Une révolution hors normes
L’offensive de l’opposition armée syrienne s’est faite à une telle allure que les observateurs, et peut-être même ses propres artisans, n’ont pas encore eu le temps d’assimiler ses derniers développements, par eux-mêmes déjà tout à fait étonnants, stupéfiants même, que les voilà dépassés par le cours très rapide des événements. Elle a commencé le 27 […]
L’offensive de l’opposition armée syrienne s’est faite à une telle allure que les observateurs, et peut-être même ses propres artisans, n’ont pas encore eu le temps d’assimiler ses derniers développements, par eux-mêmes déjà tout à fait étonnants, stupéfiants même, que les voilà dépassés par le cours très rapide des événements. Elle a commencé le 27 novembre à Idlib, au nord-ouest, le seul bastion resté à l’opposition armée dominée par Djobaht Anosra, faction anciennement affiliée à Al-Qaïda, rebaptisée ensuite Haïat Tahrir Acham, mais toujours étiquetée organisation terroriste par beaucoup, dont au premier lieu le Conseil de sécurité. Mais une dizaine de jours plus tard, les forces rebelles sont à Damas, la capitale et le centre du pouvoir, tombé sans opposé de résistance, ou alors si peu. Il y a deux jours, ces forces étaient à Homs. L’idée avait alors prévalu que c’est là que le sort du régime allait se jouer. Au bout du compte, la bataille de Homs, la mère des batailles supposée, n’a pas eu lieu – dans cette révolution, d’ailleurs aucune vraie bataille n’a eu lieu. On avait cru qu’elle commençait, puis, brusquement, c’était ailleurs qu’il fallait porter le regard. Force avait été de se tourner vers Damas, dans l’idée que c’est au cœur même du pouvoir, peut-être même dans les abords du palais présidentiel, que la partie décisive allait se tenir.
Mais là aussi rien ne s’était passé, ou quasiment. Le régime est tombé d’une chiquenaude de l’opposition armée conduite par une organisation terroriste, ainsi qu’un château de sable. Si son chef ne s’était pas enfui, ou s’il n’avait pas quitté son poste alors qu’entraient dans la capitale les forces ennemies, ou que la nouvelle avait circulé qu’il se trouvait encore à Damas, on ne serait pas si certain maintenant que son régime était tombé. Dans cette révolution finalement, rien ne s’est passé comme dans une révolution, avec un début, un milieu plein de bruit, de fureur et d’incertitude, et une fin précise, forcée, la chute du régime, sans quoi elle n’en serait pas une, de révolution. Mais si rien ne s’y est déroulé comme dans une révolution, sinon l’acte final, la chute du régime, il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle se poursuive conformément à sa nature de révolution. On n’en a d’ailleurs un avant-goût avec le maintien en fonction du gouvernement, de l’administration, des cadres de l’administration, le nouveau pouvoir, dont jusqu’à présent on ne connaît que le chef, le surnommé jusqu’à tout récemment Mohamed El Jolani, mais qui depuis le 27 novembre se fait appeler par son vrai nom, Ahmed Char, prenant soin de rassurer tout le monde quant à ses bonnes intentions. Une révolution fait table rase, pas celle-ci, qui au contraire conserve tout de l’ordre qu’elle renverse, sauf son chef, qui, ça tombe bien est parti de lui-même. La réalité, c’est que pour l’heure on ne sait même pas si vraiment il a quitté le pays, si même il n’est plus à Damas. A l’aube d’hier, quand les premières unités d’élite de la rébellion sont entrées dans Damas, on a parlé d’un avion qui décollait, qui ne pourrait être que celui de Bashar Al-Assad. Puis est venu le bémol, qui a remis les pendules à l’heure de cette révolution sans pareille. Non nul ne sait où se trouve le président déchu. La seule chose dont on soit sûr le concernant, c’est qu’il n’est pas dans son palais. On ne peut même pas exclure qu’il soit encore quelque part à Damas.
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