Les frappes contre l’Iran sont une guerre religieuse et une stratégie messianique
Par Khaled Boulaziz – «Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas.» Cette formule énigmatique, souvent prêtée à André Malraux,... L’article Les frappes contre l’Iran sont une guerre religieuse et une stratégie messianique est apparu en premier sur Algérie Patriotique.

Par Khaled Boulaziz – «Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas.» Cette formule énigmatique, souvent prêtée à André Malraux, oscille entre prophétie et provocation. Qu’il l’ait dite ou non, sa résonance actuelle est indéniable. Dans les couloirs sombres de la géopolitique contemporaine – où les drones remplacent les diplomates et où l’Ecriture réinvestit le champ de bataille –, l’aphorisme de Malraux tient moins de l’avertissement que du plan directeur.
Nulle part cela n’apparaît plus clairement qu’au Moyen-Orient, où la récente frappe israélienne contre l’Iran – nom de code «Lionne du peuple» – n’a pas été annoncée par des considérations stratégiques ou diplomatiques, mais par une citation biblique : «Voici, un peuple se lève comme une lionne… il ne se couchera qu’après avoir dévoré sa proie.» (Nombres 23 : 24.)
Lancées à l’aube du 13 juin 2025, les frappes ont visé des infrastructures nucléaires et militaires en profondeur sur le territoire iranien. Mais le choix des mots révèle autre chose : une sacralisation de la violence d’Etat, un cadrage théologique de la guerre. Ce qui, jadis, aurait relevé d’une froide nécessité stratégique se trouve désormais drapé d’un récit messianique ; dans la doctrine politico-militaire israélienne, l’Ecriture n’est plus métaphore : elle devient directive.
Une guerre cadrée par les Ecritures
Le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, parsemait déjà ses discours de références bibliques ; ces dernières années ont vu cette pratique s’intensifier. Après l’attaque du Hamas en octobre 2023, il invoqua Amaleke, ennemi archétypal dont la destruction est ordonnée dans le Deutéronome ; une référence citée ensuite par l’Afrique du Sud devant la CIJ dans son accusation de génocide.
La frappe contre l’Iran puise dans le Livre des Nombres – lu justement durant l’été juif, où se croisent vengeance divine et destinée nationale. Dans ce cadre, l’opération n’est plus simple manœuvre militaire : c’est un acte de fidélité scripturaire ; Israël-lionne se dressant pour anéantir ce que la prophétie a déjà condamné.
Messianisme et logique de l’escalade
Des figures religieuses comme Rav Ron Chaya, très suivies dans la francophonie juive, se sont réjouies de la frappe – non pour son utilité tactique, mais pour son potentiel apocalyptique. Chaya a publiquement souhaité que l’Iran réplique, idéalement contre des bases américaines, afin de déclencher un conflit mondial susceptible d’«accélérer la venue du Mashiah».
Il ne s’agit pas d’un personnage marginal : ses vidéos totalisent des millions de vues. Son discours reflète un courant du sionisme religieux pour lequel la guerre est catalyseur, non calamité. L’escalade n’est pas à éviter ; elle est désirée, parce que seule une conflagration planétaire préparerait la délivrance finale.
La montée du sionisme religieux dans l’appareil d’Etat
Cette posture théologique a quitté les tribunes pour pénétrer l’Etat. En vingt ans, la proportion d’officiers issus du sionisme religieux – diplômés des yeshivot hesder – a explosé : de 2,5% des cadets en 1990 à plus de 40% au milieu des années 2010.
Ce virage emporte des conséquences doctrinales : l’éthique militaire s’y arrime moins aux conventions de Genève qu’aux prescriptions du Tanakh et du Talmud. Durant l’opération Plomb durci (2009), des livrets distribués dans l’IDF citaient le Deutéronome 20 pour exhorter les soldats à ne montrer aucune pitié. Lorsque les règles d’engagement tirent leur légitimité du Sinaï plutôt que de Genève, la distinction entre combattants et civils devient secondaire.
Des ministres aux accents eschatologiques
Sur le plan politique, cette vision est représentée au plus haut niveau. Bezalel Smotrich (Finances) et Itamar Ben-Gvir (Sécurité nationale) revendiquent une souveraineté juive maximaliste fondée sur la Bible. Tous deux plaident pour l’annexion formelle de la Cisjordanie et qualifient Palestiniens ou Iraniens d’ennemis théologiques. En juin 2025, Londres et plusieurs alliés les ont sanctionnés pour incitation extrémiste ; leur influence sur la coalition, toutefois, reste décisive.
Nécessité stratégique ou calcul eschatologique ?
Sur le papier, Israël applique depuis longtemps la doctrine Begin : droit de frapper préventivement tout programme nucléaire hostile (Irak 1981, Syrie 2007). Mais aucun renseignement américain récent n’attestait d’une percée iranienne imminente. Faute de menace nouvelle, la frappe du 13 juin ressemble moins à une réponse sécuritaire qu’à un geste idéologique – visant à pousser l’Iran à l’escalade, voire à actualiser la prophétie.
Le fait que certaines voix religieuses appellent explicitement Téhéran à frapper les Etats-Unis pour élargir le conflit révèle une logique détachée du réalisme classique : la théologie comme stratégie d’Etat.
Un siècle placé sous le sceau du sacré
Ainsi se vérifie – ou se réalise – l’oracle prêté à Malraux : loin d’un monde désenchanté, le XXIe siècle voit la politique se laisser aimanter par le religieux. En Israël, la frontière entre Torah et doctrine militaire se brouille ; le Livre des Nombres sert de feuille de route ; le Messie devient objectif opérationnel.
Pour les alliés occidentaux, l’enjeu est vertigineux : comment soutenir le droit «légitime» d’Israël – selon leur perception biaisée – à se défendre sans cautionner une dérive où la diplomatie devient blasphème, la désescalade hérésie ? Car dans cette logique, la paix elle-même risque de passer pour l’ultime adversaire.
K. B.
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