Hanane Abdelli Tancrède : « La cuisine algérienne, c’est la générosité, la convivialité et le partage ».

Ingénieure en mathématiques et statistiques appliquées à l’assurance et à la finance, Hanane Abdelli Tancrède s’est lancée en 2020 dans l’aventure de la restauration en créant Mama Nissa, un lieu de vie qui rend hommage au savoir faire culinaire de sa maman. A 43 ans, la franco-algérienne est fière de valoriser le patrimoine gastronomique de […] L’article Hanane Abdelli Tancrède : « La cuisine algérienne, c’est la générosité, la convivialité et le partage ». est apparu en premier sur Dzair World.

Jan 5, 2025 - 11:12
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©crédit photo/Mama Nissa

Ingénieure en mathématiques et statistiques appliquées à l’assurance et à la finance, Hanane Abdelli Tancrède s’est lancée en 2020 dans l’aventure de la restauration en créant Mama Nissa, un lieu de vie qui rend hommage au savoir faire culinaire de sa maman. A 43 ans, la franco-algérienne est fière de valoriser le patrimoine gastronomique de l’Algérie et de le faire découvrir à ses hôtes. Entretien avec une passeuse de plats.

Comment a germé l’idée d’ouvrir votre restaurant Mama Nissa ?

Depuis ma sortie de l’ESSEC, j’ai toujours voulu monter ma boite. Je ne savais pas dans quoi. Je me suis mise à réfléchir à une idée de génie qui n’est jamais venue. J’ai continué à travailler en me disant qu’un jour j’aurais peut être l’idée. En 2018, la quarantaine approchant, je me posais des questions sur le sens de mon boulot. Un jour on était chez mes parents. Mes enfants ne connaissent pas encore l’Algérie mais leur lien avec ce pays, c’est la cuisine de mamie. Ma grande réclame toujours la rechta, le petit la chorba. Après un repas, ma mère m’a dit que ce serait dommage que je n’apprenne pas à faire ces plats pour mes enfants car cela allait se perdre. Elle m’a alors donné le livre Les cuisines algériennes de Fatima-Zohra Bouayed, qu’elle avait reçu en 1978 pour son mariage. Elle m’a dit de commencer et qu’elle me montrerait par la suite. Je prends donc le livre sans conviction. Le soir en le feuilletant, je constate un grand nombre de plats que je mange depuis que je suis petite mais qui sont méconnus en France. Je me suis dit qu’il y avait quand même quelque chose à faire.La petite graine avait été semée dans ma tête. C’est à partir de là qu’a germé l’idée de faire découvrir la cuisine algérienne en France. J’ai fait alors une étude de marché. J’ai remarqué qu’il n’y avait pas beaucoup de restaurants algériens en Ile de France. Ils étaient surtout dans les quartiers populaires de Barbès ou de Belleville mais pas dans le centre de Paris. Ne connaissant rien à ce métier, j’ai décidé, pour une question de légitimité, de me former. Il se trouve que je n’habite pas loin de l’école Ferrandi. Par chance, j’ai découvert qu’ils avaient un incubateur pour les personnes qui veulent faire une conversion professionnelle. J’ai été présenter mon idée. Ils l’ont accueillie avec beaucoup d’enthousiasme en disant que la cuisine algérienne n’était pas connue. 

En quoi cette formation vous a été bénéfique ?

J’ai rejoint l’incubateur pendant plusieurs mois en découvrant toutes les étapes de la restauration : le nom des ustensiles, les techniques de cuisson… J’ai aussi travaillé le concept, la carte avec un Chef, les couleurs, la déco.A la fin de la formation, ils ont fait un concours de présentation des projets devant un jury de banquier, d’assureur, de consultant…J’ai remporté le premier prix. Je suis entrée chez Ferrandi avec une idée vague et j’en suis ressortie avec l’idée du restaurant Mama Nissa qui est un hommage à ma maman.

A quel moment le nom Mama Nissa s’est imposé à vous ?

C’était à l’école. Il y avait différents modules dont celui pour la création du nom, le concept, le logo…Je cherchais au début un nom et je remarquais qu’il y avait beaucoup de restaurants algériens qui ne s’affichaient pas ainsi. C’était Le Touareg, l’Oasis, le Sahara, le Méditerranéen…Mon parti pris était de me dire qu’il y aura « cuisine algérienne » sur la devanture. Le nom s’est imposé car quand on était petits on appelait ma mère « Mama ». J’ai donc décidé que ce serait Mama Nissa en hommage à Anissa qui est son prénom.

Est-ce facile de travailler avec sa maman ?

Oui et non. C’est un grand bonheur. C’est un pilier mais c’est la personne la moins facile à gérer. C’est une maman algérienne qui n’en fait qu’à sa tête. Elle sait ce qu’elle fait et ce qu’elle veut mais elle a une équipe de professionnels qu’elle appelle : « mes enfants ». Elle les forme et leur transmet tout ce qu’elle sait faire. J’ai l’impression que tout le monde est heureux quand ma mère vient. 

Elle n’est pas là au quotidien

Elle vient plusieurs fois par semaine.Il y a un certain nombre de plats que l’on sait faire mais dès qu’il y a des spécialités traditionnelles, telles que la Rechta, la Chakhchoukha, la Trida, qui demandent ce tour de main, elle tient à le faire. 

De quelle manière s’organise la répartition des tâches ? 

Je gère le restaurant au quotidien en m’occupant aussi de l’équipe, de la carte, de l’accueil des clients, de la logistique, du marketing, de la communication. Je donne parfois un coup de main en cuisine quand c’est le rush. Quand ma mère est là, je l’assiste aussi. On fait aussi traiteur qui est notre deuxième activité.

Votre maman a aussi décidé de se former au sein de la prestigieuse école Ferrandi. Pour quelles raisons ?

Quand je lui ai dit que j’allais ouvrir un restaurant, elle a voulu m’aider car c’était une création d’entreprise, et que c’était l’Algérie. Elle m’a en revanche dit qu’elle ne connaissait pas les techniques de restauration. Si je mettais maman avec des professionnels, cela risquait en effet d’être compliqué. Chez Ferrandi, j’ai pu mesurer qu’il fallait avoir une technicité et une expertise pour passer de la cuisine familiale à la professionnelle. Je lui donc offert une formation pour qu’elle passe d’une passion à une expertise. Aujourd’hui, elle et le Chef se comprennent.

Vous avez élaboré votre carte avec votre parrain chez Ferrandi, le chef étoilé Eric Trochon. Quel a été son apport ? 

Une prise de conscience de la richesse du répertoire culinaire et l’importance à accorder aux épices et à l’assaisonnement. J’ai compris qu’on était sur une cuisine qui était parfois simple mais basée sur la qualité des matières premières. Il m’a appris à valoriser des produits de qualité, à aller sourcer des choses très pointues. Par exemple, on ne travaille que le gigot d’agneau de lait de l’Aveyron. Je cherche toujours des ingrédients et des épices de choix qui subliment le plat le plus simple. Il m’a aussi enseigné la manière de constituer une carte avec ou sans féculent, avec un produit laitier, un fruit. Il fallait équilibrer tout cela. 

©crédit photo/Mama Nissa

Racontez nous vos débuts compliqués dans le monde de la restauration. 

J’ai malheureusement ouvert le restaurant entre les deux confinements. Quand on a lancé les travaux, il y a eu la crise sanitaire avec fermeture administrative. On a dû attendre le déconfinement et le retour de l’entreprise de bâtiment pour finir ce qui avait été entrepris. L’ouverture a eu lieu en septembre 2020 alors qu’elle était prévue début 2020. Entre temps, mon bailleur voulait ses loyers. Je n’ai pas eu d’aides de l’Etat car je n’avais pas de bilan. On a également ouvert sans pouvoir accueillir de public en raison du couvre feu. On n’a fait que de la vente à emporter et de la livraison. Cela a été familial et artisanal au départ, mais très dur. J’ai pensé qu’on ne tiendrait jamais. On a attendu une année pour travailler dans des conditions à peu près normales.

Comment définiriez vous l’esprit Mama Nissa ? 

Je parlerai de notre logo qui représente bien notre esprit. Je voulais qu’il forme une feuille car je me suis rendue compte que la cuisine maghrébine et algérienne souffraient de clichés. On la disait pas saine, grasse, trop sucrée et provoquant du diabète et du cholestérol. Or, ce n’est pas vrai. C’est un régime méditerranéen quand on la cuisine dans les règles de l’art. Mama Nissa veut montrer que c’est sain d’où l’idée de feuille. Quand on la regarde, les traits à l’intérieur sont flous car c’est la tradition. On part des plats traditionnels. La feuille a une forme hexagonale comme la France. On est dans un contexte français avec des produits, un sourcing local et bio  – quand on peut -, et une adaptation aux habitudes alimentaires du pays. La viande par exemple, c’est 200 grammes par personne. Cela doit répondre aux standards nationaux de consommation. Au niveau du dressage, on essaie de valoriser cette cuisine familiale qui n’est pas forcément « instagramable». On montre que c’est bon, beau, coloré, frais, aromatisé. L’esprit Mama Nissa, c’est de la modernité dans la forme et de la tradition dans le fond. Quand on rentre dans le restaurant et qu’on fait attention à certains détails, on voit discrètement l’Algérie. L’élégance à l’algérienne, ce sont ces touches là. 

En quoi votre Mama Nissa se distingue-t-il des autres restaurants algériens de Paris ou d’Ile de France ?

Je crois qu’il y a des spécialités telles que la Trida, le Tlitli ou le Zviti qu’on ne trouve pas dans d’autres restaurants. On est dans des cuisines régionales très pointues. On a aussi la Doubara de Biskra. C’est un plat de pauvre à base de fèves et de pois chiches qui est tellement savoureux et parfumé. C’est végétarien et cela plait à notre clientèle végane. 

Justement, quelle est votre clientèle ?

Elle est très diverse. On a ceux qui habitent dans le quartier de Montorgueil, ceux qui y travaillent et pour lesquels c’est leur cantine. On a des clients nostalgiques, algériens ou pas, qui veulent retrouver certains gouts de leur enfance ou qui aiment faire découvrir notre cuisine à des amis ou collègues. C’est beaucoup d’émotions car cela renvoie à des moments de vie, à des personnes. 

Depuis le début de cette aventure, qu’est ce que l’ouverture de votre restaurant vous offre au quotidien ?

Des rencontres extraordinaires. Des émotions. Du sens. Le fait de se sentir à la bonne place et de servir à quelque chose quand on fait découvrir ou se remémorer des moments précieux. Il y a aussi la diaspora algérienne qui est hyper fière et qui nous remercie de faire parler de l’Algérie en des termes positifs. C’est une reconnaissance qui m’est très précieuse. 

La réputation de Mama Nissa s’est faite en grande partie sur les réseaux sociaux.Vous semblez avoir vite compris qu’il fallait investir ce terrain pour être visible. C’était donc important d’y être ?

Chez Ferrandi, on a avait des modules de communication avec des spécialistes de l’alimentation. Ils nous disaient qu’on ne pouvait pas échapper aux réseaux sociaux. Je me suis aussi fait accompagner par Malou Food qui est une agence spécialisée dans le marketing alimentaire. Louiza sa fondatrice a compris mon projet et a su mettre en valeur Mama Nissa. Elle a constitué les fondations de la communauté. Elle m’a mis le pied à l’étrier. Aujourd’hui, je gère le compte Instagram.

On remarque que la cuisine algérienne est désormais en vogue au sein de la diaspora. Comment l’expliquez vous ?

Les cuisines du monde sont à la mode. Depuis la Covid, les consommateurs veulent des choses spécifiques. On est sortis de la cuisine arabe ou maghrébine pour aller vers l’algérienne, la tunisienne, la marocaine, la libanaise…On voit fleurir de plus en plus de restaurants algériens à Paris et ailleurs. Cela fait plaisir de retrouver nos spécialités ici ou là. Il y a encore de la place compte tenu de la taille de la diaspora en France.

Vous avez édité l’an passé un beau livre , Goûts d’Algérie (Mango éditions), autour de la richesse culinaire algérienne avec des recettes et des rencontres de personnalités qui ont conservé des souvenirs gustatifs marquants de leur enfance. L’idée de départ était-elle de laisser une trace de ce riche patrimoine ?

Mango éditions nous a contactés via Instagram pour nous proposer un projet de livre. Cela m’a paru comme une évidence car on est dans la transmission. Il fallait diffuser et partager nos plats auprès des jeunes générations car c’est une tradition orale. C’était d’autant plus légitime que pas mal de clientes me réclamaient les recettes. 

Vous écrivez dans votre préface que le pont avec l’Algérie, vous qui étiez des exilés, s’est fait davantage par la cuisine que par la langue. Pourriez vous développer ?

Quand nous sommes arrivés d’Algérie, mes parents voulaient qu’on s’intègre. Mon père était enseignant en banlieue parisienne.Il voyait les difficultés de certains jeunes. On avait donc l’obligation de réussir à l’école. On devait lire en permanence. Mes parents voulaient qu’on réponde en français même si eux nous parlaient en algérien. La télé nous était par ailleurs interdite. Ce n’était pas négociable. Le seul truc qui restait d’Algérie, c’était la nourriture. 

A votre échelle, vous défendez le patrimoine de l’Algérie. Ce doit être une fierté pour vous et pour votre maman ?

Tout à fait. C’est un patrimoine précieux qu’il faut préserver, transmettre et faire connaitre. Je crois que l’Algérie souffre d’un manque de marketing de sa cuisine. On n’en a pas fait la promotion. C’est dommage parce que c’est un trésor. La cuisine d’un pays reflète sa géographie et son histoire. 

Peut-on finalement résumer la cuisine algérienne ?

C’est une cuisine méditerranéenne, de nomade, berbère, rustique et très raffinée. Une cuisine généreuse de partage et de convivialité. 

Que pourriez vous dire à ceux qui ne la connaissent pas ou peu ?

Essayez. Ayez cette curiosité et le reste suivra. Combien de personnes sont entrés chez Mama Nissa sans savoir où elles mettaient les pieds. Elles en sont reparties avec des étoiles plein les yeux. Certains ont découvert que l’Algérie avait une cuisine. 

Avez vous d’autres projets gastronomiques en France ou en Algérie ?

Je vais continuer dans la transmission avec un nouveau livre qui est en préparation pour cette année. 

Entretien réalisé par Nasser Mabrouk

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