Le cri des oubliés

Par Anouar Macta – Le massacre du 14 juillet 1953 n’est ni un épisode isolé ni une «bavure». Il est le fruit d’un système cohérent : celui de la colonisation française en Algérie, matrice d’un apartheid. L’article Le cri des oubliés est apparu en premier sur Algérie Patriotique.

Juil 14, 2025 - 09:28
 0
Le cri des oubliés

Par Anouar Macta – Alors que les fanfares s’accordaient sur les Champs-Elysées, que les drapeaux tricolores claquaient au vent et que les dignitaires de la République goûtaient au cérémonial de leur propre mythe, des Algériens tombaient sous les coups de matraques et les balles de la police française à quelques rues de là. C’était le 14 juillet 1953. Et ce jour de «fête nationale» s’est mué en tragédie coloniale.

Six Algériens furent tués ce jour-là, des dizaines blessés, plusieurs arrêtés et torturés. Leur crime ? Avoir marché pour l’indépendance, pour l’égalité, pour une Algérie libérée du joug colonial. Ils défilaient aux côtés d’autres organisations ouvrières dans un cortège autorisé. Mais leur présence, leur parole, leur simple visibilité furent jugées insupportables par l’Etat français. La violence fut brutale, expéditive, décomplexée.

Ce massacre n’est ni un épisode isolé ni une «bavure». Il est le fruit d’un système cohérent : celui de la colonisation française en Algérie, matrice d’un apartheid non déclaré, d’une violence institutionnalisée, d’une entreprise systématique de négation de l’humanité de l’autre. Depuis 1830, la France avait conquis, puis ravagé cette terre, y exportant une brutalité d’Etat maquillée sous les atours d’une mission civilisatrice. Cette fiction a fait long feu. L’Algérie coloniale, c’était la dépossession généralisée, les villages rasés, les famines organisées, les enfumades, les camps, les viols utilisés comme arme de guerre, la torture érigée en doctrine d’Etat

Le 14 juillet 1953, cette violence est revenue au centre de Paris. Non plus dans les Aurès, ni dans les campagnes de Kabylie, mais au cœur même de la capitale. C’est là que la bête coloniale a montré ses crocs : non plus cachée, mais à visage découvert. Cette bête, c’est celle qui refuse l’émancipation, qui écrase les opprimés, qui tire sur ceux qui marchent pour exister. Elle a tué en silence. Puis, comme toujours, elle a effacé. Aucun monument. Aucune reconnaissance officielle. Juste des flonflons pour les uns, la matraque pour les autres.

Et pourtant, le peuple algérien, même frappé, n’a pas courbé l’échine. Il s’est levé. Il a résisté, d’abord dans les rues de Paris, puis dans les maquis de la Révolution. Il a affronté la nuit coloniale avec une lucidité inébranlable et une détermination sans faille. Car cette lutte n’était pas seulement politique, elle était ontologique. Elle posait une question simple, mais explosive : un Algérien ne vaut-il pas un Français ?

Soixante-douze ans plus tard, cette question n’a toujours pas trouvé de réponse claire dans la bouche des institutions françaises. La mémoire est bancale, le récit national parcellaire et les mots –torture, racisme d’Etat, crime colonial – encore tabous dans la bouche de trop de responsables politiques français. L’histoire est écrite à l’encre sympathique, là où elle devrait être gravée dans la pierre.

Ce 14 juillet 2025, alors que la France célèbrera une fois de plus sa propre légende, il convient de rappeler que cette légende s’est construite au prix du sang, du silence et du mensonge. Les Algériens tués à Paris en 1953 ne demandaient pas l’aumône, ils exigeaient la liberté. Et la France les a tués.

Le flonflon ne doit plus couvrir le bruit des bottes. La fanfare ne doit plus masquer le cri des oubliés. Car sans reconnaissance du passé, il n’y a ni justice ni paix durable. Et, surtout, aucune République ne mérite d’être célébrée si elle ne sait pas se confronter à ses crimes.

A. M.

L’article Le cri des oubliés est apparu en premier sur Algérie Patriotique.