De la propagande devenue guerre cognitive et des moyens d’y faire face

Une contribution de Kaddour Naïmi – Un vieillard, assis près d’un arbre, vit quelqu’un passer : «Jeune homme, où cours-tu si... L’article De la propagande devenue guerre cognitive et des moyens d’y faire face est apparu en premier sur Algérie Patriotique.

Mars 28, 2025 - 09:22
 0
De la propagande devenue guerre cognitive et des moyens d’y faire face

Une contribution de Kaddour Naïmi – Un vieillard, assis près d’un arbre, vit quelqu’un passer : «Jeune homme, où cours-tu si vite ?» lui demande-t-il. «A faire la révolution», lui répond le passant. «Peux-tu prendre quelques minutes pour me dire ce que c’est ?» interroge le vieux. «Je n’ai pas le temps», rétorque son interlocuteur. «Si tu n’as pas le temps de m’expliquer, crois-tu réussir ta révolution ?» assène le vieil homme, circonspect.

Réseaux sociaux

Entendus sur une plateforme internet, des propos intéressants sur ce qu’on désigne désormais par «guerre cognitive» (on l’appelait «propagande») m’ont interpellé.

Ils centraient toute l’argumentation sur les réseaux sociaux où interviennent des organismes financés par les puissances dominatrices, producteurs de fausses informations, notamment par l’intermédiaire de trolls.

Pour affronter cette opération, l’intervenant déclara la nécessité d’y opposer, sur les mêmes réseaux sociaux, des organismes producteurs d’informations correctes, pour neutraliser les fausses informations.

Cette recommandation se motiva par le fait que, désormais, les citoyens, notamment les jeunes, sont totalement focalisés sur les plateformes de réseaux sociaux. Ce serait donc là le terrain d’affrontement qui s’impose, sous-entendu l’unique.

On avance comme argument l’effet décisif des réseaux sociaux pour provoquer les révolutions colorées. Question : ces résultats ont-ils profité aux peuples concernés ?

De cette conception sur la guerre cognitive, j’attendais l’addition d’une autre argumentation. Elle ne vint pas. La voici.

Si on limite la guerre cognitive à l’affrontement entre deux producteurs antagonistes qui emploient des réseaux sociaux, on constate que les contenus, qu’ils soient de fausses informations manipulatrices et, donc, asservissantes, ou des informations clarificatrices et, donc, libératrices, sont caractérisés par :

  1. une temporalité la plus brève possible, du genre «10 minutes pour comprendre tout», ou «une heure pour tout savoir». Parfois, au discours oral s’ajoutent des liens pour approfondir, mais l’on sait que presque personne ne prend le temps de lire le contenu de ces liens.
  2. une telle temporalité ne permet pas d’exposer un problème dans toute sa complexité. Le destinataire a, donc, accès à un contenu limité. Sa caractéristique est de laisser croire à ce destinataire que le contenu proposé lui fournit tous les aspects du problème. En fait, il ne s’agit que de quelques éléments. Mais ce destinataire croit disposer de tout ce qu’il faut savoir sur le problème.

Exemple. Des manipulateurs dénoncent une dictature, tandis que des informations honnêtes critiquent des démocraties qui deviennent autoritaires. Le destinataire croit, alors, détenir les informations nécessaires pour se faire une opinion correcte sur ces systèmes de gouvernement.

Ou, par exemple, à propos de conflits comme la guerre en Ukraine, le génocide à Gaza, l’affrontement Etats-Unis-Chine, la Syrie et le Moyen-Orient, etc.

Mais ce destinataire connaît-il vraiment ce que sont une dictature, une démocratie, un système autoritaire ? Quels sont les motifs réels des guerres ?

Durant l’agression impérialiste états-unienne contre l’Irak, j’avais pris le temps de m’informer correctement jusqu’à écrire et publier un livre épais sur ce problème, en italien et en français, et à le proposer en document électronique avec accès libre (1).

Un nombre insignifiant de personnes prirent le temps de le lire.

«Tu n’es pas connu !», objecterait-on.

D’accord ! Mais combien de personnes lisent des classiques satisfaisants sur la démocratie, la dictature, l’autoritarisme, les guerres ?

Autre exemple. Depuis des années, on cite des auteurs célèbres d’ouvrages sur le «développement personnel» ou, plus exactement, des extraits trouvés sur des plateformes de réseaux sociaux.

Je constate que les personnes qui mentionnent ces considérations, toutes brèves, n’ont jamais lu les livres qui les contiennent, encore moins les classiques où les auteurs de livres sur le «développement personnel» ont puisé et plagié leurs écrits, quel que soit le domaine : psychologie, sociologie, anthropologie, philosophie, etc.

Le drame, donc, en matière de guerre cognitive, n’est pas seulement de produire des contenus sur les réseaux sociaux pour contrer la manipulation asservissante. Cette procédure parvient à obtenir seulement des personnes qui croient savoir, alors, qu’en fait, elles ignorent l’essentiel.

Si on ajoute aux propos de ces «influenceurs» leur capacité de recourir au pathos, on sait les ravages de «peste émotionnelle» (Wilhelm Reich) qui entrent en action.

Voilà pourquoi, en cas de mouvement social, l’on constate chez ses membres perplexité, confusion et, en définitif, ignorance sur la manière d’agir, y compris chez les animateurs de ce mouvement social.

Lecture

«Quoi ? dirait-on, tu veux que toutes les personnes soient des docteurs en politique, psychologie, sociologie, philosophie, etc. ? Où trouveraient-elles le temps de lire, de s’instruire ?»

Réponse : si les personnes ne trouvent pas ce temps de lire les ouvrages fondamentaux, quel genre d’action serait la leur ?

Ceux qui parlent de «révolution», «contre-révolution», «fascisme», «socialisme», «communisme», «islamisme», «anarchie», «impérialisme», «patriotisme», «justice», «loi», «Etat», etc., que savent-ils du contenu réel de ces termes, de leur impact dans l’histoire des peuples ?

Comment expliquer l’emploi de ces concepts avec une désinvolture d’autant plus stupéfiante qu’elle se prétend savante ? Pas seulement par des citoyens dits ordinaires, mais aussi par les «influenceurs». Mais, encore, par des animateurs ou dirigeants de mouvements sociaux.

Seule la lecture convenablement menée permet de maîtriser les mots, leur sens réel, et d’éviter d’être manipulé par ceux qui les utilisent dans un but d’asservissement de la conscience. Ce n’est pas un hasard si tous les penseurs authentiques, de Confucius à Socrate, soulignèrent l’importance d’employer les mots corrects. Cette capacité exige de longues études.

A qui affirmerait ne pas avoir ce temps, la réponse serait : l’ouvrier Eugène Pottier trouva le temps de s’instruire au point d’écrire le chant L’Internationale ; un autre ouvrier se distingua mieux encore, Joseph Proudhon. Même quand, à l’âge de cinq ans, on devient aveugle, on peut devenir un très grand poète-philosophe : Alma’ary. Tout est question de conscience et de volonté.

Que chacune et chacun, donc, se rende compte du temps passé sur les réseaux sociaux par rapport à celui consacré à la lecture. Excellent critère pour déterminer le niveau réel d’instruction et, par conséquent, la qualité de la connaissance et de la volonté.

Faut-il ajouter que le contenu de la majorité des livres est inutile, quand ils n’augmentent pas la confusion cognitive ? Que, par conséquent, il faut apprendre à savoir quels sont les rares œuvres fondamentales à lire, dont certaines sont généralement occultées par le système d’information dominant ?

Action sur le terrain

Solution ? Ne pas se limiter aux réseaux sociaux. Qu’ils soient principalement un incitatif à l’approfondissement par la lecture nécessaire, pour finir dans l’action sur le terrain.

Oui ! Recourir aux «vieilles recettes» : le bouche à oreille, le porte-à-porte, l’intervention dans les espaces. Dans quel but ? Création d’associations de quartiers, de lieu de travail, de lieu d’étude, etc., où des citoyennes et citoyens se rencontrent, échangent leurs connaissances, en comptant sur leur intelligence pour comprendre les problèmes et découvrir les solutions adéquates.

Dans un essai sur ma participation au mouvement social du printemps 1968 à Strasbourg, j’ai souligné un fait : le déclenchement de cette action obligea les plus conscients d’entre nous à, enfin, lire les classiques fondamentaux. De jour, participation aux assemblées et manifestations ; de nuit, lectures et discussions (2).

Alors, j’ai compris où réside le problème. Les animateurs qui participèrent successivement à la Commune de Paris, aux Soviets russes de 1905 puis 1917-1921, à la collectivisation pendant la guerre civile espagnole, ont tiré la même conclusion : le mouvement social échoua essentiellement à cause de deux motifs : insuffisance du nombre d’animateurs compétents et insuffisance de connaissance sociale des citoyens. Serions-nous étonnés de la même constatation concernant d’autres mouvements, tels les Gilets jaunes en France ou le hirak en Algérie ?

Tactique et stratégie

La puissance des réseaux sociaux et des «influenceurs» n’est pas à sous-estimer.

D’une part, les gouvernants, quelle que soit leur idéologie, contrôlent le contenu, de manière cachée ou ouverte, et y interviennent pour exposer leur point de vue.

D’autre part, le nombre de consommateurs du produit de ces réseaux sociaux n’est pas négligeable.

Cependant, l’importance des réseaux sociaux ne doit pas être surestimée.

Quelle que soit leur idéologie, la majorité des intellectuels et autres faiseurs d’opinion, par commodité et fainéantise, ou par mépris du contact direct avec les citoyens, se contentent de s’adresser à eux à travers des réseaux sociaux.

Ce genre d’intervention permet de bénéficier d’une célébrité et, suite à celle-ci, pour certains, d’engranger des sous.

Mais ce que les gouvernants redoutent le plus, c’est l’action des citoyens sur le terrain de l’espace public. C’est là que se résolvent les conflits sociaux.

Comment les citoyens pourraient-ils intervenir de manière positive sur le terrain ? En possédant une connaissance nécessaire et suffisante qui permet, d’une part, de comprendre les enjeux, et, d’autre part, d’employer les solutions adéquates.

Or, le contenu des réseaux sociaux se limite, généralement, à fournir des informations limitées. Elles donnent l’illusion au destinataire de tout savoir sur un problème, alors qu’en fait, il n’en est rien : ni sur les enjeux réels ni sur les solutions correctes.

Les interventions dans les réseaux sociaux sont utiles à l’unique condition de permettre et d’affirmer la nécessité d’approfondir les arguments évoqués, de deux manières :

  1. par la lecture attentive des ouvrages fondamentaux qui les concernent,
  2. et par l’échange direct entre les citoyens dans des organisations créées et autogérés par eux.

Ce genre d’initiative :

  1. exige beaucoup plus de temps et d’énergie en comparaison avec l’intervention commode sur un réseau social,
  2. rencontre l’opposition de ceux qui ont intérêt à ce que les citoyens demeurent manipulés ou, tout au plus, détenteurs d’un savoir limité insuffisant.

L’intervention dans les réseaux sociaux est une tactique. La stratégie réside dans l’action sur le terrain par des citoyens autogérés et instruits de manière adéquate.

C’est long et compliqué ? Le changement social est à ce prix. La sagesse populaire déclare : «Vuoi la bicicletta ? Allora, devi pedalare !» (Tu veux la bicyclette ? Alors, il faut pédaler !)

Trop peu de personnes aiment pédaler. D’où le monde tel qu’il est.

K. N.

(1) Version française : https://archive.org/details/la-guerre-pourquoi-la-paix-comment-essai

(2) https://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits-mai-68.html

L’article De la propagande devenue guerre cognitive et des moyens d’y faire face est apparu en premier sur Algérie Patriotique.