Ces voix toxiques…
Par A. Boumezrag – La responsabilité des influenceurs doit être au centre de toute réflexion. Chaque mot publié, chaque vidéo partagée a le pouvoir de construire ou de détruire.

Par A. Boumezrag – A l’heure où likes et hashtags semblent décider de la valeur des idées, les influenceurs façonnent nos perceptions… pour le meilleur ou pour le pire. Entre voix portées, capables de transmettre sens et profondeur, et voix toxiques, qui polluent le débat et réduisent l’histoire à un simple buzz, il est temps de se demander : qui influence vraiment et comment ?
Dans un monde où le nombre de likes et de partages semble dicter la valeur des idées, une nouvelle espèce s’est imposée : l’influenceur. Mais que signifie réellement ce terme ? S’agit-il de personnes capables de porter des voies constructives, éclairées et durables, ou simplement de voix toxiques qui agitent le vide pour quelques clics supplémentaires ?
L’influence, aujourd’hui, est une monnaie. Sur Instagram, Twitter ou TikTok, chaque réaction, chaque commentaire, chaque partage devient un indicateur de succès. Mais derrière ce chiffre, que reste-t-il de l’essence de l’information, du vrai message ou de l’impact réel ? Trop souvent, rien. L’influenceur moderne navigue entre tendances et polémiques, sa boussole n’est plus l’éthique ou le sens, mais la viralité. Et c’est là que le contraste devient saisissant : entre ceux qui tentent de transmettre un message authentique et ceux qui se contentent de créer du bruit, la frontière est floue, mais essentielle.
Prenons un exemple concret : les crises internationales ou les enjeux géopolitiques. Sur les réseaux sociaux, certains influenceurs commentent ces situations avec l’assurance de ceux qui ont lu un tweet ou un article de 280 caractères. Les nuances, l’histoire, la complexité disparaissent. Leurs «voix» circulent rapidement, parfois enchaînant approximation sur approximation, et ce qui devait être un débat réfléchi devient une suite de réactions superficielles. Ici, la voix devient toxique : elle pollue l’espace public, détourne l’attention des véritables enjeux et nourrit une illusion d’expertise qui n’existe pas.
A l’opposé, il existe les voies portées. Ce sont celles qui, malgré la vitesse et l’immédiateté du monde numérique, prennent le temps de réfléchir, de chercher, d’expliquer. Elles se distinguent par la profondeur de leur contenu, par leur capacité à susciter une réflexion durable. Elles influencent non pas par le bruit, mais par la valeur, non pas par la quantité de réactions, mais par la qualité de la transmission. Ces voies portées ne se mesurent pas en likes ou en partages, mais en compréhension, en conscience éveillée et, parfois, en action réelle. Elles construisent plutôt qu’elles ne détruisent.
L’Algérie, pays de mémoire et de résistance, offre un terrain particulièrement intéressant pour observer ce contraste. Entre les montagnes du Djurdjura, les plaines verdoyantes et les vastes étendues du Sahara, le pays a été façonné par des siècles de combats, de résistances et de survie. Chaque rocher, chaque vallée, chaque ville raconte une histoire. Et pourtant, sur les réseaux sociaux, beaucoup d’influenceurs semblent passer à côté de cette profondeur. Ils photographient, commentent, créent des threads, mais effleurent à peine la réalité. Le pays devient un décor, une toile pour leur spectacle numérique, et non une entité complexe à comprendre. Là encore, la voix peut devenir toxique lorsqu’elle réduit la profondeur d’un pays à une tendance ou à un hashtag.
Les mules numériques, comme certains les appellent, incarnent parfaitement ce phénomène. Elles se déplacent d’une tendance à une autre, d’une polémique à une autre, sans jamais s’attacher à la profondeur de ce qu’elles frôlent. Leur activité frénétique contraste avec la lente et solide construction de véritables influenceurs, ceux qui portent des voies. C’est un rappel essentiel : l’influence n’est pas un flux continu de bruit, mais un art de la transmission. La rapidité ne remplace jamais la profondeur.
Sur le plan géopolitique, l’influence vraie peut faire la différence. Comprendre la situation du Maghreb, les enjeux économiques ou stratégiques, ne peut se résumer à un tweet ou un thread. Les voies portées sont celles qui, en informant correctement, en donnant contexte et perspective, permettent aux autres de comprendre, de réagir avec discernement et de penser par eux-mêmes. Elles ont un impact durable, contrairement aux voix toxiques qui ne laissent que des échos éphémères.
La responsabilité des influenceurs devrait être au centre de toute réflexion sur le numérique. Chaque mot publié, chaque vidéo partagée a le pouvoir de construire ou de détruire, de clarifier ou de désinformer. Et pourtant, trop souvent, le choix est guidé par la facilité, par la recherche de la viralité à court terme. C’est là que l’ironie devient amère : dans un monde où tout peut être amplifié, beaucoup se contentent de reproduire le bruit, alors que quelques-uns pourraient créer un véritable impact.
Les voies portées ne sont pas toujours celles qui attirent le plus d’attention. Elles demandent du temps, de l’exigence et parfois de l’audace. Elles vont à contre-courant, explorent les complexités et refusent la simplification facile. Elles enseignent, éveillent, posent des questions et, surtout, elles respectent leur public. A long terme, elles laissent une trace durable dans les esprits et dans la société.
Alors, lorsque nous parlons d’influenceurs sous influence, il ne s’agit pas seulement de critiquer un groupe ou un type de contenu. Il s’agit de rappeler que l’influence peut être une force constructive ou destructrice. Les voies portées et les voix toxiques coexistent, mais le choix de suivre l’une ou l’autre façonne notre perception du monde, notre compréhension de l’histoire, et même notre capacité à agir de manière éclairée.
En fin de compte, le défi pour chaque influenceur, mais aussi pour chaque utilisateur des réseaux sociaux, est simple : discerner, réfléchir, et choisir. Choisir de suivre des voies portées, d’écouter des voix qui construisent et éduquent, plutôt que de se laisser entraîner par des voix toxiques qui ne font que multiplier le bruit. Dans un univers numérique saturé, ce discernement est peut-être la forme d’influence la plus puissante qui soit.
L’influence n’est pas un simple effet de mode ou un chiffre sur un écran. Elle est responsabilité, impact et transmission. Entre voies portées et voix toxiques, chacun a le choix : écouter ou simplement entendre, contribuer ou seulement réagir. Dans ce choix réside la véritable force de l’influence.
A. B.