La pièce «Palestine trahie» : Un cri contre l’injustice et la normalisation

Le Théâtre national algérien Mahieddine Bachtarzi (TNA) a accueilli jeudi soir, « Palestine trahie », une pièce inspirée des textes de Kateb Yacine. Devant une salle comble, la mise en scène sensible et audacieuse d’Ahmed Rezzag a porté la voix d’un peuple meurtri, dénonçant avec force la trahison et la normalisation politique qui pèsent sur […] The post La pièce «Palestine trahie» : Un cri contre l’injustice et la normalisation appeared first on Le Jeune Indépendant.

Mai 30, 2025 - 11:24
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La pièce «Palestine trahie» : Un cri contre l’injustice et la normalisation

Le Théâtre national algérien Mahieddine Bachtarzi (TNA) a accueilli jeudi soir, « Palestine trahie », une pièce inspirée des textes de Kateb Yacine. Devant une salle comble, la mise en scène sensible et audacieuse d’Ahmed Rezzag a porté la voix d’un peuple meurtri, dénonçant avec force la trahison et la normalisation politique qui pèsent sur la cause palestinienne. Un cri de mémoire et d’espoir, profondément humain, qui a touché tous les cœurs présents.
Produite par le Théâtre régional de Tizi Ouzou, cette fresque politique et poétique, à la fois grave et vibrante, interroge le présent à travers les blessures du passé. En mêlant « Palestine trahie » et « Cadavre encerclé » dans un tissage dramaturgique confié à Lamine Bahri, la pièce redonne vie à la parole de Kateb Yacine pour dénoncer l’injustice historique subie par le peuple palestinien. Le tout s’inscrit dans une vision contemporaine puissamment symbolique, enrichie d’une ironie mordante, de chorégraphies rituelles et de séquences musicales poignantes, sublimées par la composition immersive d’Ismail Khaldi.
La scénographie mobile d’Ahmed Rezzag, joue ici un rôle fondamental. Des murs verticaux, évoquant à la fois le mur des Lamentations et les ruines d’un monde trahi, dressent une géographie mouvante du conflit. « On transporte nos ruines avec nous, nos pierres, nos mémoires. C’est une manière de dire que même effondrés, nous bâtissons encore », a expliqué le metteur en scène. Il confie que « le décor s’inspire du Mur des Lamentations, mais il évoque aussi les ruines d’un monde brisé. À une époque, juifs, chrétiens et musulmans vivaient ensemble, mais tout a été chamboulé, et il ne reste que des ruines. Ce décor veut donner une autre dimension à la pierre, à ces mémoires que les peuples transportent avec eux, comme une ville qu’on emporte pour tenter de reconstruire un espoir ».
Et des tableaux, il y en a une multitude. Des séquences qui s’enchaînent avec fluidité, dans une mécanique maîtrisée où les lumières chaudes et froides dessinent les contours d’un monde en guerre, d’un peuple enfermé entre les barbelés d’un passé colonial et les trahisons contemporaines. L’écho du 8 mai 1945 en Algérie, souligné avec force, résonne jusque dans le Gaza d’aujourd’hui, créant un parallèle puissant entre deux génocides perpétrés par les mêmes logiques coloniales.
Selon Rezzag, « le spectacle fusionne deux événements tragiques très proches : le massacre du 8 mai 1945 en Algérie, où 45 000 personnes ont été assassinés, et le génocide palestinien, tous deux perpétrés par les mêmes logiques coloniales, avec l’OTAN et les crimes contre l’humanité comme toile de fond. Ces parallèles sont au cœur des textes de Kateb Yacine, notamment Palestine trahie et Cadavre encerclé ».

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Une satire féroce de la normalisation

La pièce prend un tournant particulièrement incisif lorsqu’elle aborde la question de la normalisation des relations entre certains pays arabes et Israël, notamment les Émirats arabes unis. Sur scène, une scène ironique et chorégraphiée montre des femmes en robes blanches lançant leurs cheveux au vent lors d’une visite du président Donald Trump. « C’est une parodie de la danse traditionnelle Al-Ayyala détournée pour mieux faire ressentir l’absurdité du spectacle diplomatique moderne », souligne Rezzag.
Le metteur en scène a souligné que « la pièce, même dans sa version originale des années 70, mettait déjà en scène des personnages puissants comme le président américain, les rois du Moyen-Orient, ou encore les dirigeants arabes ». Et d’ajouter : « Nous avons simplement réadapté ces figures à la situation actuelle, car la pièce est en perpétuelle évolution. Kateb Yacine lui-même a produit onze versions différentes de Palestine trahie, chaque nouvelle version reflète une actualité politique nouvelle. C’est une œuvre vivante, qui se réécrit sans cesse pour rester fidèle à la réalité du moment ».
Interprété avec intensité par Malek Fellag, Mohamed Zeitoun incarne la Palestine enracinée, debout, résistante. Face à lui, une galerie de personnages sombres : des rabins fanatiques, des émissaires hypocrites, des vendeurs d’illusions. Le duo Belkacem Latari et Ouiza Nedjimi complète le casting avec une belle justesse, offrant un contrepoint tragique et lucide à la figure centrale.
La chorégraphie de Khadidja Guemiri, subtile et viscérale, illustre la ténacité d’un peuple à survivre à tout, à l’exil, à la trahison, à l’effacement. « Ce spectacle, c’est avant tout un geste de solidarité envers les Palestiniens, une manière de dire que nous partageons leur combat, surtout dans un contexte où, même dans certains pays arabes, le droit de manifester ou de protester est interdit », a affirmé Rezzag.
Ce droit, les comédiens l’ont incarné avec force, douze interprètes, majoritairement issus du Théâtre régional de Tizi Ouzou, ont donné corps à ce cri de révolte. Entre jeunes talents prometteurs et figures aguerries de la scène, ils ont porté la parole de Kateb Yacine avec une intensité remarquable, mêlant dignité, puissance et maîtrise.
Rezzag a précisé que « ce n’est pas un hommage figé, c’est une continuité. Le texte de Kateb parle encore, et crie plus fort que jamais. La guerre, la trahison, la dignité, la mémoire, tout y est. Il fallait juste lui redonner souffle avec nos moyens, notre contexte, notre urgence ».
Plus qu’un spectacle, « Palestine trahie » est une plaidoirie scénique, un acte de mémoire, un refus de l’effacement. En revisitant l’œuvre de Kateb Yacine avec une acuité brûlante, Ahmed Rezzag et son équipe offrent un théâtre engagé, radical, profondément humain. À la fois hommage et cri de révolte, ce spectacle mérite d’être vu, revu, porté au-delà des frontières. Car il dit ce que trop de voix n’osent plus dire que la dignité d’un peuple ne se négocie pas.

 

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