cour des comptes, soulignant que « l’audit a été réalisé principalement sur la base d’entretiens, d’examens de documents sur place et d’analyses des données recueillies ».
La Cour a constaté que « les mesures appropriées n’avaient pas été prises pour la mise en œuvre d’actions concrètes visant à promouvoir les activités de crédit et à élargir la gamme des produits financiers. » « La société conserve un niveau relativement élevé de fonds propres et un excédent de liquidités substantiel, d’où un moindre rendement sur fonds propres. Aussi, elle n’offre qu’un seul produit de crédit, depuis plus d’une décennie, l’étendue de ses activités est particulièrement restreinte, ce qui n’est pas de nature assurer sa viabilité financière à long terme », explique la Cour.
Selon la Cour des comptes, la société El Djazaïr Idjar applique un modèle de gouvernance fondé sur la séparation des fonctions de président du conseil d’administration (CA) et de directeur général, avec une organisation structurée en trois directions centrales (engagement, commerciale, administration-finances) et quatre départements (système d’information, recouvrement, risques, audit) rattachés à la direction générale. Trois comités de gestion sont présidés par le directeur général, mais le CA n’a pas mis en place de comité d’audit pour l’accompagner dans ses missions. Certaines lacunes de gouvernance sont notées : les rapports de contrôle interne requis ne sont pas examinés par le Conseil d’Administration (CA), le système de comptes utilisé n’est pas approuvé, et la documentation comptable réglementaire (plan comptable, procédures, schémas, etc.) reste indisponible à fin 2022, en dépit des exigences en vigueur, relève la CC.
L’encours total des crédits-bails accordés par les banques et les établissements financiers s’élève à 144,3 milliards de dinars en 2021, en régression de 9,1% par rapport à l’année précédente (158,7 milliards de dinars). En fait, cela représente 0,65% du produit intérieur brut (PIB), 1,5% du montant total des prêts octroyés par le secteur bancaire et 2,3% de l’encours total des crédits à moyen et long terme. « Le marché de crédit-bail est encore à un stade relativement embryonnaire et à faible croissance, son potentiel de progression n’en reste pas moins important, si l’on tient compte des besoins d’investissement des entreprises », résume la Cour.
La société El Djazaïr Idjar « détient une part de marché relativement faible due à des facteurs structurels. Sa part dans le marché des crédits-bails distribués par les établissements financiers, s’établit à 4,9% en fin d’exercice 2022, inférieure à ce qu’elle était en 2020 (5%), mais légèrement supérieur par rapport à l’année 2021 (4,7%). Le crédit-bail mobilier des établissements financiers enregistre une production de 37,9 Mrds de DA en 2022, la part de marché revenant à la société demeure faible, ne s’établissant qu’à 7,7% », note la CC.
Les objectifs stratégiques et opérationnels de la société sont détaillés dans plusieurs documents clés, tels que le business plan 2021-2026, le manuel des procédures d’engagement, les plans d’action annuels, les budgets prévisionnels, ainsi que les procès-verbaux du conseil d’administration. Ces objectifs, établis dès la création de la société en 2012, restent en place, et visent initialement à promouvoir le crédit-bail financier pour les petites et moyennes entreprises (PME) dans des secteurs spécifiques, avec une extension prévue vers l’équipement médical et le leasing immobilier.
Le conseil d’administration (CA) a défini plusieurs lignes d’action pour atteindre ses objectifs, notamment la régionalisation de la commercialisation, l’introduction de nouveaux produits comme le leasing islamique en 2020, et l’utilisation des nouveaux médias pour attirer et fidéliser les clients. Le business plan 2021-2026 prévoyait également l’installation de représentants commerciaux au niveau régional et le lancement de nouveaux produits, tels que le leasing opérationnel et le lease-back. Les prévisions financières tablent sur une croissance de l’activité de 10% en 2022/2023 et de 15% pour les années suivantes.
« La société ne s’est pas développée comme prévu, elle est restée, depuis sa création en 2012, dans l’idée de n’exercer qu’une seule et unique activité, le leasing mobilier. Elle accorde des prêts essentiellement financés avec ses »fonds propres » (capital social versé et réserves). La société dispose d’un agrément bancaire pour effectuer des opérations de leasing immobilier depuis 2018. Néanmoins, ce produit n’est pas lancé sur le marché, en dépit de la disponibilité des ressources financières. Grâce à l’augmentation du capital, la société dispose pourtant de nouvelles ressources, pour diversifier ses activités en se tournant vers le crédit-bail immobilier, un domaine qui présente un potentiel significatif de croissance et de rentabilité. Les représentations commerciales installées au niveau régional, en 2017 et 2018, sont au nombre de quatre, aucune nouvelle représentation n’est créée. Une décennie après sa création, force est de constater que la société n’a pas réussi jusqu’à présent à développer ses opérations de leasing et de fournir un financement à plus long terme aux PME », constate la Cour des comptes.
Les plans d’action annuels de la société, approuvés par le conseil d’administration, manquent de précision et de clarté. Ils sont établis à partir de projections basées sur des informations empiriques, mais ne définissent pas de calendrier précis ni les mécanismes nécessaires pour atteindre les objectifs. En pratique, ces plans n’abordent pas la mise en œuvre ou le suivi des stratégies définies dans le business plan et ne sont pas alignés sur les orientations stratégiques de développement. De plus, les résultats commerciaux sont souvent affectés par des problèmes tels que des dossiers rejetés, l’indisponibilité de biens à financer ou des difficultés de trésorerie. Les comparaisons entre les prévisions et les réalisations manquent de rigueur, rendant les analyses peu pertinentes.
Selon le rapport, le niveau de crédit-bail accordé aux entreprises demeure relativement faible. « La société a augmenté de manière substantielle son financement annuel en 2022 par rapport à 2021 pour atteindre 995 millions de DA, ce qui se rapproche du sommet de 1 217 millions de DA enregistré en 2020. Le montant annuel moyen de financements pour la période 2020-2022, est de 879 millions de DA. Au cours de la période considérée, le nombre de contrats financés au cours d’une année a diminué presque de moitié, passant de 53 contrats en 2020 à 28 en 2022, tandis que le nombre de clients bénéficiaires est demeuré relativement stable, soit entre 23 et 27 par an », détaille la même source, et de relever : « Ce niveau très faible d’activité ne permet pas de générer des profits suffisants, de conquérir des parts de marché et de protéger les investissements de l’établissement. »
« Le volume annuel des crédits distribués à moyen terme, en 2022, a atteint 995 millions de DA, soit plus du double du volume de 2021, mais en deçà du niveau de 1 217 millions de DA atteint à la fin de 2020. Le nombre annuel de clients financés sur la période considérée, a nettement baissé pour passer de 27 clients en 2020 à 24 en 2022. La nette amélioration constatée en 2022 s’explique à la fois par un stock de dossiers d’un montant de 321,8 millions de DA approuvé en 2021 et réalisé en 2022, mais également par l’augmentation significative des opérations d’importation« , note le même rapport.
Le portefeuille de crédit-bail de la société est principalement axé sur un seul produit
Le portefeuille de crédit-bail de la société est principalement axé sur un seul produit, le financement de l’achat de biens mobiliers. Entre 2020 et 2022, le montant moyen des crédits alloués a été de 3 milliards de dinars, avec une baisse de 7,7% due à des facteurs conjoncturels tels que l’indisponibilité du matériel roulant, les lenteurs d’importation et l’impact de la pandémie de la Covid-19. « Cette évolution conjoncturelle défavorable n’est pas, toutefois, la seule cause, c’est aussi la conséquence d’un manque de diversification des activités de crédit-bail, qui sont limitées à un seul produit de leasing », explique la CC.
De plus, les conditions financières sont très onéreuses, avec des taux d’intérêt atteignant jusqu’à 14%, ce qui limite la compétitivité de la société, lit-on dans le rapport, qui note « qu’en 2021, plus de 69% des crédits ont été accordés avec des taux supérieurs à 12%, en 2022, le pourcentage des crédits accordés aux mêmes conditions avoisine les 68%, d’où le coût élevé des crédits consentis. » « Cela entraîne une faible capacité compétitive en ce qui concerne l’utilisation des ressources. Pourtant, la société n’est pas exposée au risque de variations des taux d’intérêt puisqu’elle finance ses opérations sur fonds propres sans recourir au marché interbancaire », explique-t-on.
« Au cours de la période 2020-2022, le montant de l’encours de loyers, restant dû par les agriculteurs, a plus que doublé (+ 129,5% en 2022 par rapport à 2020). Pour les autres secteurs, les encours ont relativement stagné ou ayant régressé à des degrés divers. Le tableau, ci-après, illustre cette situation », précise la même source, et d’ajouter : « Le nombre de contrats de location est passé de 319 en 2020 à 301 en 2022, tandis que le nombre de clients est passé de 148 à 141. En raison du faible nombre de clients et du nombre de contrats relativement restreint, il est difficile pour la société d’accroitre ses revenus. »
Le volume de crédits accordés par la société a diminué sur la période 2020-2022, passant de 2,7 milliards de dinars en 2020 à 2,5 milliards de dinars en 2022, soit une baisse globale de 8,03%. Cette réduction s’explique par une baisse de 11,75% en 2021 suivie d’une légère hausse de 4,21% en 2022. L’encours brut total des opérations de crédit-bail mobilier a également reculé de 234 millions de DA (4,19%) durant cette période, en raison de la diminution des financements octroyés.
Les créances classées représentaient 23,01% de l’encours brut en 2022, contre 29,05% en 2020. Le montant de ces créances a diminué, passant de 909,51 millions de DA en 2020 à 666,43 millions de DA en 2022, grâce aux mesures d’assouplissement prises par la Banque d’Algérie pendant la pandémie de Covid-19. Les créances compromises, couvertes intégralement par des provisions, représentaient 67% des créances classées en 2022, contre 77% en 2021. Le ratio de couverture des créances classées par des provisions s’est amélioré, passant de 50,26% en 2020 à 65,72% en 2022. Parallèlement, le portefeuille sain (crédits avec retard de moins de 90 jours) a progressé, atteignant 77% de l’encours brut en 2022.
Le montant total des impayés a diminué en moyenne de 13,43% par an, passant de 874 millions de DA en 2020 à 655 millions de DA en 2021. Le taux de couverture des impayés par des provisions a également progressé, atteignant 66,89% en 2022. Cependant, l’augmentation des provisions (+4,5% en 2022) reflète une montée des risques de crédit. La proportion des impayés dans l’encours brut a légèrement baissé, passant de 27,91% en 2020 à 22,61% en 2022.
Selon la Cour des comptes, l’augmentation du capital social a renforcé la capacité de la société à octroyer des crédits-bails et à développer ses activités, mais ce potentiel reste largement sous-utilisé. La société dispose d’excédents de fonds propres bien supérieurs aux normes réglementaires, atteignant un ratio de solvabilité exceptionnellement élevé de 166,25% en 2022 (norme de 12%). Cependant, ces excédents réduisent le rendement des fonds propres et restent majoritairement placés sous forme de comptes débiteurs et dépôts à terme auprès des actionnaires, représentant 62,3% du bilan en 2022.
En parallèle, les créances de crédits-bails sur la clientèle représentent une faible part du bilan (34,6% en 2022), entraînant des rendements faibles et une contraction du produit net bancaire. Cette situation limite la rentabilité de la société, avec des taux de rentabilité économique et financière avoisinant 1%, compromettant ainsi son développement à moyen terme.
En 2022, le résultat brut d’exploitation de la société a chuté de 42% par rapport à 2020, atteignant 107,56 millions de dinars, principalement en raison de la baisse des produits d’exploitation bancaires. Cette baisse a été partiellement compensée par des reprises de provisions exceptionnelles, représentant des produits exceptionnels issus des mesures d’allègement prises par la Banque d’Algérie et du recouvrement de certaines créances douteuses.
Entre 2020 et 2022, les produits bancaires ont diminué de près de 30%, mais les reprises de provisions ont permis à la société de rester bénéficiaire. En 2021, une hausse significative du résultat a été enregistrée grâce à ces mesures, bien que, sans elles, le résultat net aurait été négatif. Cependant, en 2022, l’augmentation des provisions pour risques clients (+19%) a pesé sur les résultats nets, qui ont diminué de 43% par rapport à l’année précédente.
La majorité des bénéfices réalisés durant cette période a été versée aux actionnaires sous forme de dividendes, avec seulement une petite part destinée à renforcer les fonds propres. Cette dépendance aux reprises de provisions pour maintenir des résultats positifs est insoutenable à moyen terme, surtout face à la montée des risques de crédit et à la fin des mesures temporaires d’allègement, qui nécessiteront une augmentation des provisions pour créances douteuses.
Dans ses recommandations, la Cour des comptes invite l’établissement financier à mettre en œuvre une stratégie de développement, à travers « la diversification de la gamme de produits et services de crédit-bail pour une meilleure rentabilité et une plus grande maîtrise du risque de crédit », et « la mise à profit du réseau commercial des banques actionnaires pour la promotion et la commercialisation des produits et services de la société. »
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