Des banques privent arbitrairement les « visas étudiants » du droit au change

Bien que l’instruction de la Banque d’Algérie soit explicite et ne prévoie aucune distinction selon le motif du voyage, plusieurs banques ont choisi d’écarter systématiquement les étudiants du droit au change. Résultat : ces jeunes étudiants non boursiers, souvent issus de milieux modestes, se voient refuser l’accès à ce précieux — et parfois ultime — […]

Août 7, 2025 - 10:13
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Des banques privent arbitrairement les « visas étudiants » du droit au change

Bien que l’instruction de la Banque d’Algérie soit explicite et ne prévoie aucune distinction selon le motif du voyage, plusieurs banques ont choisi d’écarter systématiquement les étudiants du droit au change. Résultat : ces jeunes étudiants non boursiers, souvent issus de milieux modestes, se voient refuser l’accès à ce précieux — et parfois ultime — pécule au moment de quitter le pays pour poursuivre leurs études à l’étranger.

Des jeunes Algériens résidents se sont vu refuser, ces derniers jours, par certaines banques, le droit au change pour voyage à l’étranger, au motif qu’ils disposent d’un visa étudiant. Nous avons pu le constater en accompagnant plusieurs étudiants dans des agences bancaires à Alger, en début de semaine.

Dans trois établissements différents, les employés ont confirmé qu’ils appliquaient des instructions orales transmises par leur hiérarchie, leur intimant de rejeter toute demande émanant d’un étudiant partant poursuivre ses études à l’étranger, même lorsque le dossier est complet et conforme à l’Instruction n°05-2025 du 17 juillet 2025 émise par la Banque d’Algérie.

Priés de produire un document officiel justifiant ce traitement, nos interlocuteurs reconnaissent qu’aucune note écrite n’existe, évoquant des «consignes verbales» motivées, selon eux, par une volonté supposée de limiter les bénéficiaires du dispositif.

Une vérification rapide sur les sites internet des banques participantes, ainsi que sur le site officiel de la Banque d’Algérie et son compte X, n’a permis de trouver aucune trace d’une mesure excluant les étudiants du droit au change.

Sollicitée par Fil d’Algérie, une source autorisée auprès de la Banque d’Algérie a rappelé que l’instruction du 17 juillet détaille clairement les critères permettant à un résident algérien de bénéficier du droit au change pour voyage à l’étranger. Elle a insisté sur le fait que ce droit s’applique «sans distinction de catégorie», tant que les conditions fixées par l’instruction sont réunies.

Notre source souligne que ces conditions sont : un visa valide, un billet aller-retour, et une durée de séjour égale ou supérieure à sept jours. À la lumière de ces critères, un étudiant encore résident en Algérie, muni d’un visa – y compris un visa étudiant – et d’un billet répondant aux exigences fixées, relève bien du champ d’application du droit au change.

Dès lors, comment expliquer la généralisation du refus dans plusieurs agences bancaires ? Un début de réponse nous a été fourni par un cadre d’une grande banque publique, lors d’un échange informel.

Selon lui, plusieurs étudiants en partance pour l’étranger ont tenté d’utiliser le droit au change dès le 20 juillet, alors que leur départ réel est prévu pour aout ou septembre, en présentant des billets d’avion avec des retours programmés pour 2026 ou avec retour open.

Face à ce qui a été considéré comme une situation ambiguë, et en l’absence d’une durée maximale de séjour explicitement fixée par l’instruction, plusieurs directions régionales ont préféré durcir l’interprétation, et ont décidé que tout demandeur muni d’un visa étudiant devait être écarté du dispositif, supposant qu’il ne reviendra pas.

Une telle interprétation, fondée sur des hypothèses et non sur un texte, a donc ouvert la voie à une pratique discriminatoire. Et la situation a de lourdes conséquences pour les milliers d’étudiants, non boursiers concernés, dont la majorité est issue de milieux modestes.

Autre témoignage, celui de Hanine, une jeune étudiante de 25 ans, qui a enfin obtenu un visa D — catégorie étudiant — du consulat de France à Alger, après six années d’efforts et de refus : «j’ai tenté toutes les options : le Canada, Malte, l’Espagne, les États-Unis, et trois fois la France. Cette fois-ci, ça a marché. Mais sans ce droit au change, je suis coincée. Cet argent m’aurait permis de payer les frais d’inscription et de survivre deux ou trois mois, le temps de trouver un petit boulot. Mes parents ne peuvent pas m’aider, la retraite de mon père est trop modeste. Pourquoi nous compliquer les choses et nous pousser vers le Square ?»

Un autre futur étudiant, appelons-le Yanis, admis en première année de médecine à Amiens (France), raconte son parcours semé de refus.

«J’ai essuyé trois refus. La première fois, j’avais pris un billet aller simple, pensant faire des économies. Refus direct. La deuxième fois, j’ai changé le billet avec un aller-retour, mais avec un retour open. Encore refus. Troisième tentative, j’ai mis la date de retour maximale disponible sur le site d’Air Algérie, en février 2026, un peu naïvement… toujours non. J’étais à bout, mais je n’ai pas baissé les bras.

Un sympathique employé d’une autre banque, chez qui j’ai un livret d’épargne ouvert par mes parents à ma naissance, m’a discrètement conseillé de mettre un retour fin septembre 2025. J’ai suivi son conseil, modifié mon billet, et là… bingo, ça a marché.»

Ces écarts d’interprétation, relevés dans plusieurs agences bancaires, suggèrent qu’un ajustement pourrait être nécessaire dans l’application du dispositif dont la clarification pourrait aider à une mise en œuvre plus harmonisée de l’instruction.

Cela permettrait de réaffirmer l’esprit du texte : garantir aux Algériens résidents, sans distinction de catégorie ou de motif de voyage, l’exercice effectif de leur droit au change, conformément aux instructions des plus hautes autorités du pays.
Par Larbi Ghazala