Lenteur, bureaucratie et désespoir citoyen : Les lacunes de la Conservation foncière mises à nu à Sétif

Clair, net et précis, le constat accablant de la commission économique et financière de l’Assemblée Populaire de Wilaya (APW) met en lumière les lacunes du fonctionnement des structures de la Conservation foncière dans plusieurs localités de la wilaya. Présenté lors de la dernière session ordinaire du 22 décembre 2024, le rapport dévoile à la fois les carences d’une administration dépassée et les souffrances des citoyens, souvent contraints d’attendre des mois pour obtenir un simple document, comme un extrait d’acte de propriété ou un livret foncier. Si la numérisation des documents administratifs progresse, les services rendus au public restent, eux, largement défaillants. Les témoignages d’administrés « ballotés » d’un bureau à l’autre confirment le diagnostic. « La majorité des conservateurs fonciers de la wilaya n’étudient pas les dossiers liés au cadastre agricole. L’accueil et les prestations sont médiocres, notamment dans les conservations d’El Eulma et de Sétif-Nord. À El Eulma, le registre des doléances est inexistant et la délivrance de documents comme le certificat négatif est suspendue depuis des mois », rapporte la commission. Par ailleurs, l’étude et la délivrance des plans topographiques traînent en longueur. Les conditions de travail à El Eulma, où l’espace exigu et le manque d’équipement sont flagrants, ne permettent pas un service optimal. Face à cette situation, la commission recommande la création d’une deuxième conservation foncière dans cette ville pour répondre à la croissance urbaine et démographique, ainsi que l’ouverture d’une structure similaire à Aïn Azel. Cette dernière pourrait non seulement réduire la pression sur celle d’Aïn Oulmène, mais également rapprocher l’administration des citoyens. Ce rapport a permis au journal L’Est Républicain d’enquêter auprès des deux parties concernées, dont les avis s’avèrent diamétralement opposés.

Promoteurs et administration : le dialogue de sourds

Des citoyens dénoncent une bureaucratie archaïque et des prestations indignes d’une époque pourtant marquée par la modernisation. « Obtenir un acte de propriété ou un livret foncier est un véritable parcours du combattant, parfois interminable », s’indignent plusieurs administrés rencontrés à la Conservation foncière de Sétif, où ils s’entassent dès l’aube devant un bâtiment peu accueillant. Malgré les efforts affichés par les pouvoirs publics pour moderniser l’administration, les pratiques anciennes persistent. « Les ruptures de stock de documents ou l’absence de l’agent chargé d’un dossier sont des excuses récurrentes, mais elles ne tiennent plus la route. L’accueil, comme vous le constatez, est une autre affaire. Dire qu’on ne vient pas demander l’aumône à des agents n’ayant aucun sens du service public », confient, non sans une certaine amertume, nos interlocuteurs venus pour certains d’entre eux de localités lointaines. Les promoteurs immobiliers, eux, ne sont pas en reste. « Lorsqu’un acquéreur a payé son logement rubis sur l’ongle, il est en droit d’obtenir son acte de propriété et son livret foncier sans délai. Il ne veut savoir ou connaître nos difficultés à obtenir le moindre papier. Nos clients n’ont pas tort. Ils ne peuvent attendre des années pour devenir propriétaires effectifs d’un bien acquis depuis des années. Une transaction qui n’est pas sanctionnée par un document risque de connaître des problèmes sérieux. Nous vous parlons en connaissance de cause. Une telle faille a donné des « idées » à certains promoteurs qui avaient exigé de leurs clients un « complément » financier important contre une régularisation administrative.

Une charge de travail « démentielle »

Pour se dédouaner, les responsables de la Conservation foncière et Domaines avancent comme alibis le manque de moyens humains et le déficit en équipements, ne leur permettant pas de faire face à une charge de travail démentielle », expliquent-ils. Or, ces documents, indispensables à la finalisation des transactions restent souvent bloqués dans les tiroirs des Conservations foncières, faute de moyens humains et matériels pour gérer une charge de travail de plus en plus importante. Sous couvert d’anonymat, certains cadres de la conservation foncière de Sétif admettent leurs limites : « Un acte de propriété, pour ne parler que de ce document, n’est pas un simple extrait de naissance. La délivrance d’un tel document n’est pas une chose facile. L’opération nécessite un travail rigoureux. Nous ne  pouvons répondre aux attentes des citoyens d’une wilaya de plus de 2,8 millions d’habitants avec un personnel réduit, des équipements et des structures en déphasage avec la forte demande. Nous travaillons dans des conditions difficiles. Nous faisons de notre mieux, mais nous n’avons pas droit à l’erreur, ce qui ralentit le processus », diront des  fonctionnaires, visiblement démunis et qui peinent à cacher leur découragement face à une demande croissante et des moyens en inadéquation totale.

Kamel Beniaiche

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