Rêve messianique

Par Mohamed El-Maadi – Il est des similitudes qui n’ont rien d’un hasard. Des répétitions géographiques qui portent une même griffe. Gaza et le Sahara Occidental. Deux peuples que tout sépare sauf l’essentiel : l’occupation, le déni et l’effacement méthodique de la mémoire. Et derrière le rideau, toujours la même signature, toujours les mêmes maîtres d’ouvrage. Le sionisme dans sa version dure à l’est et dans sa version camouflée à l’ouest.

Le Maroc ne cherche pas seulement à occuper le Sahara Occidental, il veut en effacer la cause. Tout comme l’Etat hébreu ne veut pas seulement vaincre Gaza, il veut en finir avec l’idée même de Palestine. Ici, on bombarde des immeubles, là, on bétonne des projets touristiques ; ici, on coupe l’eau, là, on vend du sable. Mais le but est le même : rendre impossible le retour en arrière. Transformer l’occupation en normalité.

Il est frappant de constater à quel point la stratégie marocaine épouse, avec quelques décennies de décalage, celle d’Israël. Le rêve messianique marocain – celui d’un empire chérifien s’étendant sur des terres algériennes, mauritaniennes et sahraouies – n’est pas sans rappeler les fantasmes bibliques d’un «Grand Israël» du Nil à l’Euphrate. Et ce rêve impérial est désormais soutenu, structuré, sécurisé par l’alliance ouverte avec Tel-Aviv. Le roi ne le cache plus : la monarchie marocaine s’est greffée à une entité coloniale pour former une sorte de copropriété expansionniste.

Le Maroc n’est plus un simple acteur régional. Il est devenu le relais occidental et israélien au Maghreb. En cela, le Sahara Occidental n’est pas une fin en soi, mais une étape. Une pause géographique dans une stratégie de reconquête territoriale qui vise, à terme, l’Algérie. La cartographie du rêve marocain inclut Tindouf, Béchar, peut-être plus encore. Et, dans ce rêve, la caution sioniste n’est pas symbolique, elle est structurelle.

Ce que beaucoup ne veulent pas voir ou feignent d’ignorer, c’est que l’Algérie n’a plus seulement affaire à une monarchie obsédée par la revanche historique, mais est désormais confrontée à une coalition idéologique, technologique et militaire, qui a pour ambition de redessiner les équilibres régionaux. Dans cette recomposition, l’Algérie est la cible finale. Non seulement pour ce qu’elle fait, mais aussi et surtout pour ce qu’elle incarne.

Car ce que défend l’Algérie n’est pas qu’un droit. Elle défend un principe, un modèle, une histoire de la libération qui refuse le retour du colonialisme par la ruse. Elle défend la légitimité des peuples à s’autodéterminer, contre les manipulations de puissances devenues colonisatrices à leur tour. Elle défend l’idée que l’Afrique du Nord ne doit pas devenir un marché sous-traité de l’influence israélo-occidentale.

John Bolton lui-même, pourtant peu suspect de sympathies pour Alger, avait vu juste : le Sahara Occidental est une fiction de paix qui couvre un projet d’absorption. Si l’on cède là-dessus, c’est tout l’ordre postcolonial africain qui bascule. La normalisation israélo-marocaine est le bras armé de cette bascule. L’oubli du Sahara Occidental serait le premier domino.

Il est donc vital, non seulement de maintenir la question sahraouie vivante, mais de la recharger stratégiquement. Ce n’est plus seulement une question de droit international. C’est un front idéologique. La chute de Gaza et l’engloutissement du Sahara Occidental annonceraient le triomphe d’un nouvel ordre colonial aux couleurs de la technologie, des Accords d’Abraham et du tourisme géopolitique.

L’Algérie, elle, a pour elle l’histoire. Mais cela ne suffit pas. Il lui faut désormais une parole offensive, une stratégie globale, un appareil diplomatique repensé pour affronter non plus le Maroc seul, mais ce que le Maroc est devenu : l’interface maghrébine d’un projet sioniste sans frontières.

Le Sahara Occidental est la tranchée avancée. L’Algérie est la ligne de fond. Entre les deux, c’est toute une vision du monde qui se joue.

M. E.-M.

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