De la ville vitrine à la dérive urbaine Les habitants entre colère et résignation à Sétif
Il fut un temps pas si lointain où Sétif se distinguait comme l’une des villes les plus propres du pays. Une cité coquette, entretenue avec rigueur, qui suscitait l’admiration des visiteurs et la fierté de ses habitants. Aujourd’hui, ce titre flatteur appartient au passé. Pire encore, l’ancienne « ville vitrine » sombre inexorablement dans la saleté et […] The post De la ville vitrine à la dérive urbaine Les habitants entre colère et résignation à Sétif first appeared on L'Est Républicain.

Il fut un temps pas si lointain où Sétif se distinguait comme l’une des villes les plus propres du pays. Une cité coquette, entretenue avec rigueur, qui suscitait l’admiration des visiteurs et la fierté de ses habitants. Aujourd’hui, ce titre flatteur appartient au passé. Pire encore, l’ancienne « ville vitrine » sombre inexorablement dans la saleté et la dégradation. Cette chute vertigineuse n’est pas le fruit du hasard ni une fatalité imposée par le destin. Elle est le résultat d’une gestion calamiteuse du secteur de la propreté, amplifiée par une guerre froide entre la municipalité et l’Établissement public de gestion des centres d’enfouissement technique de Sétif (Ecoset), chargée jusqu’à récemment du ramassage des ordures. Une querelle administrative qui, au grand dam du citoyen, a transformé le cadre de vie en cauchemar quotidien. Depuis janvier 2025, date de l’expiration du contrat liant les deux parties, les responsables avaient tout le loisir de trouver un compromis ou de préparer une transition. Rien de tout cela n’a été fait. Les décisions ont été repoussées, comme si le temps jouait en faveur de la ville. En réalité, chaque jour de retard ajoutait son lot de préjudices à une agglomération croulant littéralement sous des tonnes de détritus. Le 5 août, alors que chaque coin et recoin ployait sous les déchets ménagers, la municipalité – qui avait déserté ce domaine depuis de longues années – décide soudain de reprendre la main. Mais cet « énigmatique passage de témoin » s’est opéré dans la confusion et l’impréparation, aggravant encore la situation. Perdant un marché important et réclamant toujours une facture impayée de plus de 12 milliards, Ecoset, entreprise de wilaya, s’est vue contrainte de licencier 300 travailleurs. Des pères de famille qui, du jour au lendemain, ont basculé dans le chômage. Une tragédie sociale occultée par les principaux responsables de l’imbroglio, lesquels n’ont pas pris en compte cet important aspect de la rupture du contrat. N’ayant jamais fait de la maxime « Gouverner, c’est prévoir » une ligne de conduite, les responsables communaux se sont emmêlés les pinceaux, révélant un manque criant d’anticipation. Plutôt que de reconnaître leurs erreurs, les locataires de l’hôtel de ville ont préféré s’abriter derrière un discours à sens unique. Par la voix du président de l’Assemblée Populaire Communale (APC) et fidèle aux réflexes poussiéreux du parti unique, le message officiel est passé par un seul média, évitant soigneusement toute conférence de presse où des questions embarrassantes auraient pu être posées. Et comme souvent, l’argument commode a été de pointer du doigt le citoyen. Certes, la population n’est pas exempte de reproches et certaines incivilités aggravent la crise. Mais faire du comportement des habitants la cause principale de la débâcle revient à nier la responsabilité première de la municipalité pour laquelle le bien-être de ses « administrés » est le cadet de ses soucis.
« Droit dans le mur »
« Le conflit entre la commune de Sétif et Ecoset ne date pas d’hier. Ce bras de fer, alimenté par une incompatibilité d’humeur entre certaines personnes, n’aurait jamais dû porter préjudice aux intérêts de la collectivité, qui demeure, de loin, la plus grande perdante dans cette affaire. Les faits sont pourtant clairs : il sera extrêmement difficile, voire impossible pour la commune, avec une flotte vieillissante et des engins d’un autre âge, de remplacer efficacement Ecoset, qui assurait quotidiennement le ramassage de 160 tonnes d’ordures ménagères. L’entreprise disposait de 12 camions de gros tonnage, dont certains pouvaient transporter jusqu’à 32 tonnes. Pour mesurer l’ampleur de la tâche, rappelons qu’au premier jour du dernier Aïd al-Adha, Ecoset a collecté pas moins de 660 tonnes de déchets répartis sur dix secteurs. Elle employait également 300 agents uniquement dédiés au balayage, et malgré cet effectif conséquent, elle peinait parfois à honorer ses engagements tant la demande était élevée. Dans ce contexte, il est difficile d’imaginer comment le président d’APC – qui siège pourtant au conseil d’administration de l’entreprise – pourrait redonner à la ville son éclat passé avec quelques véhicules vétustes. La propreté d’une agglomération comme Sétif ne peut pas reposer sur une poignée de tracteurs et de camions de faible capacité, ne dépassant pas cinq à six tonnes de charge utile. Les décisions irréfléchies, prises dans la précipitation et sans véritable planification, nous conduisent tout droit dans le mur », déplorent, non sans amertume, des membres de l’APC. Et de marteler : « Au moment où de nombreuses villes entrent de plain-pied dans la modernité, Sétif fait marche arrière. Décidément, on n’en finit plus avec la démagogie du parti unique ». Mais la propreté n’est pas la seule plaie de l’antique Sitifis. Le réseau routier, en particulier au centre-ville, est dans un état lamentable. Nids-de-poule, trottoirs dégradés, signalisation effacée… chaque déplacement devient un parcours d’obstacles. Quant au patrimoine, il est abandonné à son triste sort. Le cinéma Variété et le théâtre municipal, véritable joyau architectural, n’ont toujours pas été rénovés. Le marché couvert, ravagé par un incendie en août 2022, attend depuis trois longues années une reconstruction qui se fait désirer. L’évitement sud est toujours dans le noir. Le Collège d’Enseignement Moyen (CEM) Mohamed Khemisti, pourtant intégré dans les biens de la commune, attend lui aussi une hypothétique réhabilitation, sans la moindre avancée concrète. Et que dire de l’entrée nord de la ville, balafrée par l’interminable chantier du rond-point Cheikh Laifa ? Ce décor figé depuis des mois symbolise à lui seul l’échec d’une APC incapable de tenir ses engagements et de répondre aux attentes des habitants. Aujourd’hui, Sétif ne se bat pas seulement contre les déchets. Elle affronte l’inertie, la gestion administrative et la démission collective de ceux qui en ont la charge. Jadis modèle, Sétif est devenue un contre-exemple. Les habitants, eux, oscillent entre colère et résignation, craignant que leur ville, faute de sursaut, ne sombre définitivement dans l’abandon.
Kamel Beniaiche
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