Tel-Aviv à Paris

Par Anouar Macta – La parution de l’essai L’israélisation de la France, de Salokine Tegnargue, agit comme un électrochoc. Ce n’est pas un pamphlet de plus. C’est une mise en lumière rigoureuse et implacable d’un phénomène dont les symptômes sont connus, mais dont peu osent désigner la logique centrale : la France, face à ses doutes, à ses fractures et à ses peurs, s’inspire ouvertement du modèle israélien.

Ce que Tegnargue appelle «israélisation» dépasse le champ diplomatique : il s’agit d’un transfert idéologique global. Sécuritaire dans ses méthodes, ethno-politique dans sa gestion des populations, technocratique dans sa gouvernance, émotionnel dans sa communication. La République glisse lentement vers une version hexagonale de Tel-Aviv. Un modèle d’Etat assiégé, où le consensus national se construit sur la désignation d’un ennemi intérieur permanent, où la sécurité supplante le droit, et où toute contestation devient suspicion.

Le mimétisme est palpable. Dans le langage d’abord : la novlangue sécuritaire colonise les discours publics – on «neutralise», on «préempte», on «territorialise la menace». Dans les pratiques ensuite : le quadrillage algorithmique, la surveillance massive, le fichage préventif s’institutionnalisent. Dans les priorités politiques enfin : la gestion des banlieues s’aligne sur une logique de pacification militaire. Le citoyen arabe ou musulman n’est plus simplement un sujet politique, il est un facteur de risque. Et comme à Jérusalem-Est, l’espace public devient un champ de tension permanente.

Mais plus troublant encore est le silence organisé autour de cette dynamique. Oser la nommer, c’est risquer l’amalgame. A la critique politique, on oppose l’accusation morale. A l’interrogation stratégique, on répond par l’ombre de l’antisémitisme. Le débat est verrouillé. La sacralisation d’Israël dans l’espace public français interdit toute analyse critique de sa transposition. Il ne s’agit pourtant pas ici d’un rejet identitaire, mais d’une mise en garde politique : le modèle israélien n’est pas neutre, ni universel. Il est le produit d’un contexte historique radicalement différent.

Et pourtant, ce modèle est aujourd’hui imité. Sur le plan international, la France abandonne toute autonomie stratégique au Moyen-Orient, récitant mécaniquement les éléments de langage de Tel-Aviv. Sur le plan intérieur, elle sacrifie l’universalisme républicain à une logique de guerre civilisationnelle. La laïcité devient une arme identitaire. L’école un champ de neutralisation des consciences. Les médias un espace de polarisation.

Ce n’est plus Paris qui éclaire Tel-Aviv, c’est Tel-Aviv qui redessine Paris. L’ingénierie israélienne devient le logiciel officieux de la République : zones de sécurité prioritaire, fichage des mineurs, drones policiers, restrictions juridiques, rhétorique de l’assiégement… Toute critique de cette bascule est désormais disqualifiée comme «complicité», comme si la lucidité était un crime et la soumission un devoir.

Mais cette imitation est suicidaire. La France n’est pas une démocratie ethnique née dans la guerre, mais une République universaliste née de la Révolution. Vouloir greffer un modèle fondé sur la séparation permanente, la suspicion ethnique, la militarisation du quotidien revient à trahir ce qui faisait encore hier sa singularité politique et morale.

Refuser Tel-Aviv à Paris n’est pas un débat abstrait. C’est une ligne de fracture concrète, brutale, déjà visible dans les écoles, les commissariats, les prétoires. Elle transforme la République en forteresse paranoïaque. Et cette forteresse ne protège plus, elle exclut, elle oppresse, elle fabrique de la rage.

L’israélisation de la France est en marche. Et elle ne s’arrêtera pas toute seule.

A. M.

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