Boualem Amoura, président du SATEF, au Jeune Indépendant : «Les cours particuliers, une activité motivée par l’appât du gain»

Dans cet entretien, Boualem Amoura, président du Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation (SATEF), revient sur le phénomène des cours particuliers en Algérie. Il explique que ces cours, autrefois un soutien ponctuel, sont désormais devenus une véritable obligation sociale pour de nombreux parents. La situation a atteint, selon lui, un tel […] The post Boualem Amoura, président du SATEF, au Jeune Indépendant : «Les cours particuliers, une activité motivée par l’appât du gain» appeared first on Le Jeune Indépendant.

Jan 25, 2025 - 19:30
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Boualem Amoura, président du SATEF, au Jeune Indépendant :  «Les cours particuliers, une activité motivée par l’appât du gain»

Dans cet entretien, Boualem Amoura, président du Syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation (SATEF), revient sur le phénomène des cours particuliers en Algérie. Il explique que ces cours, autrefois un soutien ponctuel, sont désormais devenus une véritable obligation sociale pour de nombreux parents.

La situation a atteint, selon lui, un tel point que cela ressemble à une « mafia », générant des sommes d’argent considérables, de manière informelle et illicite. Cette pratique échappe à toute régulation, notamment fiscale, et alimente une activité désordonnée, motivée uniquement par l’appât du gain. M. Amoura appelle à une régulation urgente de ces pratiques pour garantir une éducation équitable et de qualité pour tous.

 

Le Jeune Indépendant : Pouvez-vous nous expliquer l’ampleur du phénomène des cours particuliers en Algérie aujourd’hui ?

Boualem Amoura : Aujourd’hui, les cours particuliers payants en Algérie se sont transformés en véritable phénomène de société. Les parents s’empressent de trouver des enseignants pour accompagner leurs enfants, au point que cela est devenu presque une obligation sociale.

Cependant, ce phénomène s’apparente de plus en plus à une « mafia », dans le sens où il génère des sommes colossales, de manière informelle et souvent illicite. N’importe quel diplômé, même sans compétences pédagogiques, peut donner des cours dans des lieux inadaptés tels que des garages, des escaliers ou même les salons des appartements d’enseignants.

Cela reflète une activité désorganisée, motivée uniquement par l’appât du gain. Ce commerce prospère dans l’ombre, échappant à toute régulation, notamment fiscale.

 

Quels sont, selon vous, les facteurs ayant favorisé la généralisation des cours particuliers ?

Plusieurs facteurs expliquent cette généralisation. Il s’agit, en premier lieu, des attentes pressantes des parents, qui veulent garantir la réussite de leurs enfants, même à des coûts élevés. A cela s’ajoute la baisse du niveau scolaire dans un système éducatif caractérisé par des programmes surchargés et inadéquats. Il est absurde, selon lui, qu’un élève du primaire doive maîtriser jusqu’à 13 matières, alors que les bases fondamentales comme lire, écrire et compter ne sont pas acquises.

L’autre facteur favorisant l’ampleur de ce phénomène, ce sont les méthodes pédagogiques inappropriées. Il est crucial, dans ce cadre, de réintroduire des pratiques fondamentales, comme la dictée, et de délaisser la méthode globale au profit de la méthode syllabique. Par ailleurs, les difficultés financières des enseignants, confrontés à l’érosion de leur pouvoir d’achat, les poussent à se tourner vers les cours particuliers pour compléter leurs revenus, et ce au détriment de leur santé et de leur engagement dans l’école publique.

Cependant, il faut dire que, malgré leur popularité, ces cours n’améliorent pas significativement les résultats. La plupart des élèves de terminale désertent l’école dès le second trimestre, et les taux de réussite restent faibles.

 

Que pensez-vous de la décision du ministère de lutter contre les cours particuliers ?

Jusqu’à présent, aucune mesure concrète n’a été mise en œuvre pour lutter efficacement contre ce phénomène. Les déclarations d’intention ne suffisent pas.

Il est cependant illusoire de penser pouvoir éradiquer les cours particuliers. L’Etat devrait plutôt les organiser en imposant des critères stricts, à savoir la sélection des enseignants, et ce à travers la vérification des diplômes et des compétences pédagogiques.

Il faut aussi procéder à la régulation des lieux et à la limitation des effectifs, en procédant au choix des espaces adaptés pour dispenser les cours et fixer un nombre maximum d’élèves par groupe.

Pour dispenser ces cours, les enseignants doivent déterminer un prix horaire raisonnable, déclarer leurs revenus et payer des impôts.

 

Est-ce une mesure réaliste et applicable ? Quelles seraient les principales difficultés ?

La faisabilité dépend de la volonté politique. Ce problème dépasse le ministère de l’Education et nécessite une mobilisation de tous les services de l’Etat.

Cependant, plusieurs obstacles se dressent, notamment au niveau du contrôle des lieux privés, car intervenir dans les domiciles nécessite des mandats judiciaires. Le ministère n’a pas suffisamment d’inspecteurs pour contrôler toutes ces activités. Certains enseignants et parents pourraient s’opposer à une régulation stricte.

 

Pensez-vous que l’amélioration des conditions de travail des enseignants pourrait réduire le recours aux cours particuliers ?

Non, l’amélioration des conditions de travail et des salaires ne suffira pas à régler le problème. Les cours particuliers sont devenus une « habitude » et une activité lucrative pour de nombreux enseignants.

Même dans les pays développés, ce phénomène existe. Certains enseignants organisent les inscriptions dès le mois d’août, avant même le début de l’année scolaire. Cette course à l’argent est désormais bien ancrée dans les mentalités.

 

Que propose le syndicat pour remédier à ce phénomène sans porter préjudice aux enseignants ou aux élèves ?

Pour remédier à ce phénomène sans nuire aux enseignants ni aux élèves, le SATEF propose une organisation rigoureuse des cours particuliers. Cela inclut la sélection stricte des enseignants, en s’assurant qu’ils disposent des qualifications nécessaires. L’encadrement des lieux, la limitation des effectifs à un maximum de dix élèves par groupe, la régulation des tarifs et l’intégration des revenus générés dans le système fiscal. Le syndicat appelle également l’Etat à sévir contre la publicité sur les réseaux sociaux et les dérives, comme les cours dispensés dans des lieux inappropriés, tels que les salles de cinéma.

 

Quels sont, selon vous, les leviers pour améliorer la qualité de l’enseignement public ?

L’amélioration de l’enseignement public nécessite une réforme en profondeur. Je préconise de réduire le nombre de matières et recentrer les programmes sur les fondamentaux. Il faut également adapter les rythmes scolaires et revoir les horaires, notamment dans les régions du Sud.

Je suggère de réformer les examens comme le baccalauréat et le BEM, et de restaurer des pratiques fondamentales telles que la dictée et les cours de logique. Je plaide également pour une meilleure rémunération des enseignants, une formation continue des nouveaux professeurs et un renforcement du rôle des conseils de classe. Ce sont des solutions indispensables pour répondre aux attentes des parents et des élèves. Je dirais que seule une réelle volonté politique permettra de mettre en place une école publique de qualité.

 

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