Lettres / Amèle El Mahdi : l’histoire, l’amour et le désert au cœur des mots
Née à Blida, longtemps professeure de mathématiques avant de se consacrer entièrement à l’écriture, Amèle El Mahdi est aujourd’hui l’une des voix les plus sensibles et engagées de la littérature algérienne contemporaine. Ses romans et ses contes puisent à la fois dans la mémoire nationale, les légendes du Sahara et les drames universels de notre […]

Née à Blida, longtemps professeure de mathématiques avant de se consacrer entièrement à l’écriture, Amèle El Mahdi est aujourd’hui l’une des voix les plus sensibles et engagées de la littérature algérienne contemporaine.
Ses romans et ses contes puisent à la fois dans la mémoire nationale, les légendes du Sahara et les drames universels de notre temps.
Par Hafit Zaouche
De Laghouat à Tamanrasset, où elle vit depuis plusieurs années, ses séjours successifs dans le Sud algérien ont nourri son imaginaire. Ses pages respirent le sable, la lumière et l’immensité du désert, mais aussi les histoires des hommes et des femmes qui l’habitent. «Le désert a cette capacité de nous renvoyer à notre petitesse, de nous faire prendre conscience de notre insignifiance de simples êtres humains», confie-t-elle.
Son premier roman, «La Belle et le Poète» (2012), reste un hommage bouleversant à
l’amour contrarié entre le poète du Sahara, Abdallah ben Kerriou, et la belle Fatna Zaanounia. Un amour interdit, brisé par les conventions sociales, qui ne connut jamais son épanouissement. Amèle El Mahdi s’y fait la voix des passions étouffées, mais aussi de la beauté et de la force de l’amour, qu’elle considère comme «la vertu qui englobe toutes les autres».
Cet élan irrigue l’ensemble de son œuvre : de «Yamsel fils de l’Ahaggar», conte initiatique où un enfant triomphe des maléfices grâce à l’amour et au courage, à «Tin Hinan, ma reine», roman consacré à la reine des Touaregs et à la fidélité indéfectible de sa servante Takama. Même dans «Les Belles histoires de grand-mère», où elle redonne vie aux contes transmis jadis aux enfants par les aïeules, l’amour – celui de la transmission et de la mémoire – reste au cœur de la narration.
Amèle El Mahdi est aussi une romancière de l’Histoire. Dans «Sous le pavillon des raïs» (2016), elle redonne vie à Alger du XVIe au XIXe siècles, alors que ses corsaires faisaient trembler l’Europe. Au fil du récit, l’histoire du fameux canon Baba Merzoug, forgé à Alger et aujourd’hui exposé à Brest, devient une métaphore de la fierté et de la puissance d’un pays qui sut résister. Plus récemment, avec «Une odyssée africaine» (2018), elle s’est attaquée à un sujet brûlant d’actualité : l’exil des migrants subsahariens. Le roman raconte l’interminable voyage de quatre jeunes Africains en quête d’un avenir, confrontés à la faim, au racisme et à l’humiliation. À travers leurs destins tragiques, Amèle El Mahdi signe un réquisitoire contre l’indifférence et le mépris. «Ce silence face à la souffrance des autres n’est pas d’or, dit-elle, il est lâcheté et hypocrisie». Dans chacun de ses récits, le Sahara n’est pas seulement un décor, mais un personnage. Fascinée par son immensité, par son mystère et sa lumière, l’auteure en a fait la matrice de son inspiration. Qu’il s’agisse d’Abalessa, d’In Salah ou des massifs du Tassili, le désert devient un espace de quête,
d’initiation et de mémoire, à la fois miroir des grandeurs et des fragilités humaines. Mais Amèle El Mahdi, c’est aussi une femme qui croit au pouvoir des histoires comme legs. Ses contes, hérités de sa propre grand-mère, sont pour elle des «trésors de sagesse» et des «cadeaux d’amour» à transmettre aux enfants. Elle rappelle avec nostalgie cette époque où les soirées familiales étaient rythmées par la voix des aînés, avant que la télévision et Internet ne viennent bouleverser nos modes de vie.
Avec plus d’une dizaine d’ouvrages publiés, entre récits historiques, romans d’amour, contes et témoignages contemporains, Amèle El Mahdi a su donner à la littérature algérienne une voix multiple et profondément humaine. Entre mémoire et modernité, entre légende et drame, son écriture continue de tisser un fil
d’amour et de résistance, comme un chant de dunes qui jamais ne s’éteint. H. Z.