Entretien/Karim Ouamane, expert en gestion des déchets: «Un système hybride de tri sélectif, une solution pragmatique pour l’Algérie»

nAncien directeur général de l’Agence nationale des déchets (AND), M. Ouamane propose un modèle hybride pour la gestion des dchets en Algérie, avec deux bacs principaux pour les déchets organiques et secs, et deux secondaires pour le verre et les textiles. Des points de collecte pour les déchets dangereux et inertes complètent ce système. Avec […]

Jan 4, 2025 - 21:38
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Entretien/Karim Ouamane, expert en gestion des déchets: «Un système hybride de tri sélectif,  une solution pragmatique pour l’Algérie»

nAncien directeur général de l’Agence nationale des déchets (AND), M. Ouamane propose un modèle hybride pour la gestion des dchets en Algérie, avec deux bacs principaux pour les déchets organiques et secs, et deux secondaires pour le verre et les textiles. Des points de collecte pour les déchets dangereux et inertes complètent ce système. Avec un coût initial de 2,4 milliards DA HT et des dépenses annuelles de 2,2 milliards DA HT, ce modèle allie efficacité et viabilité économique.

Propos recueillis par Massi S.

Le Jour d’Algérie : Quelle est, selon vous, la meilleure approche de tri adaptée au contexte algérien ? Quels critères justifient ce choix ?
Karim Ouamane : En Algérie, la gestion des déchets ménagers est une tâche complexe en raison de leur composition variée. La matière organique représente 53,61 % des déchets, suivie des plastiques 15,31 %, des couches jetables 11,76 %, du papier et du carton 6,76 %, du textile 4,52 %, du verre 1,04 % et des métaux 1,72 %. Cette diversité appelle à une réflexion approfondie sur le modèle de tri à adopter, en tenant compte de son impact sur la mobilisation de la logistique de collecte et l’infrastructure de recyclage. Sur le plan théorique, un système de tri sélectif à huit bacs, permettant de séparer chaque type de déchet, pourrait sembler idéal au regard de la composition des déchets ménagers en Algérie. Cependant, sa mise en œuvre se heurterait à des défis logistiques considérables, notamment en termes d’encombrement dans les zones urbaines densément peuplées, ainsi qu’à un coût d’investissement très élevé, avec un surcoût que j’estime à 48 % par habitant par rapport à une collecte classique. Ainsi, je propose une approche plus pragmatique, adaptée aux réalités algériennes, qui consiste en un système hybride combinant un tri simplifié avec des points de collecte volontaire. Ce modèle comprendrait deux bacs principaux : un pour les déchets organiques et un autre pour les déchets secs, tels que plastiques, papiers et métaux. De plus, deux bacs secondaires seraient destinés au verre et aux couches/textiles. Des points d’apport volontaire pour les déchets dangereux et inertes seraient également répartis stratégiquement dans les quartiers.
Cette approche présente plusieurs avantages. Tout d’abord, elle est plus simple à mettre en place et à comprendre pour les citoyens, favorisant ainsi leur adhésion. De plus, elle cible les principales catégories de déchets, représentant plus de
94 % de la production totale. Sur le plan économique, le système hybride que je recommande nécessite un investissement initial estimé à 2,4 milliards de DA HT en matière d’acquisition de bacs de différentes couleurs et des dépenses de fonctionnement annuelles de 2,2 milliards de DA HT, soit 50,2 DA par habitant par an. Cela permet une optimisation des coûts d’investissement et d’exploitation, ce qui est essentiel dans le contexte algérien.
Enfin, la mise en œuvre progressive du tri sélectif avec des objectifs réalistes permettra de consacrer du temps au développement des infrastructures de recyclage nécessaires, tout en sensibilisant les citoyens. En définitive, le système à quatre flux que je propose constitue une solution pragmatique et adaptée au contexte algérien, ouvrant la voie à une gestion économique des déchets ménagers. Il offre un compromis intelligent entre efficacité environnementale, acceptabilité sociale et viabilité économique.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du tri sélectif et comment les surmonter ?
Le tri sélectif n’est pas une obligation, mais une nécessité qui devient obligatoire par le biais de la législation et d’objectifs quantifiés. Je tiens donc à préciser que le tri ne pourrait se développer sans une volonté politique forte, qui se traduit par une législation contraignante mais aussi incitative, afin d’obtenir l’adhésion de toutes les parties prenantes à cette vision économique des déchets.
Cette volonté politique définira les responsabilités de chacun dans ce processus. De cette manière, nous pourrons mobiliser des ressources pour développer des programmes de tri réfléchis, tout en maîtrisant les surcoûts par rapport à la gestion classique des déchets ménagers.
Cette volonté politique a été clairement exprimée par le président de la République lors du Conseil des ministres d’avril 2024. La première déclinaison, en plus des grands axes de la feuille de route, a été l’amendement de la loi 01-19 sur la gestion des déchets, qui prescrit clairement des dispositions concernant le passage du statut de déchet à celui de matière, ainsi que la responsabilité des metteurs sur le marché tout au long du cycle de vie de leurs produits.
Les étapes à venir consisteront à définir des objectifs de tri rationnels et applicables à moyen terme. Ces objectifs permettront une mise en œuvre progressive du tri, offrant le temps nécessaire pour sensibiliser les citoyens à ce nouveau modèle de gestion des déchets ménagers et pour réaliser l’infrastructure nécessaire, tout en assurant l’acclimatation des collectivités locales à cette vision. La mise en place d’un marché des déchets est tout aussi importante, de même que l’établissement de normes régissant les activités de tri et la réutilisation de la matière première secondaire.

Quels mécanismes pourraient être mis en place pour financer les coûts d’investissement et de fonctionnement du tri
sélectif ?
Le financement du tri sélectif est indissociable de la gestion intégrale des déchets ménagers. Ainsi, le financement du tri sélectif est étroitement lié à l’ensemble du système de gestion des déchets et à la nature des déchets ménagers. Pour couvrir les coûts d’investissement et d’exploitation du tri sélectif en Algérie, un modèle intégrant plusieurs mécanismes semble à la fois pertinent et réalisable.
Tout d’abord, l’optimisation du recouvrement de la Taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) pourrait représenter un levier significatif pour financer la gestion de la fraction organique, englobant la logistique de tri et l’infrastructure de valorisation biologique et énergétique.
De plus, l’application effective de la responsabilité élargie des producteurs pourrait contribuer à couvrir les coûts de gestion des autres flux de déchets. Dans ce contexte, je tiens à rappeler, à titre illustratif, que le dispositif public ECOJEM, supervisé par l’Agence nationale des déchets pour le compte du ministère chargé de l’Environnement, constitue un pilier supplémentaire de financement. Ce système repose sur la responsabilité des producteurs et importateurs de produits emballés, et les revenus prévus d’ECOJEM, estimés à plus de 56 milliards de dinars par an, représenteraient une source de financement significative pour les collectivités locales afin de mettre en œuvre le tri sélectif. En outre, le développement de partenariats public-privé pourrait également favoriser le financement des infrastructures et des opérations de tri. En effet, l’introduction d’éco-organismes similaires à ECOJEM pourrait créer un environnement attractif pour les investissements privés dans des domaines tels que la collecte sélective, le tri et le recyclage.
Enfin, il serait pertinent d’envisager des subventions, ainsi que des programmes de soutien public ciblés pour accompagner le développement du tri sélectif en Algérie.
Comment mesurer l’impact du tri sélectif sur la réduction des déchets en décharge et sur la création d’emplois dans les filières de recyclage ?
Mesurer l’impact d’un programme de tri sélectif nécessite le développement et l’actualisation d’indicateurs de performance environnementaux, économiques et sociaux à l’échelle macro. Ces indicateurs, multiples et variés, fournissent une vue d’ensemble complète des impacts du tri, et donc du recyclage, sur la gestion globale des déchets, ainsi que sur l’état de l’environnement et l’économie nationale.
Plusieurs indicateurs clés émergent. A titre d’exemple, le taux global de recyclage du pays constitue une mesure fondamentale de l’efficacité des programmes de tri. Parallèlement, le volume total de déchets déviés des décharges témoigne des progrès en gestion des déchets. Le nombre total d’emplois créés et la contribution au PIB du secteur du recyclage sont également des éléments déterminants pour apprécier l’impact économique du tri. De plus, l’évolution de la capacité nationale de valorisation installée et le taux de dépendance aux matières recyclées sont des indicateurs essentiels pour évaluer la préservation des ressources naturelles.
L’impact économique global du recyclage se mesure par la valeur ajoutée de la filière, les investissements dans les infrastructures, et les économies réalisées sur l’importation de matières premières. Les impacts environnementaux sont tout aussi importants et doivent être mesurés et traduits en indicateurs, comme la contribution à l’atteinte des objectifs climatiques, la préservation des ressources stratégiques, et la réduction du foncier dédié aux décharges. Cette vision macro permet de comprendre les transformations systémiques réalisées grâce au tri sélectif à l’échelle nationale. M. S.

 

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