Commentaire: Glissement

S’il reste encore plus de deux ans et demi à l’opposition turque pour se préparer à la prochaine élection présidentielle, elle devra d’abord «survivre» au pouvoir d’Ankara qui continue sa chasse aux sorcières en utilisant la justice pour emprisonner et bâillonner ceux qui s’élèvent contre l’exécutif. Un procureur d’Istanbul a ainsi ordonné, hier, l’arrestation de […]

Sep 13, 2025 - 20:49
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Commentaire: Glissement

S’il reste encore plus de deux ans et demi à l’opposition turque pour se préparer à la prochaine élection présidentielle, elle devra d’abord «survivre» au pouvoir d’Ankara qui continue sa chasse aux sorcières en utilisant la justice pour emprisonner et bâillonner ceux qui s’élèvent contre l’exécutif. Un procureur d’Istanbul a ainsi ordonné, hier, l’arrestation de 48 membres de la municipalité de Bayrampasa, un district d’Istanbul, dirigée par l’opposition, notamment le maire pour «corruption», a rapporté, hier, l’agence étatique Anadolu. Le maire, Hasan Mutlu, élu du principal parti de l’opposition turque CHP (Parti républicain du peuple, social-démocrate) et son adjoint, Lutfi Kadiogullari, ont été interpellés hier matin pour «extorsion, corruption, fraude aggravée et truquage d’appels d’offres», tandis qu’une perquisition a été menée à la municipalité, selon la chaîne privée d’information NTV. «Les habitants de Bayrampasa ont élu Hasan Mutlu. Mais ils ne l’ont pas supporté. Ils ne respectent ni les résultats des élections ni les urnes ni la volonté du peuple», a réagi sur son compte X le chef du CHP à Istanbul, Ozgur Celik, qui a été lui-même révoqué le 2 septembre par un tribunal turc pour des irrégularités présumées au cours du congrès où il a été élu en 2023. Le CHP subit une pression judiciaire croissante via un grand nombre d’enquêtes et d’interpellations visant ses élus, accusés de corruption, comme au sein de la municipalité d’Istanbul, la plus importante ville de Turquie, dont le maire, Ekrem Imamoglu, est emprisonné depuis mars. Toutefois, une décision de justice inattendue et même inespérée pour le CHP a été rendue ce vendredi par un tribunal d’Ankara qui a décidé d’annuler la dissolution à l’encontre de la section locale du parti à Istanbul. Une décision saluée par le CHP. Pour le parti d’opposition, la décision du tribunal d’Ankara, ce 12 septembre, est une victoire et doit permettre à la direction régionale du parti d’être rétablie dans ses fonctions. La section d’Istanbul avait été dissoute sur une première décision de justice qui avait entraîné des affrontements en début de semaine entre les militants du parti et les forces de l’ordre. L’annulation par la justice de cette dissolution est inattendue mais, comme le rappelle l’universitaire Jean Marcou, spécialiste de la Turquie, il peut y avoir encore une incertitude sur les décisions de justice dans ce pays : «La justice dans ce pays est le champ en fait d’affrontements de courants politiques et finalement un champ de clivage, notamment entre le gouvernement et l’opposition». «Mais effectivement, dit-il, ces dernières années, quand même, il y a eu progressivement une prise de contrôle par l’AKP des différentes instances judiciaires, à commencer par les plus élevés, même si dans le reste il peut y avoir effectivement des tribunaux qui peuvent rester contestataires». Reste à voir quelle seront les suites judiciaires de cette décision. Demain, le CHP sera confronté à une audience cruciale puisque c’est la direction nationale du parti qui pourrait être dissoute. Le parti d’opposition à Recep Tayyip Erdogan, qui dénonce une tentative de coup d’État judiciaire, a déjà prévu une riposte politique à une éventuelle dissolution, avec la convocation d’un nouveau congrès le 21 septembre 2025, congrès à l’issue duquel Ozgur Ozel, l’actuel dirigeant du CHP, serait reconduit dans ses fonctions. Reste à voir, néanmoins, si le climat actuel permettra à l’opposition de combattre sereinement et pacifiquement le pouvoir en place, ou si les dépassements anti-démocratiques, qui sont de plus en plus fréquents et importants du côté du pouvoir, empêcheront les adversaires politiques d’Erdogan de résister face à sa mainmise sur l’ensemble des institutions turques. Reste aussi à voir si le peuple turc, dont une partie est descendu dans les rues au moment de l’arrestation du maire d’Istanbul, se montrera enclin à protester massivement pour dénoncer la dictature dans laquelle leur pays glisse depuis plusieurs années déjà et dont le point de non-retour est dangereusement proche.
F. M.